Madame le Secrétaire perpétuel et « Le Mystère de l’Académie »

Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE
Avec Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE de l’Académie française,

Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel de l’Académie française, avait choisi de donner une conférence sur « Le Mystère de l’Académie » lors de sa visite à Shanghaï au pavillon de France. A son retour, elle a bien voulu nous dévoiler ce "mystère" : la singularité de l’Académie française. L’Institut de France et les 5 Académies furent en effet très présents à l’Exposition universelle, d’une part, grâce à un court-métrage présentant le Palais de l’Institut et la vie académique et d’autre part, par la présence des membres des cinq académies dont les différentes conférences peuvent être écoutées sur Canal Académie.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : hist694
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La conférence d'Hélène Carrère d'Encausse, Secrétaire perpétuel de l'Académie française, donnée à Shanghai fin octobre 2010 s'intitulait précisément : « Le Mystère de l'Académie » : pouvoir intellectuel, pouvoir politique.
- « De nombreuses académies existent de part le monde. Mais l'Académie française ne ressemble à aucune autre : par son ancienneté- près de quatre siècles-, par la permanence de ses règles -elles remontent aux origines-, par sa composition, le nombre inchangé de ses membres, enfin par son indépendance matérielle. Son histoire est celle de la continuité mais aussi d'une émancipation du pouvoir qui présida à sa fondation. Cette singularité, n'est-ce-pas ce que Valéry nommait le mystère de l 'Académie ? »

De Richelieu à Louis XIV

- « En 1635, le cardinal de Richelieu, ayant découvert qu’une réunion de « beaux esprits » se tenait chez un jeune conseiller de Louis XIII, Valentin Conrart, demanda « si ces messieurs ne voudraient pas former un corps et s’assembler régulièrement sous une autorité publique ». Ainsi fut créée l’Académie. »

Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel de l’Académie française

- « Richelieu avait compris d’emblée l’intérêt de placer sous son autorité une force comme celle des lettres. Il pria la Compagnie naissante d’établir en toute liberté ses statuts et de choisir elle-même ses membres, pour constituer un corps de quarante personnes à qui il donna pour mission de veiller à la pureté et au développement de la langue française. Le français n’était langue du royaume que depuis moins d’un siècle, peu répandu hors de la sphère du pouvoir, alors que depuis François Ier tous les souverains avaient assis l’unité du pays sur la langue française. La fondation de l’Académie, porteuse de la langue du royaume, était donc un projet politique. »

- «Richelieu mort en 1642, l’Académie choisit un protecteur plus neutre, le chancelier Séguier, qui l’installa dans son hôtel – l’Académie n’avait toujours pas de domicile – et exerça pendant trente ans un protectorat marqué par un développement remarquable de la Compagnie.»

- «Le protectorat de Louis XIV, souverain ami des Lettres et des Arts, favorisa considérablement l’Académie. Outre un prestige renforcé, elle allait enfin trouver la stabilité matérielle qu’elle n’avait jamais connue, donc l’assurance de durer. Sur les conseils de Colbert, le roi lui offrit un domicile – au Louvre ! – un fonds pour couvrir ses besoins, des jetons pour récompenser la présence aux séances ; il lui offrit aussi quarante fauteuils identiques – symboles de l’égalité des académiciens.»

- « Le roi n’intervint qu’une fois dans la vie de l’Académie, en 1683, lorsqu’elle choisit La Fontaine contre Boileau, qu’il eût souhaité voir élire. L’opposition de Louis XIV à La Fontaine avait quelques raisons. Il trouvait les Contes trop libertins. Mais aussi La Fontaine n’avait-il pas été l’ami et le défenseur de Fouquet ? Les réticences du roi n’empêchèrent pas l’Académie de voter pour La Fontaine. Le roi ayant refusé d’agréer son élection, l’Académie maintint son choix. Par bonheur un fauteuil se libéra, Boileau fut élu et le roi s’empressa d’accepter aussi l’élection de La Fontaine. Ce conflit, où l’Académie n’avait pas plié devant son protecteur, fut le seul du genre et le prestige des deux parties ni leurs relations n’en furent affectés. »

Le temps des bonnets et des chapeaux

- «Avec le protectorat de Louis XV, l’Académie va entrer dans des temps nouveaux. Jusqu’alors elle avait toujours été en accord avec son protecteur, avec les principes qui fondaient le règne, la monarchie absolue et le respect de la religion. Mais le siècle des Lumières est marqué par le divorce entre le monarque et les idées qui montent, et l’Académie devra choisir entre son protecteur et l’esprit du siècle ; ce sera le temps de l’émancipation. L’Académie des prélats et des grands va s’ouvrir, presque malgré elle, aux philosophes qui contestent les conceptions qu’elle a si longtemps défendues. L’élection de Montesquieu en 1727 en a marqué la première étape. Puis viendront celles de Voltaire – un vrai défi pour les dévots –, de Buffon, dont l’Histoire naturelle est alors critiquée par la Sorbonne et la Congrégation de l’Index, et de d’Alembert. En peu d’années, l’esprit des Lumières a pénétré dans la Compagnie qui se divise alors en deux camps, nommés en référence à la querelle de la Chambre suédoise, les bonnets ou clan clérical et les chapeaux ou parti des Lumières. Dès 1760 – il y a exactement deux cent cinquante ans –, le parti des Lumières, a gagné. L’Académie prend alors conscience de sa vocation profonde : être un pouvoir intellectuel indépendant du pouvoir politique.»

- «Alors même que Louis XV et Louis XVI prenaient de telles distances avec l’Académie, tous les souverains européens, fascinés par elle, venaient la visiter et certains la prenaient pour modèle pour créer leur propre institution littéraire. À l’heure où la monarchie va s’effondrer, le contraste est étonnant entre le prestige considérable dont l’Académie jouit dans le monde et son discrédit intérieur.»

- Paul Valéry : « Dans un monde instable où le pouvoir politique est enchaîné à l’absurde et à l’immédiat et engagé dans une lutte perpétuelle pour l’existence, une résistance à la hâte, à la confusion, à la versatilité, aux passions réelles ou simulées est indispensable. On pense à un îlot où se conserverait le meilleur de la culture humaine ! Il ne dépend que de nous de porter insensiblement à cette magistrature idéale l’Académie française. »

- Le discours intégral sur le site de l'Académie française

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