Dictionnaires : et si l’on prenait l’ordre alphabétique à l’envers ?

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Et si on démarrait le dictionnaire par la lettre "z" ? La proposition audacieuse de Jean Pruvost nous entraîne dans un voyage lexicographique surprenant ! Pourquoi ne pas mettre un peu de surprise dans nos phrases avec les mots zymotechnie, zythum, zymogène, zygomatique... ?

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots580
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À ma connaissance, personne n’a encore tenté de commencer la rédaction d’un dictionnaire par la lettre Z, en procédant donc courageusement dans l’ordre alphabétique inverse : zzz, zythum, zymotique, zymotechnie, zymogène, etc.

Les premières étapes du voyage lexicographique seraient sans aucun doute très différentes, peut-être infiniment plus mouvementées.
Il est vrai que, dans le souci d’exhaustivité qui anime les auteurs de dictionnaires :

- ouvrir le trésor de mots par une onomatopée zzz dont l’orthographe reste aléatoire, le z ayant propension à sauvagement proliférer d’une citation à l’autre, jusqu’à huit z se juxtaposant…

- faire suivre, opportunément sans aucun doute, cette fermentation du z par une coupe de zythum, boisson fermentée des anciens Égyptiens, le zythum désignant précisément la bière soigneusement brassée sur les bords du Nil notamment à Péluse, d’où la boisson pélusienne et son ivresse non moins pélusienne ;

- poursuivre cette agitation des cellules avec l’adjectif zymotique, impitoyablement lié à la notion de fermentation et d’infection, l’effrayante variole représentant en l’occurrence, insiste le savant lexicographe-médecin Littré, une maladie zymotique très contagieuse, « due à un ultra-virus » est-il de surcroît précisé dans le Trésor de la Langue de France, le TLF ;

- achever ce premier lot de mots avec d’une part la zymotechnie, technique ou étude de la fermentation, et d’autre part le bien sonnant zymogène, ressemblant fort à un prénom, mais relevant indubitablement de la fermentation, ici spontanée…

… voilà qui, sans être rassurant pour le lexicographe, ne manque pas de pittoresque. Avec pour l’encourager, si on se réfère au Trésor de la Langue française (1971-1994), en huitième position dans cet ordre analphabétique – du grec ana, de bas en haut – le délicieux adjectif-nom zygomatique. C’est-à-dire ce qui se rapporte à la pommette. Et qui grâce au grand et au petit zygomatique, deux muscles rubanés qui descendent obliquement de la pommette à la commissure des lèvres, nous permettent d’offrir rires et sourires à nos contemporains.

Ainsi, le premier lot de mots attribués au lexicographe commencerait-il d’une part avec l’inquiétant zzz polysémique et donc le « sifflement d’un projectile » ou le rassurant « souffle d’un dormeur », ou encore le « vol d’un insecte » qu’on imagine vrombissant dans la chaleur de l’été, ou bien, plus moderne, le mécanique « mouvement d’une machine », et s’achèverait-il d’autre part sur la plus belle posture de l’être humain, lorsqu’il manifeste son plaisir, sa joie ou son bonheur à la pointe des zygomatiques..

Quant aux toutes premières citations du tout dernier mot alphabétique – ou du premier, analphabétique… –, elles passent avec Paul Imbs et Bernard Quemada, vigilants gardiens du Trésor de la Langue française, par un roman sans concession, Folies d’infâme (1984), de P. Siniac : « Toujours personne dans le bistrot », s’inquiète-t-il. « Même pas les zzzzzzzz d’une mouche pour dégeler l’atmosphère ». Bigre…

Ou encore dans le Dictionnaire culturel en langue française (2005)…, mais alors là danger pour les diptères dont la mouche est l’un des éminents représentants, le choix d’Alain Rey se portant sur Céline et un extrait de Nord, mettant en scène son prédateur premier : « Les araignées viennent regarder elles se laissent filer du plafond, elles gafent... et zzz ! elles se renroulent ».

Aucun doute : les trois z, acérés de l’araignée, auront raison des huit z de la mouche qu’elle soit bleue ou verte, de toute façon à « trompe molle » précise-t-on dans nos lexiques.

À tout prendre, commencer par le mot A, reste peut-être plus rassérénant. C’est en tout cas la certitude de rencontrer assez vite l’Académie : cinq siècles de lexicographie, de la première à la neuvième édition, une pérennité pour le moins rassurante.
Si on prend par exemple les cinq derniers mots du Dictionnaire de l’Académie, en sa première édition, en 1694, en remontant l’ordre alphabétique inverse, quels sont-ils ? Zoophyte, zone, zodiaque, zizanie, ziczac…

Ziczac ? Un mot disparu (si l’on fait semblant d’oublier zigzag…) : « Sorte de machine qui est composée de plusieurs pièces de bois attachées & pliées, les unes sur les autres, & qui s’allonge & se resserre selon qu’on veut. Donner une lettre de la ruë à une fenestre par le moyen d’un ziczac ; un broderie en ziczac, des livres dorés en ziczac. », lira-t-on dans l’édition de 1694. Un merveilleux ziczac, au service de chacun : voilà une belle image en définitive pour un dictionnaire ?

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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