L’oreille musicale : comment la développer ?

Avec Bernard Lechevalier, auteur du Cerveau mélomane de Baudelaire

Vous avez peut-être de bonnes raisons de chanter faux ! Certainement êtes-vous amusique : impossible pour vous de retenir une mélodie. Bernard Lechevalier, neuropsychologue, membre de l’Académie nationale de médecine, vous aide à mieux comprendre pourquoi certains ont l’oreille musicale et d’autres pas. Tendez l’oreille...

Bernard Lechevalier est neuropsychologue, mais aussi musicien et mélomane.
Après un premier ouvrage très apprécié intitulé Le cerveau de Mozart, notre invité a renouvelé l’expérience en publiant cette-fois-ci Le cerveau mélomane de Baudelaire. Un ouvrage dans lequel il se consacre à ceux qui apprécient la musique sans pour autant être musiciens. Il se penche également sur les compositeurs et leurs créations.
« Charles Baudelaire appréciait beaucoup la musique. Il assistait aux concerts consacrés à Beethoven, Weber, mais il ne connaissait pas la théorie musicale ».
En 1861, le poète assiste à la première de l’opéra Tannhauser de Wagner à Paris. C’est la révélation. « Baudelaire disait que la musique de Wagner l’avait plongé dans une sorte d’extase. Il a décrit des impressions colorées et d’apesanteur ». [[Retrouvez dans cette émission un extrait de La bacchanale du Venusberg tiré de l’opéra Tannhauser de Wagner. La bacchanale du Venusberg suit l’ouverture de Tannhauser. Il a été composé par Wagner uniquement pour la version française.]]

La création musicale : une petite musique qui trotte dans la tête ?

Benard Lechevalier considère qu’il existe quatre manières de composer :

- composer avec un papier et un crayon : c’est le chant intérieur que l’on transpose sur papier ; « Il existe très peu de personnes qui peuvent composer une orchestration complète. Cela révèle véritablement du génie », précise notre académicien de l'Académie de médecine.
- composer avec l’instrument : Berlioz composait à l’aide de sa guitare par exemple. Wagner, lui, commençait par écrire des poèmes le plus souvent, puis il transposait le tout au piano. Il s’attaquait ensuite à l’orchestration puis à la mise en scène !
- l’improvisation : Mozart a beaucoup utilisé les improvisations, mais cela nécessite une excellente mémoire.
- la musique électronique : les musiciens travaillent avec les mathématiques et l’informatique.

Écouter ou jouer de la musique : les aires du cerveau activées

Hervé Platel, ancien élève de Bernard Lechevalier, a réussi à délimiter les aires du cerveau dévolues à la musique. Contrairement au langage qui est dans l’hémisphère gauche, la musique est répartie dans les deux hémisphères. Ces aires modulaires sont totalement synchrones.
« Dans le lobe temporal droit, on retrouve la perception de la mélodie, les timbres, l’affectivité », explique le neuropsychologue.
« Dans le lobe temporale gauche, on retrouve le rythme et les hauteurs élémentaires. C’est aussi la familiarité, nos connaissances. »

La Chanteuse au gant d’Edgar Degas chantait-elle faux ?

Oreille absolue : don ou résultat d’un long travail ?

Si vous pouvez déterminer la hauteur d’une note juste à l’écoute, alors vous avez ce qu’on appelle « l’oreille absolue ». Pour Bernard Lechevalier, « tout se joue avant trois ans pour l’oreille absolue ». Plus précisément elle est presque de mise chez les enfants qui jouent d’un instrument avant trois ans, ce qui n’est somme toute pas donné à tout le monde !

Seule certitude à ce jour : les chercheurs affirment que l’oreille absolue n’est pas héréditaire. On observe en revanche des anomalies neurologiques : la face supérieure du lobe temporal gauche est encore plus asymétrique chez une personne à l’oreille absolue que sur un sujet normal ; une sorte d’hyper-plasticité du cerveau [[Pour en savoir plus sur la plasticité du cerveau, consultez l’émission Quarante ans de neurosciences avec Jean Rossier, membre de l’Académie des sciences ]].
L’oreille absolue existe aussi chez les non-musiciens. Elle n’est pas forcément le fruit d’une éducation musicale précoce. En revanche, ne pensez pas que parce que vous jouez d’oreille, vous avez l’oreille absolue : « ceux qui ont l’oreille musicale, c’est-à-dire qui peuvent reproduire des morceaux sans avoir les connaissances théoriques sont seulement des personnes qui ne veulent pas se donner la peine d’apprendre le solfège ! »

Docteur je chante faux ! C’est grave ?

Il existe deux types de troubles dans la perception musicale. La première, la plus grave mais aussi la plus rare, c’est l’amusie. Elle peut
être causée par une lésion cérébrale. Dans ce cas, le patient s’aperçoit qu’il ne reconnaît plus les airs familiers et qu’il chante faux.

« Le plus courant, c’est la surdité tonale. C’est ici qu’on retrouve tout ceux qui chantent faux, qui ne reconnaissent pas ou mal les airs familiers, sans avoir eu de lésion cérébrale pour autant ». Nous serions 4 % de la population à chanter faux ! Les raisons de cette cacophonie vocale ? « un mauvais retour sur sa voix, mais aussi pour certaines personnes une sorte d’apraxie de la voix : les cordes vocales ne font pas les mouvements qu’elles devraient réaliser. »

Rassurez-vous, amusie ou surdité tonale, ces deux troubles se soignent avec des exercices d’orthophonie. Transmettez le message discrètement à ceux qui vous cassent les oreilles… !

Écoutez dans cette émission les explications détaillées de Bernard Lechevalier.

En savoir plus :

Bernard Lechevalier

Bernard Lechevalier est professeur émérite de neurologie et membre de l'Académie nationale de médecine. Spécialisé en neuropsychologie, il a contribué à créer une unité Inserm consacrée à la neuropsychologie, notamment de la mémoire.

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