Voyage au pays du baroque avec Gilles Cantagrel

Un dossier spécial de la revue de l’Académie des beaux-arts
Avec Gilles CANTAGREL
Correspondant

Gilles Cantagrel, correspondant de l’Institut, raconte le baroque dans la publication printemps 2010 de la revue de l’Académie des beaux-arts. Avec l’aide de Philippe Beaussant et de William Christie, il revisite ce terme souvent mal employé et nous plonge, pour notre plus grand plaisir, dans les beautés d’une période stimulante intellectuellement et incroyablement multiculturelle.

Pour sa publication printanière de l'année 2010, la revue de l'Académie des beaux-arts a eu raison d'un sujet ou plutôt d'un vocable souvent mal compris et utilisé souvent "à toutes les sauces" comme on dit : «Baroque». Ce mot si difficile à définir signifiait autrefois le «biscornu», le «malfichu», le «bizaroïde» (on disait d'une perle qu'elle était baroque lorsqu'elle n'était pas pure) puis il a désigné in extenso le bizarre en art. Pour sa rédaction, la revue a sollicité les académiciens Philippe Beaussant et William Christie sous la houlette de Gilles Cantagrel, correspondant de l'Académie des beaux-arts et spécialiste de la période baroque.

Qu'en est-il exactement de la musique baroque ? De quand date t-elle ?

C'est suite à l'élection de William Christie, l'un des plus ardents défenseurs de la musique baroque en France, que le comité de rédaction de la lettre de l'Académie a eu l'idée de faire un dossier spécial Musique française et art baroque et a sollicité Gilles Cantagrel.

Dans cette émission, il nous explique qu'il est d'abord parti d'une simple question : «Y-a-t-il une musique française à l'époque baroque ? Au fond, qu'est-ce qu'une musique baroque en France ?»

Le baroque : une fantaisie de la pensée articulée sur la rigueur de la pensée

Corneille condense dans la pièce <i>L’Illusion comique<\/i> (écrite en 1635) tous les genres théâtraux.

- «Au tout début, le terme de baroque (dans son utilisation contemporaine) est employé par les grands maîtres de l'esthétique allemands du XIXème siècle. Il désigne une période très précise de la peinture et de la sculpture, à un moment où tout devient mouvement, illusion, trompe-l'oeil. Puis on étend ce terme aux autres arts, d'abord à la littérature (avec par exemple L'illusion comique de Corneille du début du XVIIème siècle) et puis à l'opéra, au monde de l'illusion ou de celui du mensonge qui peut cacher une réalité indicible. Cet art, riche, se fonde en matière picturale et architecturale sur une structure à la fois rigoureuse et souple comme le montrent les églises de Borromini. Ce sont à la fois des lignes droites, perpendicualires et des drapées, des volutes, de la folie.»

A l'origine du baroque : un renouvellement de la musique

Pour mieux définir la musique baroque Gilles Cantagrel propose de l'associer à la période des arts baroque. De 1600 jusqu'à 1750 (la mort de Bach) l'époque musicale est très particulière. Elle voit naître l'opéra, l'oratorio, les arts de la scène. On ne parle plus de stricte polyphonie comme à la renaissance mais de musique vocale soliste. «C'est la naissance de la musique instrumentale autonome. Une véritable révolution ! Peu après apparaît le Traité des passions de l'âme de Descartes. Il y a en effet une mise en mouvement des sentiments de l'âme. Le mot «émouvoir» prend alors tout son sens. Et tout à coup la musique se met à s'exprimer à la première personne.»

William Christie : le renouveau du baroque par le retour aux sources

L'entrée de William Christie à l'Académie des beaux-arts le 27 janvier 2010 concrétise l'accomplissement d'une nouvelle ère pour le baroque. Un renouveau qui démarre aux sources. «Avec son ensemble «Les Arts Florissants» créé il y a plus de 30 ans, le musicien a voulu revenir aux documents d'origine pour établir une nouvelle partition. Il a contribué à lancer un mouvement de recherche de fraicheur et de rigueur scientifique. Mieux comprendre les raisons de composition, mieux étudier les traités anciens, l'organologie (l'étude des instruments de musique), les modes de jeu, etc. permettent de mieux appréhender la musique baroque, elle-même devenue au fil du temps un mode de pensée et d'agir. Aujourd'hui un musicien qui joue du Chopin ou du Debussy va se préoccuper de l'instrument sur lequel il joue.»

Le baroque : un mode de vie multiculturel

Dans la lettre de la revue de l'Académie des beaux-arts figure un article de Philippe Beaussant qui montre à quel point l'influence des langues européennes a pesé sur la musique baroque. Comme l'explique ce dernier : «on pouvait être Allemand, aller travailler en Angleterre, et écrire de la musique italienne !» Un monde moderne avant l'ancien ? Gilles Cantagrel s'enthousiasme : «mais oui : il n'y avait pas de douaniers aux bornes des royaumes. Aucun espace Schengen ! L'Europe existait !»

C'est la libre circulation des idées que met en avant dans cette émission notre invité. Les gens étaient au courant de tout malgré la distance. Leipzig, centre de l'Europe et grand carrefour économique, correspondait aussi à la capitale de l'édition du livre et représentait donc un carrefour des idées. «Imaginez-vous : Vivaldi, vénitien, fait imprimer ses concertos à Amsterdam. A Dresde, travaillaient des musiciens italiens, des peintres italiens, des architectes italiens... et il y avait dans l'orchestre de la ville un Bohémien, un Français... les orchestres étaient internationaux déjà à cette époque. Les compositeurs se communiquaient la connaissance qu'ils avaient de leurs styles.»

Dans ce nomadisme intellectuel, Gilles Cantagrel propose de porter notre regard sur 3 personnages, une façon d'éclairer son propos :

L'exemple de Froberger

Johann Jakob Froberger (1616 - 1667)

- Le compositeur allemand Johann Jakob Froberger, natif de Stuttgart montre à quel point l'on pouvait circuler à l'époque. Il va travailler à Vienne, à Venise, fait 3 fois l'aller-retour entre Vienne et Venise. Il va jusque dans les Flandres, à Bruxelles, séjourne à Paris, à Londres, revient à Paris, va mourir en Lorraine à 50 ans seulement. Il a été le propagateur du style italien dans toute l'Europe car toute l'Europe se met à l'école de l'Italie en matière d'architecture et de peinture.

L'exemple de Telemann

Georg Philipp Telemann (1681 - 1767) d’après une peinture disparue de Ludwig Michael Schneider (1750)

- Les compositeurs de l'époque sont tous polyglottes dans leur vocabulaire tout comme dans leur façon de parler ou de faire de la musique... Georg Philipp Telemann arrive tout jeune en Pologne et est sidéré par les musiques traditionnelles polonaises. A une époque où on ne s'occupait pas des paysans, des "rustres", lui les trouve plutôt fascinants : «à écouter ces gens du peuple, du terroir et à prendre des notes pendant une semaine, on emmagasinerait des idées pour pouvoir composer toute sa vie.»

L'exemple de Bach

Jean-Sébastien Bach (1685 - 1750) en 1748, Portrait par Elias Gottlob Haussmann

- Jean-Sébastien Bach est autodidacte. Orphelin, il a dû travailler de très bonne heure. Il n'a pas eu le temps ni les moyens d'aller à l'université. Il a tout appris par lui-même en lisant et recopiant les partitions, en lisant des livres et des traités, en rencontrant des gens, des collègues, des compositeurs, des musiciens mais aussi des philosophes, des théologiens et a acquis une culture phénoménale. Il connait à fond la musique française, italienne, polonaise, anglaise, flamande, de l'Europe du nord...

En somme, qu'est-ce que le baroque sinon une sorte de langage universel, européen, et un formidable rêve de réunir les goûts ? Peut-être aussi une alchimie mystérieuse dans un multiculturalisme flamboyant. Et assurément, le bonheur de l'être humain dans son «moi» le plus profond.

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