Chopin vu par Chopin, de son arrivée à Paris à son succès (2/7)

Avec les lettres du compositeur, Jean-Pierre Grivois raconte...
Avec Julie DEVAUX
journaliste

Le mélomane Jean-Pierre Grivois évoque ici la venue de Chopin à Paris en 1831, nous contant cette période à l’aide des lettres rédigées par Chopin lui-même. Nous l’avions laissé seul à Stuttgart en proie à un immense désespoir. Voici la suite du parcours incroyable d’un des plus grands compositeurs de la période romantique, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

Émission proposée par : Julie DEVAUX
Référence : carr660
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Frédéric Chopin va quitter Stuttgart et lors de son arrivée à Paris, il sera un tout autre homme. Il passe par Strasbourg et se rend à Paris le 24 septembre 1831. Il n’a d’ailleurs pas été le seul puisque, suite à l’insurrection de Varsovie, de nombreux Polonais se sont retrouvés dans la capitale française.

Comment Chopin perçoit-il Paris ?

Frédéric Chopin est un homme qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, observe tout autour de lui. Il donne par ailleurs ses impressions sur Paris à son ami Kulmelski le 18 novembre 1831 – à peine deux mois après son arrivée à Paris :

« Tous les Français sautillent et jacassent, même quand ils n’ont plus un sou. Je suis arrivé ici sans trop de peine, mais à grands frais et je suis content de ce que j’ai trouvé dans cette ville : les premiers musiciens et le premier opéra du monde. Je connais déjà Rossini (...) et sans doute resterai-je plus longtemps à Paris que je ne le pensais ; non que j’y sois tellement bien, mais parce qu’il est possible que, peu à peu, je parvienne à l’être ».

Le compositeur habite au vingt-sept boulevard Poissonnière dans le deuxième arrondissement de Paris et dit ne vouloir y rester que trois ans. En réalité, il y restera dix-sept ans...

Dans la même lettre, il parle aussi de sa nostalgie, de son caractère et de son horreur de de la musique vulgaire, de son attachement à la musique polonaise sur sa vocation de musicien original, toujours avec la même verve.

« Il m’est insupportable pendant que je t’écris d’entendre tinter la sonnette et qu’un être grand, solide et pourvu de moustaches énormes s’introduise auprès de moi, prenne place au piano et se mette à improviser Dieu sait quoi en dehors de tout sens commun. Il tape sur le clavier et le broie, saute sur place, croise les mains et pendant cinq minutes frappe la même note d’un doigt formidable créé de toute évidence pour le fouet (…).
Mais ce qui me fait tourner le sang, c'est son album de chansons grossières dénuées de sens sans la moindre connaissance de l'harmonie (...). Tu sais combien j'ai toujours cherché à exprimer le sentiment de notre musique nationale et comme j'y suis en partie arrivé. Rends-toi compte de l'agrément que j'éprouve (...) lorsqu'il se met à jouer comme la manière d'un organiste de village ou d'un musicien de gargote de taverne de mastroquet
».

Frédéric Chopin : Franco-polonais ?

Le compositeur a toujours la nostalgie de la Pologne. Il écrit d’ailleurs à son ami Tytus une longue lettre le jour de Noël sur l’ambiance des rues, l’atmosphère politique dans Paris, tout l’intéresse et il fait preuve d'un talent certain dans ses descriptions.

« (…) Te voir en chair et en os pendant la durée d’un seul regard te conserverait mieux à mon cœur que dix lettres. (…) Il faut te dire que la misère est grande en ce moment. Peu d’argent en circulation. On rencontre quantité de gens en guenilles dont les physionomies sont hautement significatives. Bien souvent, on entend des menaces contre ce sot de Louis-Philippe qui ne tient plus que par un cheveu à son ministère. La classe populaire est profondément irritée. A chaque moment, elle est prête à tout pour tenter de sortir de cette situation pénible. Mais malheureusement, le gouvernement la surveille très étroitement et la gendarmerie montée disperse le moindre rassemblement (…). En France, chaque parti politique s’habille d’une façon particulière. Les carrelistes ont des gilets verts, les républicains et les bonapartistes sont vêtus de bleu ainsi que les saint-simoniens (…) qui sont aussi pour l’égalité. »

Comment Chopin se fait-il connaître ?

À peine trois mois après son arrivée, Frédéric Chopin fréquente d'ores et déjà les musiciens les plus en vogue et en particulier un certain Kalkbrenner, pianiste très connu à l’époque. Voici un extrait du récit de son entrevue :

« Je voudrais jouer comme Kalkbrenner. Si Paganini est la perfection même, Kalkbrenner est son égal mais d’une toute autre manière. Présenté à Kalkbrenner, je fus prié par lui de jouer. Ne l’ayant pas entendu au préalable, je chassais tout orgueil de mon cœur et bon gré mal gré, je m’assis. Je jouai mon mi mineur pour qui la Bavière ne trouvait pas assez d’éloges. Après m’avoir bien étudié, Kalkbrenner m’a conseillé de prendre des leçons avec lui pendant trois ans, qui feraient de moi quelqu’un de très très… Il m’a démontré combien je joue d’une façon délicieuse lorsque je suis inspiré et que je joue fort mal lorsque je ne le suis pas ».

Il se fait alors beaucoup connaître par ses œuvres avec orchestre. Dans la même lettre il parle du jugement d’un Allemand sur ses Variations. Certains pensent que cet Allemand est Schumann mais c’est un document passionnant sur la façon dont Chopin lui-même et non un expert extérieur jugent son œuvre.

Quelques mois après, il raconte, en janvier 1833, son ascension dans le monde et son mode de vie à un de ses amis, Dominique :

« (…) Je suis bien loin de la perfection. Je m’en rends d’autant mieux compte que je vis dans la fréquentation constante des plus grands artistes et que je connais leurs faiblesses ».

Frédéric Chopin vivait beaucoup de ses leçons dont il demandait 20 francs or l’heure (à peu près 50 €). Il se préoccupe beaucoup de son apparence tout en se déclarant « révolutionnaire ».

« Le cabriolet et les gants blancs coûtent plus cher que ce que je gagne, mais sans eux, je ne serais pas de bon ton. »

Le premier concert à Pleyel

Comme on l’a déjà vu à Vienne, Frédéric Chopin n’aimait pas toujours donner des concerts. Le premier concert a lieu chez Pleyel en compagnie de treize autres artistes. Ce concert est retardé plusieurs fois et a lieu finalement le dimanche 26 février 1832. Notons qu'à l’époque, il ne pouvait pas y avoir de concert sans chanteuse.

Il apparaît beaucoup dans des concerts donnés par d’autres ou pour les victimes de fléaux comme le choléra. Il joue très souvent le 3e mouvement de son Concerto opus 11 n°1 en mi mineur. Frédéric Chopin va de plus en plus jouer mais le plus souvent en petit comité.
De cette période datent de nombreuses mazurkas dont l'Opus 17 n°1 en si mineur. Le 25 février 1838, il joue aux Tuileries devant la famille royale.

Ses succès lui font-ils oublier sa famille et la Pologne ?

Chopin se rend en août 1835 à Karlsbad (aujourd’hui Karlovi Vary en République Tchèque), soit à 782 km, simplement parce qu’il sait que ses parents y suivent une cure. Il part le 4 août et y arrive le 15.

« Notre joie est indescriptible. Nous nous embrassons et nous nous embrassons. Que pourrait-on faire de mieux ? Quel dommage que nous ne soyons pas tous ensemble ! Le petit est adorable. Comme Dieu est bon pour nous. Mieux vaut ne penser à rien aujourd’hui et jouir du bonheur qui nous est donné de vivre. Ce que le présent m’apporte aujourd’hui est unique. Nos parents n’ont pas changé. Ils sont toujours les mêmes. Ils ont très peu vieilli. (…) Je suis au comble de mon bonheur. »

Pour la musique qu’il crée, la Pologne, on le sait, est source d’inspiration. On le retrouve dans ses polonaises, ses mazurkas et ses mélodies comme dans la Polonaise Opus 71 n°1 en ré mineur. Son amour pour la Pologne se manifeste aussi dans ses mélodies écrites sur des poèmes de ses amis polonais comme dans Le Fiancé.

A travers une telle œuvre, on sent combien Chopin est profondément ancré dans sa Pologne natale. Nous verrons dans la prochaine émission qu'il participait aussi au monde culturel de son époque et qu'il voyageait beaucoup, nous parlerons de ses amours et de ses premières rencontres avec George Sand.

En savoir plus :

Frédéric Chopin est né le 1er mars 1810 à Zelawova Wola dans le Duché de Varsovie, actuelle Pologne. Il est mort le 17 octobre 1849 à Paris à l’âge de 39 ans. C’est l’un des plus grands compositeurs de musique romantique du XIXe siècle. Il est notamment connu pour sa virtuosité au piano puisqu’il n’a pratiquement composé que pour cet instrument. Toujours en quête de retranscrire le chant italien au piano et violoncelle, il est également connu pour être l’un des pères de la technique pianistique moderne avec Liszt. On lui doit ce grand phrasé de notes infinies, qui a influencé nombre de compositeurs : Fauré, Ravel, Debussy, Rachmaninov ou encore Scriabine.

Extraits musicaux écoutés lors de l’émission :

- Concerto n°2 opus 21 n°3 en fa mineur
- 3e mouvement du Concerto Opus 11 n°1 en mi mineur
- Mazurka opus 17 n°1 en si mineur
- Polonaise opus 71 n°1 en ré mineur
- Mélodie opus 74 n°15 « Le Fiancé »

La série Chopin vu par Chopin :

Chopin vu par Chopin : de l’enfance à l’arrivée à Paris (1/7)
Chopin vu par Chopin : ses amours et sa relation avec les autres musiciens (3/7)
Chopin vu par Chopin : sa tumultueuse relation avec George Sand (4/7)

Exposition Chopin à Paris

Le Musée de la Vie romantique propose l'exposition du bicentenaire « Frédéric Chopin, la note bleue ». Par une centaine d'œuvres signées Delacroix, Scheffer, Delaroche, Ingres, Corot, et bien d'autres, c'est un vibrant hommage qui est ainsi rendu au célèbre compositeur romantique. Entre littérature, peinture et musique, l'exposition fait jouer la gamme des correspondances.
Exposition ouverte du 2 mars au 11 juillet 2010, tous les jours sauf lundi de 10 h à 18 h, 16 rue Chaptal, 75009 Paris. www.vie-romantique.paris.fr

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