Le peintre Henri Matisse et le compositeur Bela Bartók : derniers instants de création

Par Pierre Schneider Dominique Szymusiak, Jean-Louis Michaux et Bernard Lechevalier

Qu’il s’agisse de peinture, de musique ou d’interprétation théâtrale, l’œuvre ultime dans l’art est imprégnée des derniers instants de l’artiste. Dominique Szymusiak, conservateur en chef, et Pierre Schneider nous livrent la seconde vie de Matisse. Jean-Louis Michaux et Bernard Lechevalier tous deux de l’Académie de médecine, nous expliquent le cas clinique du compositeur Bartók. La "dernière œuvre" était l’objet de la journée du livre de l’Académie nationale de médecine 2010, dont Canal Académie retransmet sur son site les meilleurs moments.

_ La vie du compositeur Béla Bartók est ponctuée par la maladie. Elle conditionne aussi une partie de son œuvre musicale. C'est ce que nous disent en substance Jean-Louis Michaux, et Benard Lechevalier, tous deux membres de l'Académie nationale de médecine.
Dès son enfance, Bartók est touché par une dermatite aiguë. Puis c’est la tuberculose qui freine sa vie d'adolescent. Il doit interrompre ses études secondaires. Mais cela ne l'empêche pas de composer dès l'âge de 9 ans et de donner son premier concert à 11 ans .
La communication n'étant pas consacrée à la vie même de Bartók, mais à ses derniers moments, c'est naturellement que les deux interlocuteurs passent sur les compositions et les voyages du compositeur, qui s'installe aux Etats-Unis en 1940.

Bartók en 1927

En 1943, chef d'orchestre américain Yehudi Menuhin lui commande une fugue sonate pour violon seul. Bartók s'exécute, mais il est déjà très faible, touché par une leucémie myéloïde. Ce sera sa derrière composition achevée, dédiée à sa femme ; une composition plus mélodique inspirée de Grieg, de la nature et du folklore.

On y retrouve cinq états de conscience de Bartók :
- la mort qui rode
- la souffrance physique
- l’angoisse transformée en sérénité
- la remémoration d’un monde perdu (la Hongrie)
- la vie qui doit toujours être victorieuse

La leucémie l’emportera en 1945 à l’âge de 64 ans.

Ecoutez les interventions croisées de Jean-Louis Michaux et Bernard Lechevalier.
Jean-Louis Michaux est hématologue. Il débuta par une carrière clinique et universitaire à l’université de Lovanium avant de séjourner dix ans au Congo. De retour en Belgique, il devient professeur à l’Université catholique de Louvain.
A partir des années 1970 Jean-Louis Michaux poursuit sa formation auprès du professeur Jean Bernard, à l’hôpital Saint-Louis à Paris ; le début d’une longue et fructueuse collaboration.

Bernard Lechevalier est professeur émérite de neurologie et membre de l’Académie nationale de médecine. Spécialisé en neuropsychologie, il a contribué à créer une unité Inserm consacrée à la neuropsychologie, notamment de la mémoire.

La seconde vie de Matisse

Henri Matisse le 20 mai 1933, photographié par Carl van Vechten.

La deuxième communication est consacrée au peintre Henri Matisse (1869-1954), avec le témoignage de Pierre Schneider et l'intervention de Dominique Szymusiak.

En 1941, Henri Matisse est opéré d’urgence pour une occlusion intestinale. A l’issu de opération, on lui donne 6 mois d’espérance de vie. Il vivra 13 ans de plus.
« Matisse va vivre sa maladie, il va même la sublimer » précise Dominique Szymusiak.
En 1946, Matisse dit : « Je reste un vieux fou, je veux mourir satisfait ». Sanglé, ne pouvant pas rester très longtemps en position debout, Matisse peint dans son lit, avec une table spéciale.
Il remonte la pente, doucement. En 1952, il écrit : « Je ne me suis pas laissé aller. J’en ai tiré une leçon de vie. Je me suis dit : Tes médecins t’ont abandonné, et c’est pourquoi tout ce que tu vis maintenant, c’est un cadeau, alors fais ce que tu veux ! Il faut se donner entièrement, dans ses forces comme dans ses faiblesses ».

Lydia Delectorskaya, Matisse

La présence de Lydia Delectorskaya, femme à son service dès 1932 lui est très importante. Elle le seconde dans toutes ses taches, et devient son modèle.

Une de ses grandes œuvres est sans conteste la chapelle des Dominicains de Vence. Lui qui tenait à créer une œuvre monumentale a pris beaucoup de plaisir à concevoir les plans de la chapelle, les décors et les moindres détails. Un projet d'une grande dépense physique qui lui prit 4 ans.

Chapelle dite de Matisse, Vence, Alpes-Maritimes
Cliché Gérard Roucaute et Marc Heller, SRI.

Matisse terminera par les papiers découpés : des couleurs vives, des formes qu'il cherche à simplifier au maximum, jusqu’à la signification même de son œuvre, nous explique Pierre Schneider.

Matisse et ses papiers découpés

« C'est une occupation dans laquelle je peux me perdre » dira le peintre peu de temps avant sa mort en 1954.

Ecoutez les interventions successives de Dominique Szymusiak et de Pierre Schneider.
Dominique Szymusiak est conservateur en chef et directrice du Musée Matisse du Cateau-Cambrésis

Pierre Schneider est historien d'art et critique. Il a été le conseiller et l'organisateur de grandes expositions sur Giacometti, Chagall et surtout Matisse, accompagnées de catalogues qui font référence.

L'ensemble de ces interventions se déroulait dans le cadre de la journée du livre 2010 de l'Académie nationale de médecine.

En savoir plus :

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- Jean-Louis Michaux sur Canal Académie

- Jean-Louis Michaux, Solitude Bartók : Une leucémie cachée, éditions l'Age d'Homme, 2003

- Pierre Schneider, Matisse, éditions Flammarion, 2002
- Dominique Szymusiak, Marie-Thérèse Pulvénis de Séligny, Isabelle Monod-Fontaine, John Klein, Lydia D : Lydia Delectorskaya, muse et modèle de Matisse, éditions RMN, 2010

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