Cardinal de Lubac, de l’Académie des sciences morales et politiques : les années de formation (1919-1929)

Entretien avec son biographe, Georges Chantraine, par Damien Le Guay
Avec Damien Le Guay
journaliste

Henri de Lubac, jésuite, cardinal, est l’un des théologiens majeurs du XXe siècle. Auteur d’une cinquantaine de livres, homme discret, il a connu bien des « traversées du désert » au sein de l’institution catholique avant d’être pleinement reconnu au moment de Vatican II. Son exécuteur testamentaire, Georges Chantraine, S.J., présente le tome II de la biographie qu’il lui consacre.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag707
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Henri de Lubac était membre de l’Institut, à l'Académie des sciences morales et politiques ; son œuvre est devenue centrale et sa vie mérite toute l’attention que lui consacre le père Chantraine.

Nous l'avions déjà reçu pour le premier tome de l’immense biographie qu’il consacre au cardinal de Lubac (Henri de Lubac, Tome I, de la naissance à la mobilisation, 1896-1919, éditions du Cerf, 670 pages). Nous le recevons dans cette émission pour le second tome (Henri de Lubac, Tome II, les années de formation, 1919-1929, éditions du Cerf, 837 pages).

En 1920, après ses longues années militaires, le jeune de Lubac, âgé de 24 ans, débute ses études à l’âge ou d’autres les achèvent. Il suit le cursus des jésuites. Durant ses années de philosophie (1920-1923) puis de théologie jusqu’en 1928, il se forme tout en refusant d’une manière ou d’une autre l’enseignement théologique en vigueur – dominé par un néo-thomisme étroit.
En plus de ses études imposées (lui qui considère que « l’enseignement est nul »), il se forme de lui-même, lit Blondel – Blondel que certains considéraient comme digne de l’Inquisition. Des maîtres authentiques le guident dans cette aspiration à un renouveau de la pensée catholique : le père Léonce de Grandmaison, le père Fontoynont et Auguste Valensin. Des amitiés solides se forment (et constituent « un groupe Lubac »), avec Robert Hamel, Gaston Fessart ou Yves de Montcheuil.

L’avantage du gigantesque travail de biographie réalisé par le père Georges Chantraine est triple :

- Nous suivons la formation de cet intellectuel catholique soucieux de trouver la voie d’un renouveau et qui tisse des amitiés tout en puisant dans la lecture des Pères de l’Église les raisons d’une libération théologique en train de germer. Le père de Lubac tonne, en secret, avec ses amis, contre une formation qui « nous bouche les yeux ».

- Le père Chantraine éclaire l’individu avec les enjeux de l’époque. Nous comprenons mieux ainsi les raisons du blocage, dû, avant tout, à un « thomisme étroit » corrélé à une « dictature de l’Action Française » sur l’Église. Cette alliance contre-nature entre le néo-thomisme et le maurrassisme est assurée par le Cardinal Billot ou le père Garrigou-Lagrange, sans oublier Jacques Maritain. Un climat malsain de suspicion et de délation règne dans l’intelligentsia catholique.

- Une réforme est à l’œuvre. Les prémisses d’une libération de la pensée catholique naissent, prennent forme avec la fronde contre une théologie spéculative étroite et l’affirmation d’un « Dieu vivant », inscrit dans l’Histoire, soucieux d’affirmer la liberté de ses enfants.

Le père Chantraine nous permet donc de mieux saisir ces trois niveaux tout en entrant dans l’intimité du père de Lubac qui (ce qui est nouveau), par sa correspondance jusqu’alors encore dans les archives, se livre grâce aux lettres et à l’amitié qu’il donne et reçoit. Cet homme sera fidèle à l’Église et, en même temps, fidèle à ses aspirations libératrices pour un christianisme vivant. Tel fut son honneur.

Courte biographie du Cardinal Henri de Lubac :

Henri de Lubac

Né en 1896, Henri de Lubac devint prêtre en 1927 et jésuite en 1931. En 1929 il occupe la chaire de théologie fondamentale des facultés catholiques de Lyon et débute la publication de ses principales œuvres : Catholicisme (1938), Drame de l’athéisme athée (1944), Surnaturel (1946). Dans les années 1950 il connaît une traversée du désert pour soupçons d’erreurs théologiques – soupçons qui se révéleront infondés. C’est « l’Affaire de Fourvière » qui, autour de la publication de l’encyclique « Humani generis » et de la supposée « nouvelle théologie » crispa les positions et mit le père de Lubac dans une situation délicate – même si sa fidélité à l’Église resta entière.

À la fin des années 1950, après la mort de Pie XII, le climat change. Le 10 novembre 1958, le père de Lubac est élu à l’Academie des sciences morales et politiques (au fauteuil de Mgr Chevrot) et en Août 1960 il est nommé expert théologique dans la commission préparatoire du Vatican II. Il deviendra, par la suite, expert au Concile et aura sa place au Vatican, devenant membre du secrétariat pour les non-croyants et membre de la première commission théologique internationale.

Il expliquera, dans des conférences nombreuses et des livres, dont Révélation Divine (1968) et Athéisme et sens de l’homme (1967), l’œuvre conciliaire et sa portée. Assez vite il s’inquiétera de la montée en puissance d’un « para-concile » avec ceux qui trahissent l’esprit et la lettre du concile. D’où, chez certains, la réputation d’être devenu « conservateur ».

Le 2 février 1983 il est créé cardinal par Jean-Paul II, avec lequel il s’était lié d’amitié lors du Concile. Il meurt le 4 septembre 1991.

Son biographe, le père Chantraine :

Le père Chantraine, jésuite, professeur émérite de la faculté de théologie jésuite de Bruxelles, se consacre désormais à faire mieux connaître la vie et l’œuvre du père de Lubac. Il préside, avec Jacques de la Rosière, l’association internationale Cardinal Henri de Lubac.
Il s’occupe avec Jacques Prévotat de la publication des œuvres complètes du cardinal aux éditions du Cerf (cinquante volumes sont prévus). Enfin, il rédige également une biographie scientifique du cardinal : quatre volumes sont prévus, les deux premiers sont déjà parus.

Texte de Damien Le Guay

Pour en savoir plus:

- Les oeuvres complètes du cardinal de Lubac, (notamment son livre le plus accessible au grand public, Mémoire sur l'occasion de mes écrits), sont publiées aux éditions du Cerf.

- www.editionsducerf.fr

A écouter également sur Canal Académie :
- La prière du père Teilhard de Chardin par le cardinal de Lubac
- La jeunesse du cardinal Henri de Lubac
- Carnets du Concile du Cardinal de Lubac

- L'Association internationale Cardinal Henri de Lubac, présidée par Jacques de Larosière son successeur à l'Académie, dont la mission est d'éditer les oeuvres du cardinal, reçoit des dons à l'adresse suivante : 128 rue Blomet 75015 Paris. CCP La Source 40 790 66 H.

- A lire : la revue La Nef n°172, juin 2006, consacrée à Henri de Lubac intitulé De la tempête au silence, du silence à la lumière.

- Pour tout renseignement, on peut écrire à : georges.chantraine@fundp.ac.be

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