Interviews autour d’une lettre de Descartes : Théo Verbeek, Jean-Luc Marion, Erik Jan Bos et Mireille Pastoureau

Une lettre autographe de Descartes de 1641, rendue à la Bibliothèque de l’Institut de France en 2010 !
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Une lettre de Descartes de 1641 éclairant la publication des Méditations métaphysiques a été découverte en 2009 par un chercheur néerlandais dans la bibliothèque d’Haveford College en Pennsylvanie : interviews de Jean-Luc Marion, membre de l’Académie française et des découvreurs de la lettre, Theo Verbeek et Erik Jan Bos... tous éminents spécialistes de Descartes, et de Mireille Pastoureau, directrice de la Bibliothèque de l’Institut qui présente les éditions rares de ouvrages de Descartes conservés en ce lieu.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : foc588
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Extrait de la lettre de Descartes, datée de 1641, conservée à la Bibliothèque de l’Institut de France


Un événement

Une lettre de Descartes de 1641 éclairant la publication des Méditations métaphysiques a été découverte en 2009 par le néerlandais Erik Jan Bos, collaborateur du professeur d'histoire de la philosophie moderne Theo Verbeek. La lettre "reposait" dans les fonds de la bibliothèque de l'Université américaine d'Haveford College en Pennsylvanie, la plus ancienne de universités américaines fondée par les Quackers. Elle appartient aux 800 lettres connues de Descartes. Ayant appris qu'elle avait été volée aux archives de l'Institut de France au XIXe siècle, Haveford College, qui l'avait reçue en don d'un collectionneur en 1902, a proposé de la restituer à la Bibliothèque de l'Institut de France.

Pour marquer l'événement et remercier Haveford College pour son geste généreux, une cérémonie s'est déroulée le 8 juin 2010, dans la Bibliothèque de l'Institut de France, au cours de laquelle Gabriel de Broglie, chancelier de l'Institut a remis, pour Haverford College, à son président Stephen G. Emerson, un prix de 15 000 euros, pour les soins apportés à la conservation de la lettre tout au long de ces années et pour la décision de rendre la lettre au légitime propriétaire. En tant que président de la Fondation Simone et Cino del Duca-Institut de France, qui œuvre principalement dans les domaines des arts et lettres, Gabriel de Broglie a proposé que ce prix symbolique soit alloué à la promotion et à la défense de la langue française, au sein de cette institution.

Contenu et intérêt de la lettre

Descartes (1596-1650) avait l'habitude, surtout à compter de l'année 1619, de correspondre de façon régulière avec le Père Marin Mersenne, religieux français, érudit, philosophe et mathématicien comme Descartes après son départ pour la Hollande. Descartes l'avait choisi pour suivre l'édition de ses textes à Paris où chacun sait qu'il publia Le discours de la méthode (1637) et ses Méditations métaphysiques (1641). Ami, représentant les intérêts du philosophe en son absence, le Père Marin Mersenne avait été, également, chargé par Descartes de recueillir les commentaires critiques, les "oppositions" des meilleurs esprits sur les Méditations métaphysiques, en vue d'obtenir l'approbation de la Sorbonne en adjoignant à sa publication définitive, une partie intitulée Objections et Réponses.

La lettre découverte en 2009 dans le catalogue d'Haveford College (Etats-Unis), par Erik-Jan Bos de l'Université d'Utrecht, datée du 27 mai 1641 apporte un éclairage nouveau sur l'histoire de l'impression des Méditations métaphysiques, presque 4 mois avant la publication définitive de l'ouvrage. Elle contient une discussion liée aux réponses de Descartes suite aux textes que lui envoyait le Père Mersenne, en vue de la publication de cette partie des Méditations, intitulée Objections et Réponses. Gassendi, Johannes Caterus (1590-1655), Antoine Arnault (1612-1694), Pierre Petit (1598-1677) sont les philosophes contre lesquels Descartes se défend, dans cette lettre.

L'authenticité de cette lettre de quatre pages ne fait aucun doute. Jamais retranscrite, on en connaissait l'existence. Elle appartenait à un ensemble de lettres adressées à Mersenne, légué en 1676 à l'Académie des sciences, 75 au total. Soixante-douze de ces lettres furent volées entre 1837 et 1847, par le Comte Guillaume Libri, grand escroc connu des bibliophiles, mathématicien et historien des sciences, membre de l'Académie des sciences et professeur au Collège de France! Collectionneur passionné d'ouvrages rares, il a subtilisé de très nombreux livres, manuscrits et lettres dans les archives et les bibliothèques qu'il visitait. Condamné par contumace, il s'enfuit en Angleterre. Il les revendit. Suite aux différentes mises en vente, la lettre de 1641 fut achetée par Charles Robert, étudiant d'Haverford qui commença en 1860 une collection de lettres. A sa mort, en 1902, sa veuve confia à Haverford College les 12 000 lettres de la collection de son époux.

La publication du texte de la lettre est prévue courant 2010 dans Archiv für Geschichte der philosophie.

Dans cette émission, Théo Verbeek explique l'édition des différentes correspondances de Descartes. La première remonte à 1646 et est l'œuvre de Claude Clerselier. Il raconte l'histoire de la lettre retrouvée à travers les inventaires et les publications. Il en explique l'importance et présente l'édition critique en quatre volumes qu'il prépare avec son équipe de chercheurs, prévue en 2012 chez Oxford University Press.

Jean-Luc Marion, de l'Académie française, insiste sur le rôle scientifique de la correspondance au XVIe et au début du XVII e siècle, l'équivalent de nos articles scientifiques aujourd'hui. Pour lui, l'espoir existe de retrouver d'autres manuscrits et lettres de Descartes. Il rappelle l'importance capitale de la lettre et fait un point sur les recherches cartésiennes dans le monde. L'académicien souligne la courtoisie et le respect des échanges intellectuels de l'époque.

Erik Jan Bos raconte sa découverte et revient sur cet immense réseau de lettrés en correspondance. Pas moins de 85 personnes entretenaient une correspondance toute scientifique avec Descartes. Une part moins connue du travail du philosophe, pourtant tout aussi déterminante sur son œuvre.

Mireille Pastoureau présente les autres lettres et les éditions rares de l'œuvre de Descartes, conservés à la Bibliothèque de l'Institut.
Elle expose ce jour-là, parmi une quinzaine d'ouvrages, en particulier, la première édition imprimée de la correspondance de Descartes qui date de 1657 et un exemplaire unique de la deuxième édition, complété et annoté par Claude Clerselier, l'exemplaire personnel du premier éditeur de la correspondance de Descartes!

Théo Verbeek, Université d’Utrecht, 8 juin 2010, Bibliothèque de l’Institut de France
© Canal Académie

Jean-Luc Marion, membre de l’Académie française, 8 juin 2010, Bibliothèque de l’Institut de France
© Canal Académie

Erik Jan Bos, Université d’Utrecht,  Université d’Utrech, 8 juin 2010, Bibliothèque de l’Institut de France
© Canal Académie
Mireille Pastoureau, directrice de la Bibliothèque de l’Institut de France, 8 juin 2010
© Canal Académie

Editions rares d’ouvrages de Descartes, conservés à la Bibliothèque de l’Institut de France
© Canal Académie


En savoir plus

- Jean-Luc Marion, de l'Académie française
- Theo Verbeek, Professeur d'histoire de la philosophie moderne à l'Université d'Utrecht, dirige le projet, Descartes and his Network.
- Erik Jan Bos, docteur en philosophie de l'Université d'Utrecht,est engagé dans la publication d'une nouvelle édition critique de la correspondance de Descartes, chez Oxford University Press. Ses recherches sont consacrées au réseau scientifique de Descartes sous l'égide de la Fondation néerlandaise pour la recherche (NWO), collaborateur de Théo verbeek.
- Bibliothèque de l'Institut de France : dossier sur la lettre retrouvée
- Haverford College
- Fondation Simone et Cino del Duca-Institut de France

A écouter aussi : notre émission retransmettant la cérémonie dans la Bibliothèque de l'Institut Une lettre de Descartes volée au XIXe siècle, rendue à la Bibliothèque de l’Institut de France

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