Recherche sur le cerveau : propositions pour une recherche plus incisive

Avec André Nieoullon, président de la Société des neurosciences et Joël Bockaert, de l’Académie des sciences
Joël BOCKAERT
Avec Joël BOCKAERT
Membre de l'Académie des sciences

Chercheurs et cliniciens militent aujourd’hui en faveur d’une recherche plus incisive et structurée sur les troubles neurologiques (mémoire, sommeil, douleurs...) ou psychiatriques, car on estime que 30 % de la population est concernée. Dans cette interview, André Nieoullon et Joël Bockaert livrent l’état des lieux de la recherche en neurosciences ; un appel lancé à la communauté scientifique et aux pouvoirs publics pour un enjeu national.

La recherche en neurosciences est très développée en France. (Elle est la première société européenne sur les 29 de l’Union). « On compte pas moins de 3000 chercheurs dans 500 équipes auquel il faut associer les jeunes en formation » précise André Nieoullon.
Même très active, cette communauté est cependant loin de tout comprendre sur la physiologie même de notre cerveau et autres mécanismes de conscience. Tout d'abord parce qu' « on manque de concept » selon Joël Bockaert. « Pour vous donner un exemple, on sait que pour la mémoire sur le plan moléculaire, beaucoup de choses se passent au niveau des synapses : certaines protéines sont excitées d’autres sont inhibées, il y a un remodelage des épines de la synapse. On sait que la mémoire est transitoire, que la mémoire à long terme migre dans le cortex. Mais où ? et comment ? Tout est hypothèse. Il est difficile de chercher quand on n’a pas de piste, c’est pour cela qu’il faut aller dans toutes les directions ».

Les pathologies de la mémoire en France demeurent les maux les plus fréquents avec les troubles du sommeil.
Les douleurs figurent aussi au rang des maladies neurologiques ainsi que les pathologies psychiatriques dont les connaissances thérapeutiques sont très limitées selon André Nieoullon. Et il précise : « On estime que près de 30 % de la population est concernée par des troubles neurologiques ou psychiatriques plus ou moins durables. Ces pathologies représentent actuellement 35% des dépenses de santé et vont certainement s'accroître avec le vieillissement de la population ».

Industrie pharmaceutique en berne

Outre le « manque de concepts » qui ralentit la recherche en neurosciences, la recherche en pharmacologie est atone. Joël Bockaert l'affirme : « Je pense vraiment qu’il y a un frein dans la recherche en pharmacologie actuellement, à la fois sur le plan académique puisque à ce jour il n'existe pas de département de pharmacologie dans les universités françaises… et dans l’industrie pharmaceutique qui se désengage du système nerveux central parce que la complexité de la recherche rend le travail long et coûteux ; les échecs sont nombreux. Le résultat est assez préoccupant. Nous avons besoin de nouveaux médicaments et nous sommes encore loin de pouvoir faire appel à la thérapie-génique pour traiter les patients. »

Structurer la recherche et développer les passerelles entre chercheurs et cliniciens

Le mot d'ordre est clair, « il faut faire évoluer la structure actuelle de la recherche » explique André Nieoullon : « Il faut rapprocher les chercheurs cliniciens biologistes et les malades : l’Institut du cerveau et de la moelle épinière qui vient d’être inauguré à la Pitié-Salpêtrière en est un exemple. Cela doit se développer sur d'autres sites.
Dans ce domaine des neurosciences, on peut raccourcir le temps entre la paillasse et le lit du malade »
.

Problème : les cliniciens chercheurs sont actuellement trop pris par les malades et n’arrivent plus à consacrer du temps à la recherche. « Il faut absolument revoir la formation des jeunes cliniciens dans le domaine de la recherche biomédicale en général et dans la recherche sur le cerveau en particulier. Il faut leur donner les moyens d’être de vrais cliniciens chercheurs » insiste André Nieoullon.
Joël Bockaert pour sa part pense que le système administratif, devenu trop lourd, grignote le temps précieux des cliniciens aux dépends des patients. « Malheureusement nous manquons de temps : du temps pour la recherche, du temps pour interagir avec les mathématiciens et les physiciens... »
Ajoutez à cela un financement plus faible dans la recherche en neurosciences que dans d'autres pays, vous obtenez rapidement un système grippé.

Au cours du colloque Priorité cerveau 2010 et du livre éponyme édité à cette occasion, 10 priorités ont été définies par une soixantaine de chercheurs et de cliniciens. (Retrouvez-les ici).
« Ceci constitue la première étape de notre appel » précise André Nieoullon. « Nous espérons dans un second temps que les pouvoirs publics seront sensibles à nos actions avec des propositions qui viendront peut-être concrétiser des points soulevés par la communauté ».

Écoutez André Nieoullon et Joël Bockaert interviewés au cours de cette émission Éclairage.

Joël Bockaert membre de l’Académie des sciences et André Nieoullon, président de la Société des neurosciences (de gauche à droite).

André Nieoullon est professeur de neurosciences et de pharmacologie. Il travaille à l’Institut de biologie du développement e Marseille-Luminy, UMR CNRS-Université de la méditerranée 6216. Il s'intéresse à la physiopathologie de la maladie de Parkinson. Il est président de la Société des Neurosciences.

Joël Bockaert est membre de l’Académie des sciences, professeur émérite à l’université Montpellier I, directeur de l’Institut de génomique fonctionnelle UMR5203, U661, université de Montpellier.

En savoir plus :

Ecoutez la retransmission d'une partie du colloque Priorité cerveau qui avait lieu le 16 septembre 2010 au Collège de France

- Le site : www.priorite-cerveau.com
- Le livre : Sous la direction d'Olivier Lyon-Caen et Etienne Hirsch, Priorité cerveau, des découvertes aux traitements, édition Odile Jacob, septembre 2010

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