L’identité : la part de l’autre

Entretien avec Edgardo Carosella, correspondant de l’Académie des sciences, et Thomas Pradeu, philosophe
Avec Edgardo CAROSELLA
Correspondant

Vous pensiez être unique grâce à votre codage génétique, votre ADN ? Pourtant, depuis les années 2000, les biologistes se sont écartés de cette conception de l’identité humaine. En d’autres termes, la génétique ne suffit plus à définir un individu. Ils défendent désormais une forme « d’interactionnisme » : à la dimension génétique, il faut associer l’environnement de l’individu et les rapports qu’il entretient avec les autres. Edgardo Carosella, immunologiste, et Thomas Pradeu, philosophe, nous présentent leurs réflexions qui ont donné le livre L’identité, la part de l’autre.

Nous savons de plus en plus en biologie que l’identité de l’individu est le produit d’une double influence : celle des gènes et celle de l’environnement. Pour Edgardo Carosella, « se satisfaire de l’unicité génétique pour se déclarer unique n’est qu’égotisme et n’apporte qu’autosatisfaction ».

En ce sens, le philosophe Thomas Pradeu ajoute qu’« il ne faut pas confondre identité et unicité ». Longtemps, la seule manière de définir un individu a été de le départager de l’autre, de montrer en quoi il était unique. « On a exagéré cette importance de différence individuelle, mais l’identité ce n’est pas seulement se proclamer unique, c’est aussi comprendre comment on se construit au fil du temps ».

Nous sommes uniques mais nous sommes tous semblables !
« Votre ADN est identique à 99,9% à celui de votre voisin » précise Edgardo Carosella. « Une toute petite différence vous sépare, mais ce 0,1 % permet à chaque individu d’être propre, de ne pas se fondre dans une masse, de garder sa liberté. Tout dépend de ce que nous allons considérer comme important : les 99,9 % ou les 0,1 % ».

L’importance de l’environnement sur la génétique

La famille est toujours cruciale dans la définition de l’identité, même quand on est rejeté. Les valeurs inculquées à l’enfance restent très ancrées dans l’identité de chacun. Il y a un rôle décisif de l’entourage. C’est en ce sens que Thomas Pradeu et Edgardo Carosella parlent d'« interactionnisme » : il faut associer à la génétique l’importance de l’environnement social.

L’identité est de ce fait évolutive : elle se construit au gré des rencontres, des événements de notre vie, socialement, mais biologiquement aussi. « Dès la naissance, les enfants sont différents biologiquement, y compris les vrais jumeaux » explique Edgardo Carosella.
« Les systèmes immunologique ou nerveux des vrais jumeaux sont constitués de la même façon : mêmes antigènes, même groupes sanguins, etc. Néanmoins, tous les contacts avec l’extérieur vont créer des anticorps spécifiques, des voies nerveuses différentes. Ils évoluent et se construisent différemment ».

L’importance du regard de l’autre

Il est une évidence pour le professeur Carosella et Thomas Pradeu : sans le regard de l’autre nous ne sommes rien.
Thomas Pradeu cite Aristote pour qui « l’ami, c’est celui qui me dit qui je suis ». « Ce que nous dit Aristote c’est que l’ami est le miroir de ce que je suis ou de ce que je voudrais être : il me donne à voir ce que j’essaie d’être dans mes actions ».

À force de prôner nos différences, ne risque-t-on pas un éloignement entre les hommes ? « Oui » poursuit le philosophe. « Nous n’avons pas d’objection à l’affirmation de l’unicité, mais nous avons une objection à l’affirmation consistant à dire : puisque nous sommes différents, prenons nos distances avec ceux qui sont différents de nous », entrant ainsi dans le communautarisme.
Ainsi constate Edgardo Carosella : « privilégier la différence signifie aller à la rencontre de l’autre. Pour initier cette démarche, cela suppose de se connaître soi-même. Facile à dire, mais plus difficile en pratique ! Aller vers l’autre, c’est aussi renvoyer une image. Or nous sommes un monde où nous donnons bien des images… mais qui ne sont pas toutes réelles ».

Edgardo Carosella est correspondant de l’Académie des sciences, Hématologue, directeur de recherche au CEA et chef de service de recherches hémato-immunologie à l’hôpital Saint-Louis à Paris. Il est également vice-président du Centre d’étude du polymorphisme humain (CEPH).

Thomas Pradeu est philosophe, maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne, et membre associé de l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques.

En savoir plus :

- Écoutez nos émissions en compagnie du professeur Edgardo Carosella
- Écoutez également Michel Serres : Corps et identité, mais qui sommes-nous ?

Edgardo Carosella, Thomas Pradeu, L'identité, la part de l'autre. Immunologie et philosophie, éditions Odile Jacob, février 2010.

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