En Ecoute facile : "Des Académiciens et des hauts lieux" : l’abbaye de Sénanque

Un texte de Georges Duby, de l’Académie française et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Georges DUBY
Avec Georges DUBY de l’Académie française,

Grâce à des extraits du livre Intérieurs Nuit de Georges Duby, de l’Académie française (élu en 1987), Canal Académie vous emmène en Provencevisiter l’abbaye de Sénanque, du côté de Cavaillon et d’Apt, plus précisément dans le massif du Lubéron, à proximité du célèbre village perché de Gordes.

Enserrée dans le creux de son vallon, l'Abbaye de style roman, Notre-Dame de Sénanque, demeure comme un des plus purs témoins de l'architecture cistercienne primitive. Fondée au milieu du XII° siècle, elle est toujours habitée par une communauté de moines cisterciens.
Notre guide sera un spécialiste du Moyen Age, l’historien et académicien du XX° siècle Georges Duby (1919-1996). Pour lui, « Il faut péniblement découvrir Sénanque après avoir longtemps trébuché parmi les éboulis de la colline, dans la pleine aridité de juillet. L’œuvre d’art que la prédication bernardienne a fait naître débute par la traversée d’une épreuve, un désert ».

Partons à la découverte de l’abbaye (1er extrait Intérieurs Nuit (Bayard Edition2008. Collection dirigée par Philippe de Sainteny p. 35 à 37)

Abbaye de Sénanque

« Un plateau immense, gris, sous un ciel blanc. Au nord, sur le revers, une échancrure. D’abord largement évasée, elle se resserre de gradin en gradin pour devenir, d’un coup, fissure, entaille étroite, noire, gorge sauvage où les eaux après chaque orage bruyamment dévalent. En ce point précis, des moines se sont établis il y a huit siècles.
Des cisterciens. Ils se voulaient purs, à l’abri des corruptions du monde. Ils les fuyaient et s’enfonçaient toujours plus loin dans la solitude. Aride, ici, en Provence, brûlée, minérale.
Au seuil de la retombée, l’abbaye se tient ainsi comme en équilibre, incertain, maintenu à toute force à la jointure du replat et de l’abîme, du clair et de l’obscur. Du spirituel et du sensuel. Dans l’exacte position donc que Bernard de Clairvaux, leur maître à penser, assignait aux religieux, éclaireurs d’avant-garde. Eux-mêmes, encerclés, retenus, protégés par les abrupts qui bornent sur trois faces leur domaine intérieur Fixés, arrimés en ce point médian où les murs rugueux de la demeure qu’ils ont bâtie restent encore ancrés. Pourtant en marche, conduisant la marche, l’ascension graduelle vers la vérité, vers la lumière. Lumière encore voilée, mais dont s’entrevoient plus haut les éclats aveuglants, torrides.
Par cette lumière, ils étaient aspirés. Charnels, comme nous tous — et, dit saint Bernard, « leur amour et leur désir commençant nécessairement par la chair ». Prenant donc appui sur l’assise opaque, sur cette dureté du calcaire brut où le monastère se trouve comme engoncé, émergeant à peine, indistinct, le gris de ses toitures fondu dans le gris des parois rocailleuses. Sauf, un bref instant, à la tombée du jour, quand, les bâtiments claustraux déjà perdus dans le sombre, le couchant illumine l’un des versants du gouffre, et certains soirs le fait flamboyer dans des rougeoiements d’amarante.
En ce moment précis « où la nuit circonspecte hésite à guérir la plaie du jour », avant qu’elle ne se répande, lente, inexorablement envahissante, montant depuis les fonds comme un épanchement des noires végétations d’yeuses, de lierre, d’arbousiers dont le ravin est encombré. La pénombre s’épaississant, les couleurs peu à peu s’exténuant et la nuit, la grande nuit souveraine, installant enfin son règne dans la rumeur d’une multitude d’insectes ».


Intérieurs. Nuit de Georges Duby (Bayard Edition2008. Collection dirigée par Philippe de Sainteny

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- En savoir plus sur Georges Duby : consulter sa fiche sur le site de l'Académie française : http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html

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