Michel Aumont, un comédien virtuose au sommet

Entretien avec un artiste prolifique, par Jacques Paugam
Avec Jacques Paugam
journaliste

Grand comédien et lauréat de quatre Molières, Michel Aumont est à l’affiche du Théâtre de l’Œuvre, dans David et Edward, une pièce de Lionel Goldstein, mise en scène par Marcel Bluwal. Il est venu nous parler non seulement de cette pièce, qu’il interprète aux côtés de Michel Duchaussoy, et qui s’annonce déjà comme un des plus grands évènements de l’année théâtrale 2010 mais aussi de toute sa carrière, intense et riche. Presque tout le répertoire théâtral français est passé par lui...

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : carr668
Télécharger l’émission (39.88 Mo)

De la scène à l’écran

Chez Michel Aumont, le théâtre est histoire de famille. Sa mère Hélène Gerber, a notamment joué auprès de Jean Dullin et été comédienne aux côtés de Jean Vilar dans Danse des Morts de Strinberg, grand succès des années d’occupation. Quant à son père, il était régisseur administratif du Français. Dès son plus jeune âge, Michel Aumont suit sa mère à Avignon qui le place dans de petits spectacles pour interpréter des rôles d’enfants, avant d’entrer au cours d’art dramatique dirigé par sa mère, à Colmar. Aujourd’hui, le comédien se rappelle encore le trac de sa première réplique importante: « Ils sortent du bois ; ils arrivent »

Sous l’influence de son oncle et sa tante, ardents communistes, le jeune homme quitte son cours de catéchisme pour entrer, l’année suivante aux "Vaillants", mouvements de jeunes partisans, mais sans grande conviction, toutefois. À dix-huit ans, il entre au Conservatoire National de Paris. Il y reçoit un premier prix d’interprétation pour Le tragique malgré lui de Tchekhov, et, à cette occasion, rencontre Catherine Sami, récompensée en même temps que lui et qui restera sa grande amie.

De là, en 1956, et bien qu’il eût préféré être sollicité par le TNP de Jean Vilar, auquel il vouait une grande admiration, il est engagé à la Comédie Française, avant d’être réquisitionné par l’armée, l’année suivante. En Algérie, par l’entreprise d’un camarade comédien, il rencontre un capitaine amateur et auteur de théâtre, dont « il fallait impérativement jouer les œuvres », en dépit de leur médiocrité !

Michel Aumont dans Nada
@DR

Ce n’est qu’en 1972, que le comédien se tourne vers le cinéma, jouant premièrement dans la Femme en bleu, de Michel Deville, avant d’incarner un trouble commissaire dans Nada de Claude Chabrol, l’année suivante. À l’époque, en effet, jouer à l’écran, était assez mal considéré dans le monde du théâtre ; cela revenait à « se commettre », nous explique-t-il Aumont, précisant que cet état d’esprit a désormais disparu.

Trente-sept ans à la Comédie française

Sociétaire pendant trente- sept ans à la Comédie Française, Michel Aumont évoque un univers à part et une activité très intense. Lorsqu’on a la chance d’être « apprécié », explique-t-il, « on travaille énormément », répétant sans cesse et, le plus souvent, plusieurs pièces à la fois. À une certaine époque, par exemple, il lui est arrivé de jouer Richard III en matinée et l’Avare en soirée !

Petit à petit, cependant, le comédien joue de plus en plus pour le théâtre de la Colline, auprès du metteur en scène Jorge Lavelli, avec lequel il s’entend admirablement, au point de quitter la Comédie française, en 1993, à la grande surprise du nouvel administrateur, Jean-Pierre Miquel.

Les plus grands rôles

Michel Aumont a beaucoup servi les auteurs modernes : Ionesco, Beckett, Anouilh, Yasmina Reza… Pour lui, le théâtre de ces soixante dernières années reflète bien notre société, comme Shakespeare à son époque ou Marivaux à la sienne. Il se rappelle les premières représentations d’En attendant Godot, de Beckett, véritable révolution théâtrale et admirable peinture de nous-mêmes, malgré le grand minimalisme de la pièce.

Au cours de sa carrière, notre invité a reçu quatre Molières, celui du meilleur comédien dans un second rôle pour Rêver peut-être de Jean-Claude Grundberg en 1999 ; celui du meilleur comédien pour Macbeth en 1993 et Un sujet de roman de Sacha Guitry en 2000 et celui du « seul en scène » pour l’adaptation au théâtre d’À la porte de Vincent Delecroix. Concernant cette dernière pièce, Michel Aumont parle d’un texte admirablement écrit, à la fois drôle et bouleversant et dont le personnage, un professeur de philosophie errant et rêvassant dans Paris, reste à ses yeux l’un des plus marquants de sa carrière, avec celui du héros de Décadence de Steven Berkoff.

La cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon

Mais pour un grand nombre de spectateurs le rôle le plus frappant du comédien demeure celui d’Harpagon, interprété plus de vingt ans durant. À l’époque, en 1969, la mise en scène de Jean-Paul Roussillon avait fait grand bruit, celui-ci ayant pris le parti controversé d’imprimer à la pièce une ambiance presque « balzacienne » et de donner au personnage solitaire de l’avare une « dimension sombre, presque douloureuse », à l’opposé total, par exemple, de la mise en scène actuelle de Catherine Hiegel, où, l’avare devient, sous les traits de Denis Podalydès, une « sorte de Pantalon de la Comedia dell’arte »… Mais Michel Aumont partage cette vision du personnage, pour lequel, au fond rien ne fonctionne.

Parmi les autres rôles historiques, il y a aussi celui de Richard III dans la pièce éponyme de Shakespeare. Le comédien évoque « de toutes autres sensations » – et à un trac immense – à jouer dans la cour d’honneur du palais des Papes, lieu mythique où sa mère et Jean Vilar jouèrent, lieu également de ses tous premiers contacts avec le théâtre.


David et Edward au Théâtre de l’œuvre

Notre invité est actuellement à l'affiche du Théâtre de l’Œuvre, dans David et Edward, une pièce de Lionel Goldstein, mise en scène par Marcel Bluwal L’histoire est celle de la rencontre de deux hommes, dans un cimetière juif, autour de la tombe d'une même femme, épouse de l’un et amour de jeunesse de l’autre, et entre lesquels va naître progressivement une profonde et salvatrice amitié. Les deux hommes ont une image tout à fait différente de la défunte, Florence : le mari, David, incarné par Michel Aumont se rappelle une femme quelconque, l’amant de jeunesse, Edward, joué Michel Duchaussoy voit en elle une personne brillante et cultivée. Et pourtant, tous deux ont raison. « C’est assez vrai en général », note le comédien, car « on est comme on nous voit ».

David et Edward au Théâtre de l’Oeuvre

La pièce énonce des choses assez dures sur le couple, la cohabitation s’accommodant mal de la vivacité première du sentiment amoureux. Michel Aumont incarne un homme rude, ancien ferrailleur, ayant épousé Florence pour des raisons de religion et de famille, exact opposé d’Edward, demeuré l’ami de cœur de son épouse. Pourtant, c’est cette femme, Florence, qui prévoit cette rencontre post-mortem, dans l’idée, sans doute, « que les deux hommes de sa vie se rencontrent et s’apprécient », selon le comédien. Devant l’étonnement de David, Edward a d’ailleurs cette belle formule : « Je voulais que vous sachiez que j’existais ».
Et la pièce se termine sur l’idée que « le secret d’une relation qui dure » serait « une pointe de torture », idée que le comédien affirme partager….

Notre invité peut d’autant plus se réjouir du grand succès de la pièce qu’il est lui-même à l’origine de son montage. Aussitôt enthousiasmé par la pièce que lui envoie l’agent de Lionel Goldstein, le comédien s’est attaché à la faire circuler, jusqu’à ce qu’elle tombe entre les mains de Marcel Bluwal et à Gérard Maro, le directeur du Théâtre de l’œuvre.

Le jeu d’acteur

Pour expliquer le travail de comédien et sa façon d’aborder un personnage, Michel Aumont évoque une « alchimie un peu étrange », somme toute assez difficile à expliquer. Petit à petit, au fil des lectures de la pièce et de l’apprentissage du texte, « on en découvre les circonvolutions[ …] ce qui est visible et ce qui ne l’est pas et puis on cherche les concordances sensibles qu’il peut y avoir entre le personnage que l’on va jouer et soi-même ». « Cela est très important », insiste-t-il, le comédien devant être véritablement « saisi » intérieurement par le rôle pour espérer faire passer quelque chose. Bien sûr, lorsque l’on est amener à jouer un personnage comme celui de Richard III, dont l’intention est de tuer tout le monde, il est rare qu’on est déjà éprouvé cet état d’esprit : il faut alors « trouver des équivalences sensibles », ce qui amène à découvrir en soi des choses que l’on n’aurait jamais soupçonnées.

Mais, pour Michel Aumont, il s’agit bien d’un « travail technique […] d’artisan », davantage que d’une performance de génie. Certains comédiens, d’après lui, demeurent davantage imprégnés de leurs rôles en quittant la scène ; mais, la plupart d’entre eux redeviennent eux-mêmes en cessant de jouer : « on y est obligé », résume-t-il, sous peine de verser dans la folie.
C’est pourquoi, le comédien mentionne une démarche lente et « difficile » et parfois même « laborieuse », l’essentiel étant de savoir dissimuler cet intense travail préparatoire au moment de la représentation.

Et le cinéma ?

La différence entre les deux espaces de jeu –théâtre et cinéma -- serait avant tout celle du rythme, à en croire Michel Aumont. Au cinéma, pas le temps d’apprivoiser et de s’imprégner longuement du rôle : tout va toujours beaucoup plus vite.
Le 31 mars 2010 sortira les Invités de mon père, une comédie mi-sombre d’Anne Le Ny, déjà réalisatrice de Ceux qui restent en 2007. Michel Aumont y joue un septuagénaire qui reçoit régulièrement des clandestins, jusqu’au jour où arrive chez lui une jeune femme moldave, très séduisante, dont le vieil homme va peu à peu s’éprendre, à en perdre la tête, au point de vouloir déshériter ses enfants, joués par Fabrice Luchini et Karin Viard.

François Rabelais

Par ailleurs, Michel Aumont jouera bientôt un Rabelais vieillissant, inquiet devant la mort et la maladie, dans le téléfilm d’Hervé Baslé, sur France 2. Et c’est bien là ce qu’aime par dessus tout l’acteur : « jouer quelque chose de vrai, valable pour tout le monde ». Selon lui, il y a dans le théâtre et l’art en général une manière d’approcher le mystère de la vie et de la mort.

Enfant timide, secret et solitaire, Michel Aumont reconnaît aujourd’hui avoir fait du théâtre en grande partie « pour se cacher », parce jouer, c’est n’être pas soi-même, « c’est briller à bon compte » sous les traits d’un grand personnage et « prendre tout à coup une dimension qu’on ne se connaissait pas ». Un métier « merveilleux », en somme, que l’acteur ne cessera d’exercer, affirme-t-il, que « lorsqu’ ne pourr plus marcher ».

David et Edward au Théâtre de l'Œuvre, 55, rue de Clichy (IXe). Tél. : 01 44 53 88 88. Durée : 1 h 30.

Retrouvez également les pièces de Michel Aumont en DVD avec la COPAT:

Cela peut vous intéresser