Jean-Siméon Chardin : "Il pittore del silenzio"

avec Pierre Rosenberg, de l’Académie française, invité de Krista Leuck
Avec Krista Leuck
journaliste

Pierre Rosenberg de l’Académie Française, nous invite à pénétrer dans l’univers secret du « peintre du silence ». Et pour notre série "Une œuvre-un regard", il nous initie à la sublime beauté des "Amusements de la vie privée"...

Émission proposée par : Krista Leuck
Référence : carr746
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Pour notre série « Une œuvre – un regard », Pierre Rosenberg de l’Académie Française a choisi le tableau Les amusements de la vie privée de Chardin. L'historien d'art, commissaire de l'exposition qui s'est tenue à Ferrare, première ville en Italie à exposer Jean-Siméon Chardin, au Palazzo dei Diamanti en 2011, nous livre ses réflexions dans la deuxième partie de l’émission. Sous sa plume, le catalogue de l’exposition présente ainsi le peintre :
« Dans ce XVIIIe siècle plein de bruit, Chardin se distingue par ses atmosphères intimes, retenus, par l’harmonie placide qu’aucun geste ne vient perturber. Il y règne paix et silence. C’est précisément le silence, la « vie silencieuse » que l’on trouve dans le terme allemand et anglais du « Stilleben » et « Still Life ».

J-S. CHARDIN, Les amusements de la vie privée, Stockholm, Nationalmuseum
Cette toile dégage le sentiment de paix que procure la lecture.<br /> Les frères Goncourt voulurent intituler ce tableau « la sérénité ».

Les peintres du XVIIIe français étaient sensibles à l’amusement, le plaisir, à l’élégance et au gracieux. Ils ne se prenaient pas au sérieux. Rire et sourire étaient de règle. La gravité n’était guère de bon goût. Chardin, lui, cherchait infatigablement la perfection. Il ne savait pas peindre le mouvement et sut transformer cette faiblesse en une force.

Chardin refusait toute forme narrative, anecdotique, pittoresque.
Aussi bien que toute référence à l’actualité ou quelque allusion morale ou idéologique (contrairement à Greuze par ex.). »

Raisins et grenade, Paris, Musée du Louvre. Legs. Dr. Louis La Caze, 1869, Inv. MI1035

« On se sert de couleurs – on peint avec le sentiment. » J.S. Chardin

Chardin se place parmi les peintres de génie du XVIIIe s. (comme au XVIIe siècle, Rembrandt, Caravage, Velasquez, Poussin, etc.) Son univers est « magique ». « L’on ne comprend rien à cette magie » disait déjà Diderot en parlant des toiles de Chardin.

On peut distinguer deux Chardin, celui des natures mortes et celui des scènes de genres.

« Chardin a peint des natures mortes qui comptent, avec celles de Cézanne, parmi les plus belles de toute l'histoire de la peinture française ; ses scènes de genre allient l'élégance et le raffinement du XVIIIe siècle à une rare profondeur de sentiment, et dans ses quelques portraits au pastel, la perfection technique est mise au service d'une acuité psychologique sans concession. Maître de la vie silencieuse, il contribua au triomphe de la nature morte qu'il affranchit de la dictature académique de la hiérarchie des genres.

La Pourvoyeuse. Retour du Marché, 1739, Paris, Musée du Louvre

Chardin fut aussi le peintre des scènes de la vie familiale. Ses tableaux à figures ont pour modèles de prédilection les femmes, les adolescents et les enfants. Il réduit à l'essentiel ce qu'il voit. Sans jamais oublier de laisser percer sa compréhension, sa compassion, sa tendresse pour ce monde de l'enfance dont il aura été un des plus grands poètes. » (P. Rosenberg, Chardin, 1999.)

La Raie, dit aussi Intérieur de cuisine, Paris, Musée du Louvre, Collection de l’Académie, Inv. 3197

Jean-Siméon Chardin fut reçu à l’Académie royale de peinture le 25 septembre 1728. L’Académie retint deux de ses tableaux : un buffet chargé de fruits et d’argenterie et un très beau tableau représentant une raie et quelques ustensiles de ménage, toile qui l’a rendu célèbre, une œuvre qui fait encore l’admiration unanime des artistes tant la couleur en est fière, tant l’effet et la facture sont admirables.

Jean-Siméon Chardin, le peintre de l’harmonie, de l’amour des êtres et des choses, de la peinture pure et simple.

Chaudron de cuivre rouge étamé, poivrière, poireau, trois œufs et poêlon posés sur une table, Paris, Musée du Louvre, Legs Dr. Louis La Caze, 1869, Inv. MI 1045


Ce qu’en disaient ses éminents contemporains :

«Il y a au Salon plusieurs petits tableaux de Chardin ; ils représentent presque tous des fruits avec les accessoires d’un repas. C’est la nature même ; les objets sont hors de la toile et d’une vérité à tromper les yeux.
Celui qu’on voit en montant l’escalier mérite surtout l’attention. L’artiste a placé sur une table un vase de vieille porcelaine de la Chine, deux biscuits, un bocal rempli d’olives, une corbeille de fruits, deux verres à moitié pleins de vin, une bigarade avec un pâté.
Pour regarder les tableaux des autres, il semble que j’aie besoin de me faire des yeux ; pour voir ceux de Chardin, je n’ai qu’à garder ceux que la nature m’a donnés et m’en bien servir.
C’est que ce vase de porcelaine est de la porcelaine ; c’est que ces olives sont réellement séparées de l’œil par l’eau dans laquelle elles nagent ; c’est qu’il n’y a qu’à prendre ces biscuits et les manger, cette bigarade l’ouvrir et la presser, ce verre de vin et le boire, ces fruits et les peler, ce pâté et y mettre le couteau.
C’est celui-ci qui entend l’harmonie des couleurs et des reflets. O Chardin! Ce n’est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broies sur ta palette : c’est la substance même des objets, c’est l’air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et que tu attaches sur la toile.» (Denis Diderot, Salon de 1763, dans Salons).

Panier de prunes, bouteille à demi pleine, verre à demi plein d’eau et deux concombres, 	New York, The Frick Collection, Inv. 1945.1.152


«Voilà le velours plucheux de la pêche, la transparence d’ambre du raisin blanc, le givre de sucre de la prune, la pourpre humide des fraises, le grain dru du muscat et sa buée bleuâtre, les rides et les verrues de la peau d’orange, la couperose des vieilles pommes, les nœuds de la croûte du pain, l’écorce lisse du marron, jusqu’au bois de la noisette… Chaque fruit a la saveur de ses couleurs, le duvet de sa peau, la pulpe de sa chair : il semble tombé de l’arbre dans la toile de Chardin.» (Edmond et Jules de Goncourt, « Chardin », Gazette des beaux-arts, Paris, juillet 1863).

Marcel Proust écrivait : « De Chardin nous avons appris qu’une poire est aussi vivante qu’une femme, qu’une cruche est aussi belle qu’une pierre précieuse. »

Pierre Rosenberg nous rappelle que l’exposition Chardin à Ferrare présente une excellente occasion de visiter cette ville d’art d’Emilie Romagne sur les traces de la famille d’Este.

Pour en savoir plus :

- Exposition au Palazzo dei Diamanti à Ferrare, du 17 octobre 2010 au 30 janvier 2011. Ensuite à Madrid, au Museo Nacional del Prado, du 28 février au 29 mai 2011.
www.palazzodiamanti.it

- Bibliographie de Pierre Rosenberg :

CHARDIN – Le goût de notre temps, Skira, 1963.

CHARDIN 1699-1779, catalogue de l’exposition de 1979 (avec Reynold Arnoult)

CHARDIN, Monographie, (avec Renaud Temperini), Flammarion, 1999
CHARDIN, Skira classiques, 2008

Tout l’œuvre peint de Chardin, Flammarion, 2008

CHARDIN, Il pittore del silenzio, catalogue de l’exposition à Ferrare et à Madrid, Ferrara Arte, 2010

- Musique :

Jean-Philippe Rameau

- Pièces de clavecin en concert N° 5 (Ma Fprqierau)/Il Giardino Armonico

- Suite in G minor

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