Jean-Luc Marion : ses prédécesseurs sur le 4e fauteuil de l’Académie française

avec Mireille Pastoureau, directeur conservateur de la Bibliothèque de l’Institut
Jean-Luc MARION
Avec Jean-Luc MARION de l’Académie française,

Jean-Luc Marion occupe sous la Coupole le 4e fauteuil, succédant ainsi au cardinal Jean-Marie Lustiger. Mais quels furent ses vingt prédécesseurs depuis la création de l’Académie ? Réponses en compagnie de Mireille Pastoureau, directeur de la bibliothèque de l’Institut qui réunit les cinq Académies composant l’Institut de France.

Le texte ci-dessous est résumé à partir du document rédigé par Mireille Pastoureau, directeur de la Bibliothèque de l’Institut. Il est téléchargeable dans son intégralité sur le site www.bibliotheque-institutdefrance.fr. Il offre toutes les références des ouvrages disponibles dans le fonds de la bibliothèque.

1. Le tout premier titulaire de ce 4e fauteuil fut Jean DESMARETS de SAINT-SORLIN (1595-1676). Élu membre de l'Académie française en 1634. Poète, dramaturge, romancier.
Ce libertin converti, conseiller du roi Louis XIII, contrôleur général de l’extraordinaire des guerres, secrétaire général de la marine du Levant, était aussi un habitué du salon littéraire de la marquise de Rambouillet. Protégé du cardinal de Richelieu, il fit partie de l'Académie française dès sa création et en fut le premier chancelier, fonction qu’il conserva du 13 mars 1634 au 11 janvier 1638. L’Académie tint quelques séances chez lui. Il fut l’un des examinateurs du Cid et participa à la rédaction des statuts de l’Académie.
En 1645, il devint extrêmement dévot et ne produisit plus dès lors que des œuvres à sujet religieux. En 1657, Desmarets composa un poème épique, Clovis ou la France chrétienne, dans lequel il mettait en relief les origines divines de la monarchie française. Cet ouvrage lui valut les sarcasmes de Boileau, qui était hostile à l'introduction du merveilleux chrétien dans la poésie épique. Desmarets répondit par un essai intitulé Comparaison de la langue et de la poésie française avec la grecque et la latine, dans lequel il concluait à la supériorité de la première et des miracles chrétiens sur les légendes païennes, ce qui donna le coup d'envoi de la Querelle des Anciens et des Modernes où il se montra un des plus acharnés contre les Anciens.

2. Jean-Jacques de MESMES (1640-1688), dit « le Président de Mesmes ». Élu membre de l'Académie française en 1676. Magistrat.
Il appartenait à une ancienne famille de Champagne, originaire du Béarn. Il fut intendant de Soissons, conseiller au Parlement, maître des requêtes, et ensuite président à mortier au Parlement de Paris, puis conseiller d’État. Homme érudit, il possédait une importante bibliothèque et, lors de voyages en Italie, conçut une grande admiration pour l’architecture et la musique baroques. Ayant racheté le village d’Écry pour arrondir son fief du sud des Ardennes, il lui donna son nom et chargea en 1683 le frère dominicain François Romain, célèbre architecte de l'époque, d’en reconstruire l’église dans le style italien, avec la forme d'un instrument de musique. C’est ainsi que l’église Saint-Didier d’Asfeld, édifiée en briques, ceinte de colonnades et couronnée de dômes, prit la forme très originale d’une viole de gambe. Son fils, Jean-Antoine de Mesmes, fut également membre de l'Académie française.

3. Abbé Jean TESTU de MAUROY (1626-1706). Élu à l'Académie française en 1688. Précepteur des filles du duc Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, il était abbé de Fontaine-Jean et de Saint-Cheron, près de Chartres. Il fut élu par l’Académie, de préférence à Fontenelle, sur la recommandation du duc d’Orléans.

4. Camille LE TELLIER de LOUVOIS (1675-1718), dit « l’Abbé de LOUVOIS ». Membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie des Inscriptions, il fut élu à l'Académie française en 1706. Quatrième fils du grand ministre de Louis XIV, il fut destiné de bonne heure à l’Église et reçut, dès l’enfance, des charges et bénéfices importants. A 9 ans, il fut nommé maître de la Librairie, garde de la Bibliothèque du roi et intendant du Cabinet des médailles. Instruit par les meilleurs maîtres, ardent dans l’étude, il devint docteur en Sorbonne à 25 ans et gouverna ensuite la bibliothèque par lui-même. Alors qu’il avait pensé succéder à son oncle sur le siège de Reims, il vit son élévation arrêtée par les jésuites et par Madame de Maintenon, soupçonné de jansénisme. Il mourut de la maladie de la pierre, à 44 ans. Son discours de réception est son seul ouvrage.

5. Jean-Baptiste MASSILLON (1663-1742). Éduqué chez les Pères de l’Oratoire à Hyères, sa ville natale, puis à Marseille, il rejoignit les Oratoriens à Aix à 18 ans. On lui confia des tâches d’enseignement mais c’est dans la prédication qu’il manifestait une aptitude particulière. Ses succès d’orateur le firent appeler à Paris où il prêcha le carême à l’Oratoire. Bourdaloue l’y entendit et déclara avoir trouvé son maître. En 1700, il prêcha l’Avent à Versailles devant Louis XIV. Il prononça plusieurs oraisons funèbres, entre autres celles des princes du sang, le Prince de Conti (1709), le Dauphin (1711), et celle du roi (1715). En 1717, il fut nommé évêque de Clermont et, l'année suivante, prêcha devant le Dauphin, le futur Louis XV, alors âgé de 8 ans, les dix sermons dont le recueil est connu sous le nom de Petit Carême, et qui passe pour un des plus beaux monuments de notre langue. Élu membre de l’Académie française en 1718, il ne s'y rendit qu'une seule fois, le 23 février 1719, jour de sa réception, préférant rester près des fidèles dans son diocèse. Il ne retourna à Paris qu’une fois pour prononcer à la basilique de Saint-Denis l’oraison funèbre de la duchesse douairère d'Orléans (la fameuse princesse Palatine), mère du Régent en 1722.

6. Louis-Jules MANCINI-MAZARINI, duc de NIVERNAIS (1716-1798). Élu à l'Académie française en 1742 et à l’Académie des inscriptions en 1744. Troisième et dernier duc de Nevers, dit de Nivernais, petit-neveu de Mazarin et beau-frère du ministre de Maurepas. Madame Geoffrin le jugea sévèrement : « Il est manqué de partout : guerrier manqué, ambassadeur manqué, homme d’affaires manqué, auteur manqué, homme de naissance manqué » et une autre dame le décrivit comme « petit, bossu, mais plein d’esprit ». Il est vrai que, grand d’Espagne par sa mère, possédant la deuxième fortune de France, mais épris de littérature et d’histoire, c’est plus par devoir que par ambition qu’il joua un rôle politique. Il fut élu à l'Académie française, à 26 ans. Refusant d’émigrer, il fut emprisonné sous la Terreur et échappa de peu à la guillotine.

7. Gabriel-Marie LEGOUVÉ (1764-1812). Élu membre associé non résident de l’Institut en 1796 dans la troisième classe (Littérature et beaux-arts, section de poésie). Nommé dans la deuxième classe (Langue et littérature françaises) en 1803. Poète, auteur dramatique. Fils d’un avocat célèbre qui l'éleva dans le goût des belles lettres et lui laissa une fortune importante. Manifestant dès le collège un don pour la poésie latine, il se fit connaître avec sa première tragédie la Mort d’Abel, créée sous la Révolution et surtout, en 1801, avec le Mérite des femmes, poème qui eut plus de quarante éditions. Admirateur de Racine, il composa des tragédies, des nouvelles et des élégies. Pendant plusieurs années, il suppléa Delille dans sa chaire de poésie latine au Collège de France. De 1807 à 1810, il dirigea le Mercure de France. En 1810, il sombra dans la folie et mourut en 1812 dans un asile psychiatrique. Il laissait un fils âgé de cinq ans, Ernest Legouvé (1807-1903), qui fut aussi écrivain et membre de l'Académie française.

8. Alexandre-Vincent Pineux-Duval dit Alexandre DUVAL (1767-1842). Élu membre de l'Académie française en 1812. Comédien, poète, auteur dramatique. Il arrêta ses études à 14 ans pour s’enrôler comme volontaire en Amérique, fut ensuite élève-ingénieur des Ponts et Chaussées et eut divers emplois buraliste, marin, militaire, ingénieur, acteur, et se fit enfin auteur. La Révolution bouleversa sa vie : il se tourne vers le théâtre, sa seule passion. Sa carrière débuta en 1790 par des rôles d’acteurs mais il se consacra rapidement à l’écriture dramatique. Il fit représenter soit seul, soit avec Louis-Benoît Picard ou avec d’autres, près de soixante pièces, la plupart à la Comédie-Française ou à l’Opéra Comique. Il devint directeur du Théâtre Louvois puis de l’Odéon en 1807. Il fut nommé administrateur de la bibliothèque de l’Arsenal en 1831. Vers 1840, devenu presque aveugle, il cessa toute activité. Il était le frère d’Amaury Charles-Alexandre Duval-Pineux, dit Amaury Duval (1760-1838), diplomate, historien, archéologue et homme de lettres, membre de l’Académie des Inscriptions, père du peintre Amaury-Duval (1808-1885).

9. Pierre-Simon BALLANCHE (1776-1847). Élu à l'Académie française en 1842. Philosophe. Fils d’un d'imprimeur lyonnais, né dans un milieu catholique et royaliste, il fut marqué à vie par les horreurs de la répression de la Convention après la révolte de Lyon en 1793. Il dirigea pendant quinze ans l’imprimerie familiale, la plus importante de Lyon. Dans le Bulletin de Lyon, qui sortait de ses presses, il publia ses premiers travaux littéraires. Il inventa même une machine à composer. Féru de culture antique, grand connaisseur de Fénelon et de Rousseau, il lut aussi les philosophes des Lumières. En 1802, il fut élu à l’Académie de Lyon et fit la connaissance de Chateaubriand. En 1812, il rencontra, Juliette Récamier et lui voua sa vie durant un culte platonique devenu légendaire. Il la suivit à Paris en 1817, après avoir abandonné son industrie et choisi la vie d’écrivain. Il fut dès lors, avec Chateaubriand, un familier de l'Abbaye au Bois. Il est enterré dans le tombeau familial des Récamier au cimetière de Montmartre. Son oeuvre commence avec la Restauration. Elle se rattache à une mystique de l’histoire et va de pair avec le libéralisme catholique (Essai sur les institutions sociales )(1818). Il fut élu à l’Académie à la quatrième tentative.

10. Jean VATOUT (1791-1848). Historien. La rumeur l'a donné pour un fils naturel de Philippe-Égalité, sans doute en raison de la familiarité qu’il entretint avec les Orléans. Secrétaire de Boissy d'Anglas jusqu'en 1814, il fut sous-préfet pendant les Cent-Jours et au début de la Restauration. En 1822, il entra comme secrétaire particulier, puis comme bibliothécaire, dans la famille d'Orléans dont il suivit ensuite la fortune. Une certaine concordance de goûts le rapprochait du roi Louis-Philippe. Après 1830, il fut conseiller d'État, président du Conseil des bâtiments civils, président de la commission des monuments historiques (1837) et député de Semur de 1831 à 1840. Il se présenta plusieurs fois à l'Académie à partir de 1841, fut le concurrent de Sainte-Beuve et sept tours de scrutin ne purent déterminer une majorité. Il fut enfin élu le 6 janvier 1848 mais jamais reçu officiellement à l’Académie car il avait suivi Louis-Philippe dans l'exil et peu après son installation avec le roi dans le château de Claremont, dans le Surrey, au printemps 1848, il est décédé d'un empoisonnement par saturnisme dû à la vétusté de la tuyauterie en plomb du château. Ses Mémoires inédits sont en cours d’édition.

11. Alexis de GUIGNARD, comte de SAINT-PRIEST (1805-1851). Élu membre de l'Académie française en 1849. Homme politique, historien.
Né et élevé en Russie où son grand-père, ancien ministre et diplomate de Louis XVI, avait émigré pendant l’Empire, son père était devenu gouverneur civil d’Odessa, et sa mère était la princesse Sophie Galitzin. Très lié avec le fils aîné du duc d’Orléans, il se rallia à la monarchie de Juillet qui le nomma chargé d’affaires à Parme en 1831, puis ministre plénipotentiaire au Brésil, au Portugal et au Danemark. Après dix ans de carrière diplomatique, il revint en France et fut nommé à la chambre des Pairs. Il s’occupa alors surtout de littérature et d’histoire, collabora à la Revue des Deux Mondes et traduisit du théâtre russe. Il mourut de la fièvre typhoïde lors d’un voyage à Moscou alors qu’il préparait un ouvrage sur le ministère de Choiseul.

12. Pierre-Antoine BERRYER (1790-1868). Élu membre de l'Académie française en 1852. Avocat, homme politique. Fils de l'avocat Pierre-Nicolas Berryer, Pierre-Antoine Berryer, appelé « Berryer le fils », fut une grande figure du parti royaliste légitimiste. Elève assez médiocre chez les Oratoriens du collège de Juilly, il devint un brillant avocat sous la Restauration en défendant des personnalités de l'Empire, le maréchal Ney, les généraux Debelle et Cambronne. Sous la monarchie de Juillet, il défendit Chateaubriand, emprisonné pour avoir milité en faveur de la libération de la duchesse de Berry, et fit partie du conseil de défense du prince Louis Napoléon Bonaparte jugé devant la Chambre des pairs en 1840 après l'expédition de Boulogne-sur-Mer. Il se lança dans la politique dans les rangs du parti légitimiste dès 1830. Après la Révolution de Juillet, bien qu’ayant prêté le serment de fidélité exigé par la charte de 1830, il devint l'un des principaux orateurs de l'opposition. Lorsque la duchesse de Berry vint en France pour organiser une insurrection royaliste en Vendée, les chefs du parti légitimiste l’envoyèrent auprès d'elle pour tenter de l'en dissuader. Il la rencontra dans une ferme isolée et eut avec elle un long entretien dans lequel il usa vainement de son éloquence. La duchesse persista dans ses projets qui se soldèrent par une déroute complète. Berryer fut arrêté, puis acquitté. En 1835, il rendit visite à Charles X et au duc d'Angoulême en exil à Prague. Après la mort de Charles X, il fit partie des chefs légitimistes qui allèrent à Belgrave Square à Londres, jurer leur fidélité au comte de Chambord. La Révolution de 1848 le maintint dans l’opposition. Tandis qu'une minorité de légitimistes voulaient en appeler au suffrage universel pour rétablir la monarchie, Berryer, élu des Bouches-du-Rhône à la Constituante en 1848 et à l’Assemblée législative en 1849, choisit, avec la majorité de ses amis et avec le comte de Chambord lui-même, d’agir au sein de l'Assemblée nationale constituante contre la République et pour la reconnaissance parlementaire du droit divin. À partir de décembre 1850, il fit partie, aux côtés d'Alexis de Tocqueville, du cercle qui se réunissait chaque semaine place de la Concorde chez le marquis de Pastoret pour défendre les intérêts de la monarchie. Lors du coup d'État du 2 décembre 1851, il fut au nombre des représentants qui, réunis à la mairie du Xe arr., votèrent la déchéance du Prince-Président. Arrêté, puis remis en liberté, il se retira de la vie politique et revint au barreau qui le nomma bâtonnier en 1854. En 1863, il accepta, à la faveur de l'évolution libérale du Second Empire qui rendait un peu de pouvoir au Corps législatif, d'être porté comme candidat d'opposition aux élections législatives dans les Bouches-du-Rhône et il fut élu. En 1868, année de son décès, il soutint son jeune collègue du barreau Jules Ferry, qui avait dénoncé dans une série d'articles virulents parus dans le journal Le Temps, la destruction du vieux Paris par le baron Haussmann. Candidat à l’Académie française une première fois en 1840 et ayant obtenu une voix, il fut élu en 1852 grâce au parti monarchiste, mais ne fut reçu qu'en 1855. À cette occasion, il demanda à être dispensé de la visite obligatoire au chef de l'État en expliquant qu'il serait peut-être désagréable à l'empereur de se retrouver en face de son ancien avocat.

13. François-Joseph de CHAMPAGNY (1804-1882). Élu à l'Académie française en 1869. Journaliste, historien. « Franz » de Champagny, était le fils de Jean-Baptiste Nompère de Champagny, ministre de Napoléon, devenu duc de Cadore en 1808 et pair de France sous la Restauration. Né à Vienne (Autriche) où son père était ambassadeur, il collabora à plusieurs revues, notamment la Revue des Deux Mondes, et fonda la Revue contemporaine. Royaliste et clérical, il fut plusieurs fois candidat à l'Académie, soutenu par Guizot et Dupanloup, mais n'était pas nettement hostile à l'empereur, car deux de ses frères étaient députés. Son élection fut l'objet d'un marchandage entre le parti politique de Guizot et les partisans de l’empereur. Ses travaux historiques portent sur l’Empire romain et les débuts de l’Église.

14. Charles de MAZADE (1820-1893). Élu à l'Académie française en 1882. Poète, journaliste et historien. Né à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), il était petit-fils d’un conventionnel, fils de magistrat et fit ses études à la faculté de droit de Toulouse. À 20 ans, il vint à Paris, où il se fit connaître par des œuvres poétiques et collabora notamment à la Revue des Deux Mondes dont il demeura le plus fidèle des chroniqueurs politiques. Il publia plusieurs ouvrages d’histoire contemporaine consacrés à la situation en Europe. Il est inhumé à Flamarens (Gers).

15. José-Maria de HEREDIA (1842-1905). Élu à l'Académie française en 1894. Né d’un père cubain et d’une mère française, il vint au monde dans la plantation de café familiale, près de Santiago de Cuba. Arrivé en France à l'âge de 9 ans, après le décès de son père, il suivit de brillantes études au collège de Senlis. La découverte de l’œuvre de Leconte de Lisle fit sur lui une impression profonde. De retour à Cuba en juin 1859, il passa un an à La Havane, approfondissant sa connaissance de la langue et de la littérature espagnoles, avec le projet d'y poursuivre des études de droit. C'est à Cuba qu'il composa les premiers poèmes français qui nous sont parvenus. Mais il n'y trouva pas l'ambiance de travail qu'il avait connue en France, et l'équivalence du baccalauréat français lui fut refusée pour des raisons administratives. Il revint donc en France en 1861 et s'inscrivit à la faculté de droit de Paris. De 1862 à 1865, il suivit également, à titre étranger, les cours de l'École des chartes mais, après avoir obtenu deux sursis, n’acheva jamais sa thèse et ne porta donc jamais le titre d’archiviste-paléographe.
Ses ambitions et ses goûts étaient avant tout littéraires et la fortune de sa famille lui épargna pendant un certain temps les problèmes matériels. Il appartint à des associations littéraires et fut un membre influent de l'école parnassienne. En 1863, il fit la connaissance de Leconte de Lisle et, à 23 ans, alors qu’il n’avait publié que huit sonnets dans la presse en trois ans, il eut le privilège de compléter avec cinq sonnets la première livraison du premier Parnasse contemporain, qui comprenait Théophile Gautier et Théodore de Banville. Ainsi devint-il célèbre dans le milieu littéraire parisien. Pourtant, il publia peu, fit paraître ses poésies dans des revues littéraires de faible diffusion, avant de les réunir plus tard, en 1893, en un volume de 118 sonnets, Les Trophées. Ce recueil parut comme le chef-d’œuvre de l’esthétique parnassienne. Quelques mois plus tard, il obtint la nationalité française et l’année suivante, entra à l'Académie française. Ruiné au jeu, ses amis le sauvèrent en 1901 en lui trouvant la place de conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal qu’il conserva jusqu’à sa mort et où il se montra un excellent administrateur. Son salon que fréquentaient de jeunes écrivains comme Valéry, Gide, Proust, est resté célèbre. Ses trois filles y participaient ; l’une d’elles, Marie, femme de lettres, épousa en 1896 le poète Henri de Régnier, élu à l’Académie française en 1911.

16. Maurice BARRÈS (1862-1923). Élu à l'Académie française en 1906. Essayiste, romancier, homme politique. Né à Charmes (Vosges), il avait assisté, enfant, à la défaite des armées françaises en 1870 et avait été marqué par les trois années d’occupation par les armées prussiennes. Dans les années 1880, il fréquenta à Paris le cénacle de Leconte de Lisle et les milieux symbolistes. Il accéda à la notoriété grâce à la publication de la trilogie romanesque, Le Culte du Moi (1888-1891). En vantant l’exaltation et l’analyse des sentiments, le jeune dandy devint un modèle pour la jeunesse de son temps. Parallèlement, il se lança dans la politique. Boulangiste par anticonformisme et par rébellion contre l’ordre établi, il fut élu député de Nancy en 1889. L’Affaire Dreyfus, qu’il vécut comme une menace de désintégration de la communauté nationale, l’incita d’emblée à se placer dans le camp des antidreyfusards, dont il devint l’un des chefs de file. Dès lors, sa pensée s’orienta vers un nationalisme traditionaliste, fondé sur le culte de la terre et des morts.
Pour défendre ses idées, il fonda, en 1894, son propre journal, La Cocarde. Il publia une nouvelle trilogie, Le Roman de l’énergie nationale, qui débute en 1897 avec Les Déracinés et se poursuit avec L'Appel au Soldat en 1900 et Leurs Figures en 1902. Ces écrits, en partie autobiographiques, content l’histoire de sept jeunes gens du lycée de Nancy qui abandonnent la Lorraine pour Paris. Dans la capitale, ils connaissent toutes sortes de déboires et de désillusions. À la suite de « l’Affaire », il ne quitta plus l’arène politique, assumant la présidence de la Ligue de la Patrie française puis celle de la Ligue des patriotes, à la tête de laquelle il succéda à Paul Déroulède en 1914. Dès avant la guerre, cependant, l’année 1906 lui apporta la consécration politique et littéraire grâce à une double élection : comme député de Paris — il le resta jusqu’à sa mort — et comme académicien. Il fut le maître à penser de toute une génération.

17. Louis BERTRAND (1866-1941). Élu à l'Académie française en 1925. Romancier, essayiste, historien. Originaire de Lorraine, comme Maurice Barrès au fauteuil duquel il fut élu après une vacance de trois ans, Louis Bertrand avait suivi de classiques études de lettres. Grand amateur de poésie, il était réputé pour savoir par cœur des milliers de vers de Bourget, Sully Prud’homme, Banville, Leconte de Lisle, Mallarmé, Heredia et admirait vivement Flaubert et Loti. Il fut nommé professeur de rhétorique aux lycées d’Aix-en-Provence et de Bourg-en-Bresse, puis d’Alger de 1891 à 1900, où il obtint son doctorat en 1897. Déplacé à Montpellier par son administration qui le jugeait trop indépendant, il choisit en 1901 de démissionner de l’enseignement et de se consacrer à la littérature. Disciple de Maurras et de Gobineau, il publia une quarantaine de romans et essais consacrés à l’Algérie, mais aussi à la Méditerranée et à l’Orient, qui mettaient en valeur la filiation de la colonisation française avec la civilisation romaine. Un voyage en Orient en 1906, en mission pour la Revue des Deux-Mondes, le conduisit en Égypte, Grèce, Turquie, Syrie et Asie Mineure. À cette occasion, il redécouvrit la foi chrétienne et publia ensuite des biographies de saints : Saint Augustin (1913), Sainte Thérèse (1927) et Sanguis martyrum (1918), épopée de l’Afrique chrétienne. Son éloge de Maurice Barrès à l’Académie, jugé trop modéré, déclencha une polémique dans une partie de la presse.

18. Charles, dit Jean, THARAUD (1877-1952). Élu à l'Académie française en 1946. Romancier, chroniqueur, mémorialiste. Jean et Jérôme Tharaud, son frère aîné – dont les véritables prénoms étaient Charles et Ernest - naquirent à Saint-Junien en Haute-Vienne, mais passèrent leur jeunesse à Angoulême. Jean échoua au concours de Saint-Cyr et s’installa à Paris pour préparer le concours de l’Inspection des finances. Après un nouvel échec, il se lança dans les lettres, commençant avec son frère une carrière d’écrivains inséparables. Il rencontra Barrès dont il fut le secrétaire lors des absences de Jérôme. Il partit également avec ce dernier suivre l’expédition Lyautey au Maroc.
Pendant cinquante ans, les deux frères poursuivirent une œuvre à quatre mains, signant toujours de leurs deux prénoms, le cadet chargé du premier jet et Jérôme de la mise au point. Infatigables voyageurs, ils parcoururent de nombreux pays, la Palestine, l'Iran, le Maroc, la Roumanie. Les frères Tharaud ont été tous deux élus à l'Académie française, mais à des dates différentes. L'élection de Jérôme Tharaud avant la guerre a posé aux académiciens un cas de conscience, car l'écrivain n'était que « la moitié d'un couple d'auteurs » et on ne pouvait pas élire deux personnes au même fauteuil. Jérôme ayant été élu seul en 1938, la Seconde Guerre mondiale puis l'Occupation ont différé l'élection de Jean. Après la Libération, il fut l’un des cinq académiciens élus le 14 février 1946, lors de la première élection groupée de cette année visant à combler les très nombreuses places vacantes laissées par la période de l'Occupation.

19. Alphonse JUIN (1888-1967). Élu à l'Académie française en 1952. Il était fils et petit-fils de gendarme, naquit à Bône (Algérie). Il sortit major de Saint-Cyr en 1912, dans la même promotion que le général de Gaulle. Sous-lieutenant, il fut affecté au Maroc où, jusqu'en 1914, il participa aux opérations de pacification. Lors de la Première Guerre mondiale, il participa comme lieutenant, avec les troupes marocaines, aux combats de la Marne et, grièvement blessé en 1915, perdit définitivement l'usage de son bras droit. Nommé capitaine en 1916, il combattit ensuite au sein du 1er régiment de tirailleurs marocains. En 1921, il obtint de si bons résultats à l'École de guerre qu'il fut maintenu comme professeur stagiaire. Il servit ensuite de nouveau en Afrique du Nord sous les ordres du maréchal Lyautey et fut proposé à titre exceptionnel pour le grade de chef de bataillon. Il gravit les échelons, fut promu chef d’état-major des forces armées de l’Afrique du Nord, puis, à la fin de l’année 1938, général de l’armée d’Afrique. En 1939, il fut nommé commandant de la 15e division d’infanterie motorisée. Il couvrit la retraite de Dunkerque en mai 1940 et fut fait prisonnier. Libéré à la demande de Vichy en juin 1941, il fut envoyé comme commandant en chef des forces d’Afrique du Nord. S’étant rallié aux Américains en novembre 1942, il prit la tête du contingent français qui arrêta la force de l’Axe en Tunisie, et contribua à l’anéantissement de l’Afrikacorps. Appelé par de Gaulle à la tête du corps expéditionnaire français en Italie, il imposa aux Alliés son plan d’offensive et perça en mai 1944 le front allemand sur le Garigliano, ouvrant la route de Rome et de Sienne. Son corps fut ensuite affecté au débarquement de Provence. Chef d’état-major général de la Défense nationale de 1945 à 1947, il fut résident général au Maroc (1947-1951). Nommé ensuite inspecteur général des forces armées, il exerça dans le même temps (1951-1956) le commandement interallié des forces terrestres du secteur Centre-europe de l’OTAN. Il fut le seul général de la Seconde Guerre mondiale à avoir été élevé à la dignité de maréchal de France de son vivant, en 1952. Comme le veut la tradition, il fut élu la même année à l’Académie française, à l’unanimité des 25 votants. Pendant tout le XXe siècle les maréchaux français furent en effet élus à l’Académie à l’unanimité des votants, sans qu’ils eussent besoin de faire campagne, d’où l’expression « une élection de maréchal » restée dans le langage courant pour désigner une élection unanime ou presque. Les dernières années de sa vie furent assombries par la guerre d'Algérie. Fidèle à ses origines, il exprima loyalement son attachement à sa terre natale et, en 1962, fit publiquement état de ses divergences avec la politique algérienne du Général de Gaulle. Ce dernier le priva alors de toutes ses prérogatives. Après des funérailles nationales, le maréchal Juin repose aux Invalides.

20. Pierre EMMANUEL (1916-1984). Pour certains, poète de la Résistance, ou poète chrétien, ou philosophique, voire poète érotique ; pour d’autres prosateur, critique littéraire ou encore homme public, ardent défenseur des droits de l’homme, journaliste, homme de radio, président de la commission des affaires culturelles pour le VIe plan, président du Pen Cadministrateur du festival d’Automne, président du nouvel Institut national de l’audiovisuel, fondateur de la Vidéothèque de Paris ou initiateur de la Maison de la poésie, Noël Mathieu, plus connu sous le pseudonyme de Pierre Emmanuel, fut un personnage énigmatique, une figure inclassable de la littérature comme de la vie politique et culturelle française. Il fut privé de son enfance car ses parents, pauvres émigrants aux États-Unis, le confièrent à des membres de leur famille en Béarn puis à Lyon. Se qualifiant lui-même d’homme sans « soi ni toit », ou encore « gêné de soi comme d’un étranger », il vécut des périodes de dépression et une suite de graves accidents de santé. Après s’être évanoui pendant les épreuves du concours d’entrée à l’École polytechnique, en raison d’une primo-infection tuberculeuse, il dut renoncer aux mathématiques, sa vocation première, et s’inscrivit en philosophie à l'université de Lyon. La Jeune Parque de Paul Valéry et Sueur de Sang de Pierre-Jean Jouve, lui révélèrent alors la force de la poésie pour exprimer la vérité profonde des êtres et il publia son premier recueil, Élégies, en 1940, mais c'est avec Tombeau d'Orphée (1941) qu'il acquit une véritable reconnaissance. Réfugié dans la Drôme pendant l'Occupation, il poursuivit ses activités d'enseignant et participa à la Résistance qui lui inspira ses poèmes dits « de guerre ». L'œuvre poétique de Pierre Emmanuel demeure l'une des plus importantes du XXe siècle. Il fut élu à l’Académie française le 25 avril 1968, par 16 voix au quatrième tour. En 1975, il se déclara « démissionnaire » de l'Académie, pour protester contre l'élection de Félicien Marceau.

21. Jean HAMBURGER (1909-1992). Élu à l'Académie des sciences en 1974 et à l’Académie française en 1985. Médecin, essayiste. Né à Paris, il fit ses études au lycée Carnot, puis à la Faculté des sciences et à la Faculté de médecine de Paris. Élève du professeur Louis Pasteur Vallery-Radot, il fut successivement chef de clinique en 1936, médecin des hôpitaux en 1945, agrégé en 1946, médecin de l’hôpital Necker en 1949 et professeur de clinique néphrologique de 1958 à 1982. Il dirigea pendant la même période un laboratoire de recherches de l’INSERM et du CNRS sur le rein et l’immunologie de greffe. Il décida, avec Louis Michon, Oeconomos et Vaysse, la première transplantation rénale en France, en 1952, opération qui eut un retentissement exceptionnel. Il fut le créateur du concept de réanimation médicale en 1953 et de la discipline qu’il proposa de nommer néphrologie, c'est-à-dire l'étude du rein normal et des maladies du rein. Il réalisa le premier rein artificiel français en 1955. Il est l'auteur de recherches fondamentales sur l’immunologie des maladies rénales, l’immunologie des greffes et les maladies auto-immunes. Membre du réseau de résistance du Musée de l'Homme, fondateur et vice-président de la Fondation pour la recherche médicale, membre des Conseils de l'ordre de la Légion d'honneur et des Arts et Lettres, il devint membre en 1974 de l'Académie des sciences et, en 1975, de l'Académie nationale de médecine ainsi que de plusieurs académies étrangères. À partir de 1972, il fut l’auteur d’une série d’essais et œuvres littéraires consacrés à la réflexion d’un biologiste sur la condition humaine, sur les causes de la fragilité du monde actuel, sur la recherche d’un équilibre entre les impératifs biologiques et les exigences spirituelles de l’homme, et sur les limites et les "césures" de la connaissance. En même temps, son attachement à la langue française le conduisit à publier une Introduction au langage de la médecine et à animer un Dictionnaire de médecine. Les archives de Jean Hamburger ont été données à l’Académie des sciences par sa fille, Franka Berger.

22. Albert DECOURTRAY (1923-1994). Élu à l'Académie française en 1993. Homme d'Église. Né à Wattignies (Nord), Albert Decourtray fut élève du Petit Séminaire d’Haubourdin et du Grand Séminaire de Lille. Ordonné prêtre en 1947, il fit ses études supérieures aux Facultés catholiques de Lille, à l’Université Grégorienne et à l’Institut Biblique de Jérusalem. Vicaire à Halluin, en 1951, vicaire général et archidiacre à Roubaix-Tourcoing, en 1966, il fut nommé évêque auxiliaire de Dijon en 1971, évêque de Dijon en 1974, archevêque de Lyon, Primat des Gaules, en 1981 ; cardinal du titre de la Trinité-des-Monts en 1985. Il fut président de la Conférence des évêques de France de 1987 à 1990.

23. Jean-Marie LUSTIGER (1926-2007). Élu à l'Académie française en 1995. Homme d'Église. Aaron Lustiger naquit à Paris dans une famille juive ashkénaze originaire de Pologne. La guerre poussa son père à se réfugier avec ses enfants à Orléans tandis que sa mère resta à Paris d’où elle fut déportée à Auschwitz et exterminée, ainsi qu’une trentaine de membres de la famille Lustiger. En 1940, à l’âge de quatorze ans, Aaron se convertit au catholicisme et adopta de nouveaux prénoms, Jean et Marie. Il suivit des études de lettres à la Sorbonne, puis entra au séminaire des Carmes de l'Institut catholique de Paris, et fut ordonné prêtre en 1954. Jusqu'en 1959, il fut aumônier parisien des enseignants catholiques de l'enseignement public, aumônier des étudiants en lettres et sciences de la Sorbonne, ainsi que de grandes écoles. En 1959, il devint directeur de la communauté étudiante de Paris (CEP-Centre Richelieu) et fut responsable des aumôneries des nouvelles universités de la région parisienne. En 1969, il fut nommé curé de la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal à Paris. Évêque d'Orléans en 1979, il devint en 1981 archevêque de Paris et ordinaire des catholiques de rite oriental en France. Créé cardinal par le pape Jean-Paul II en 1983, il devint archevêque émérite de Paris en février 2005. Il était docteur honoris causa des universités d’Augsbourg et de Melbourne, ainsi que de l’université Loyola de Chicago.

L'actuel occupant de ce fauteuil est donc le philosophe Jean-Luc Marion qui a été reçu sous la Coupole le 21 janvier 2010.

À écouter aussi :

Cette émission est la 9e de notre série sur l'histoire des fauteuils de l'AF. Vous pouvez donc écouter aussi :
- Mgr Claude Dagens : ses prédécesseurs sur ler fauteuil de l’Académie française
- Jean-Loup Dabadie : ses prédécesseurs sur le 19ème fauteuil de l’Académie française
- Max Gallo : ses prédécesseurs sur le 24e fauteuil de l’Académie française
- Dominique Fernandez : ses prédécesseurs sur le 25e fauteuil de l’Académie française
- Jean-Christophe Rufin : ses prédécesseurs sur le 28e fauteuil de l’Académie française
- Philippe Beaussant : ses prédécesseurs sur le 36e fauteuil de l’Académie française
- René Girard : ses prédécesseurs sur le 37efauteuil de l’Académie française
- Jean Clair : ses prédécesseurs sur le 39e fauteuil de l’Académie française

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