La grotte Chauvet, grâce à Jean Clottes, livre une partie de ses secrets

avec Jean Clottes, ancien responsable de l’étude scientifique de la grotte Chauvet

Découverte en 1994 par hasard par une équipe de spéléologues, la grotte Chauvet est la plus ancienne cavité préhistorique ornée connue à ce jour en Europe (- 37 000 ans). Au cours de cette émission, Jean Clottes, spécialiste de l’art pariétal, nous livre ses interprétations sur le sens à donner de ces magnifiques peintures rupestres. Récit en compagnie d’un conteur aux accents du sud.

_ Ces hommes qui peignirent pas moins de 430 animaux, 14 espèces différentes, des scènes de vie dans cette grotte de l’Ardèche il y a 37 000 ans, sont des aurignaciens, les premiers hommes modernes homo sapiens sapiens venus en Europe.
Jusqu’alors, l’Europe était peuplée de néandertaliens. L’homme moderne et le néandertalien ont cohabité pendant plusieurs milliers d’années. « On sait même depuis peu qu’ils ont eu des enfants et une descendance dont nous sommes le fruit puisqu’aujourd’hui les homo sapiens que nous sommes conservent 2 à 4 % de gènes néandertaliens » précise Jean Clottes.

La grotte Chauvet révolutionne notre conception de l’homme moderne à plusieurs niveaux :

- Elle bouleverse notre conception de l’évolution de l’art pariétal.
« On a pensé pendant un siècle que l’art commençait de manière fruste il y a 40 000 ans et que les hommes faisaient petit à petit des progrès. On se rend compte aujourd’hui que ça n’a pas du tout été le cas. Il y a 37 000 ans, des hommes dessinaient avec une maîtrise extraordinaire. En faisant la découverte en 1994 de la grotte Chauvet, on ne s’attendait pas à une telle sophistication. Cela signifie que l’art n’a pas évolué de façon graduelle, mais par à-coup ».

- Les divinités semblent déjà présentes 37 000 ans avant notre ère.
Sur un pan de roche est dessinée une scène spectaculaire, celle de lions des cavernes qui chassent des bisons. Face à cette scène, sur un autre pan, un corps de femme a été esquissé avec le triangle pubien et la vulve gravée. Au contact de cette femme, un être curieux à tête de bison mais avec un bras humain semble venir à elle. « On peut imaginer ici un mythe où des dieux peuvent se transformer en animaux pour avoir des rapports avec des mortels. C’est un peu le mythe du minotaure » précise le spécialiste.

Les félins font partie des prédateurs largement représentés dans la grotte Chauvet.
© Jean Clottes

- Les animaux représentés dans la grotte Chauvet sont des animaux habituellement peu chassés (le rhinocéros, le mammouth, l’ours). Ils représentent 70 % des animaux de la grotte là où jusqu’à présent les herbivores étaient peints en grande majorité. « peu chassés, respectés, les hommes les imaginaient certainement chargés de pouvoir. Toutes les peintures sont chargées d’une valeur mythologique ».

- Un sol intact à 80%.
Incroyable ! On a retrouvé les traces de pas d’un enfant de 12 ans, né il y a quelque 37 000 ans… Ces traces sont d’autant plus rares que des ours ont vécu dans la grotte, de l’eau s’est écoulée, les sols ont bougé.

Plus généralement, les peintures pariétales ont aussi un but pratique : Elles servent à la transmission des connaissances, elles étaient aussi certainement chargées de pouvoir : « Je reste persuadé qu’homo sapiens sapiens pensaient que leurs dessins étaient chargés de pouvoirs magiques, surtout au fond d’une grotte, milieu surnaturel en soi ».

Hibou, ours et points rouges

Le hibou de la grotte Chauvet a été gravé sur la paroi. Il a la particularité de regarder le spectateur tout en étant de dos
© Jean-Marie Chauvet

Le hibou, gravé sur les parois de la grotte, est représenté le corps de dos et la tête de face. Cette représentation montre le sens aigu de l’observation de l’homo sapiens sapiens car le hibou est le seul animal capable de tourner la tête à 180°. « L’observation, c’est leur survie, tempère Jean Clottes. Ils devaient se méfier des lions des cavernes, des ours qui ne mesuraient pas moins de 3,5 mètres de haut, des loups, des léopards des neiges. En revanche, ce qui est plus rare, c’est la qualité de l’art ».
Comme pour nous, certains étaient plus doués que d’autres pour le dessin. Ils étaient alors désignés pour aller peindre dans les grottes. Car tout le monde ne peignait pas ou du moins, pas dans les mêmes proportions : « Preuve en est, la qualité des peintures dans les grottes est très largement supérieure aux possibilités statistiques de groupes ».

"Cette grotte sentait l’ours, au sens propre comme au figuré" explique Jean Clottes. Il est omniprésent dans l’art rupestre et dans la vie de ses hommes
© Carole Fritz - Gilles Tosello

Quelques peintures de la grotte Chauvet date de 29 000 ans, mais il semble que la plupart des dessins datent de la première visite de cette grotte il y a 37 000 ans. Une grotte qui n’a pas servi de refuge, mais uniquement pour les cérémonies. « Nous n’avons pas trouvé de vestiges de leurs repas » conclut Jean Clottes sur ce point.
En revanche l’ours est resté omniprésent dans cette grotte, et ceci, avant, pendant et après le passage de l’homme.
« Je pense qu’elle sentait l’ours, au propre comme au figuré » s’amuse Jean Clottes. « La présence de l’ours était très forte. Tant dans les peintures que dans les griffures qu’il a laissées sur les parois, les quelque 195 crânes retrouvés dans la grotte, les bauges et les empreintes. Il imprégnait le lieu très certainement de sa présence magique, car cet animal ressemble étrangement à l’homme : il sait se dresser sur ses pattes arrière, il est omnivore. Par ailleurs, il hiberne, ce qui lui confère quelque chose de mystérieux ».

On suppose que la main sur la paroi était un des éléments  rituels pour s’imprégner de la force magique de la grotte
© Jean -Marie Chauvet et DRAC

Outre les dessins d’animaux, les parois sont également parsemées ici et là de main en négatif (cf photo) mais aussi de mains positives et de points rouges, réalisés avec la paume.
« Je pense que le sens le plus plausible que l’on puisse donner à ces mains, c’est la volonté d’accéder aux pouvoirs surnaturels qui se trouvent dans la roche. Ils le faisaient au moyen de la peinture. Je me souviens que dans la grotte Cosquer, on a retrouvé également une empreinte de main d’enfant à plus de deux mètres au dessus du sol. Il a fallu qu’un adulte emmène cet enfant jusqu’au fond de la grotte, le soulève et lui fasse poser ses paumes peintes sur la paroi. Cela participe certainement de cérémonies." explique Jean Clottes.

La grotte Chauvet a encore des secrets à livrer. En 2008, une équipe de chercheurs a mis au jour de nouvelles gravures, que l’on prenait jusqu’alors pour des griffures d’ours sur la paroi. « En réalité, il s’agit de signes géométriques, 17 « w » un peu arrondis. On n’en connaît pas le sens mais nous savons que nous pouvons rattacher ses signes à l’aurignacien; c’est déjà un bon début ! »

Jean Clottes prend des notes sur les peintures rupestres de la grotte Chauvet

Jean Clottes est préhistorien, spécialiste du paléolithique supérieur et de l'art pariétal, expert international sur l'art rupestre pour l'ICOMOS (International Comittee on Monuments and Sites) et l'UNESCO. Président de la fédération internationale des organisations d'art rupestre, ancien responsable de l'étude scientifique de la grotte Chauvet et de la grotte Cosquer.

En savoir plus :

Les photos proviennent du site Internet du ministère de la culture consacré à la grotte Chauvet.

Grotte Chauvet : Site du ministère de la culture pour circuler virtuellement dans la grotte

- Un documentaire en 3D sur la grotte Chauvet réalisé par Werner Herzog, sera diffusé au printemps 2011.

- Jean Clottes, La Grotte Chauvet : L'art des origines, édition du Seuil, 2001
- Jean Clottes, La Préhistoire expliquée à mes petits-enfants, édition du Seuil, 2002
- Jean Clottes, L'art des cavernes préhistoriques, édition PHAIDON, 2010

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