Poussin, Le Titien, et la peste de Venise vue par le Tintoret et Véronèse

Par Jacques-Louis Binet, Philippe Beaussant de l’Académie française, et Paul Léophonte
Avec Jacques-Louis Binet
Correspondant

Les maladies, les épidémies inspirent les artistes. Ainsi la peste de Venise. Jacques-Louis Binet et Philippe Beaussant nous présentent respectivement les dernières œuvres de Nicolas Poussin et du Titien tandis que Paul Leophonte recense quelques peintures inspirées de la peste noire. La "dernière œuvre" est imprégnée des derniers instants de l’artiste. Tel était le thème de la journée du livre de l’Académie nationale de médecine 2010, dont Canal Académie retransmet les meilleurs moments.

Alors qu'il est dans la force de l'âge, Poussin parle de la « débilité de la main ». Il dessine chaque lettre séparément trahissant ainsi ses difficultés à manier le pinceau car il tremble. Le dernier tableau des Quatre saisons, Daphné et Apollon, n'est pas signé. Il invente une nouvelle technique pour contrer la maladie, proche du "pointillisme" inventé 300 ans plus tard ! Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine, membre libre de l’Académie des beaux-arts, vous livre les détails des derniers instants de l'artiste, au cours de sa communication.

Poussin - Apollon amoureux de Daphné, 1665


Philippe Beaussant de l'Académie française, nous livre pour sa part une lecture sensible de l'œuvre du Titien sur lequel il a beaucoup travaillé.

Titien, Autoportrait
© Madrid, Museo National del Prado

Le Titien s'est complètement transformé en vieillissant.
Observons Vénus, une de ses premières œuvres. On retrouve la finesse, la douceur du pinceau propre au Titien ; une certaine sensualité qui s'insinue dans la peinture. Il a alors 25 ans.
Grand portraitiste, sans doute l'un des plus grands, il peint ses protagonistes dont le regard vous force à vous interroger.
« En revanche, lorsqu'il se peint lui-même, c'est de profil ; ne regardant pas le spectateur, il impose son mystère. Dans l'autoportrait où il se peint déjà âgé, il nous fait ressentir une certaine lenteur dans le regard, la tête, les mains. On sent qu'il vieillit » explique Philippe Beaussant.

Les effets de l'âge se font en effet ressentir. L'arthrose s'installe dans les mains. A la fin de sa vie, manipuler les pinceaux devient de plus en plus douloureux. Avant-gardiste, il termine ses toiles avec ses doigts.

C'est ce qu'on observe dans Le supplice de Marsyas peint à l'âge de 86 ans. Dans cette scène, le faune ayant perdu le pari face à Apollon, est condamné par le roi Midas à être écorché vif.
Le Titien occupe un rôle dans cette toile. Le personnage pensif à droite est en effet le peintre lui-même. Pense-t-il à la mort, à la douleur ? Les pinceaux semblent en tout cas trop difficiles à manipuler, il peint le ciel avec ses doigts de manière presque impressionniste.

Le supplice de Marsyas (Le Titien, 1575-76)
© Musée national de Kromeriz (Rép. Tchèque), env. 1570

Dans La piéta de Venise, il figure sa propre mort pour sa propre tombe. Dans cette toile, Le Titien se représente en vieux rampant qui touche le corps du Christ.
Pour Philippe Beaussant, « sur cette dernière toile en forme de salut, il nous fait cependant un clin d'œil : si vous observez scrupuleusement la tache sombre sous la statue de sibylle, vous constaterez qu'il s'agit en réalité d'un petit tableau fait au doigt, représentant un vieillard en prière, certainement peint quelques jours avant sa mort ».

Le Titien, La Pietà(1575-1576), Gallerie dell’Accademia.
© 1990. Photo SCALA, Florence - courtesy of the Ministerio Beni e Att. Culturali
Gros plan sur le tableau au pied de la sibylle

1347 : les débuts de la peste à Venise

Quelques temps après la mort du Titien se déclare la peste noire à Venise. Paul Léophonte, ancien chef de service de pneumologie à l’hôpital Larrey, membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, revient sur l'imprégnation de la peste noire dans les œuvres de peinture.
« La peste noire a commencé en 1347 dans les comptoirs génois, attaqués par les Tartares. Dès lors, la peste sévira pendant quatre siècles, décimant un tiers de la population vénitienne ».
Le Tintoret représente la peste par les serpents dans son tableau Le Serpent de Bronze.
Il représente le déni dans ce tableau, le déni d'une ville qui ne veut pas interrompre son commerce maritime et veut éviter de voir courir le bruit de sa fragilité auprès de ses ennemis.

Le Tintoret, Le serpent de bronze
© e-venise.com

Dans Le retable de Saint-Marc du Titien, peint en 1510, on voit Saint-Sébastien le corps criblé de flèches. On l'a associé à la peste pour que cette dernière cesse. Derrière Saint Sébastien, un homme montre son bubon, une piqûre de puce de rat qui provoque la mort sous 8 jours.

Le Titien, Le retable de Saint Marc
© e-venise.com

Dans Le Christ arrêtant la peste de Véronèse, peint en 1565, on retrouve des provéditeurs : ils réorganisent la cité pour pallier le manque de personnel administratif ravagé par la peste. Ils imposent les quarantaines pour les bateaux et déplacent les malades dans l'île du Lazaret.
Pour lutter contre les miasmes, on brûle des herbes aromatiques, utilisées notamment par les médecins dans leurs masques à long bec, au moment des saignées.

Véronèse, Le Christ arrêtant la peste
© Musée des beaux-arts de Rouen

Écoutez les interventions de Jacques-Louis Binet, Philippe Beaussant et Paul Léophonte. Ils intervenaient dans le cadre de la journée du livre médical 2010 avait lieu le 17 septembre à l’Académie nationale de médecine (ouverte au public).

En savoir plus :

- Philippe Beaussant de l'Académie française
- Philippe Beaussant sur Canal Académie

- Jacques-Louis Binet sur Canal Académie

- Ecoutez également l'émission : Poussin, Chardin, Le Titien, Buffet : leurs œuvres ultimes avant la mort

A lire :

Philippe Beaussant, Titien : Le chant du cygne, édition Fayard 2009

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