La redécouverte du Greco

Par trois hommes des années 1900
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Pourquoi le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles a-t-il choisi pour cette exposition un intitulé associant Le Greco et les années 1900 ? Parce que la quarantaine d’œuvres du Greco rassemblées offre un aperçu de la carrière européenne de l’artiste et parce qu’est évoqué le rôle essentiel joué par trois acteurs de la redécouverte spectaculaire du peintre au début des années 1900 : l’historien de l’art Manuel Bartolomé Cossio, le marquis de Vega Inclàn et le photographe Mariano Mereno.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : carr674
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Né en 1541, mort en 1614, Le Greco fut adulé, puis oublié durant trois siècles, jusqu'aux années 1900 où il a retrouvé sa place dans l’Histoire de l’art. Domenikos Theotokopoulos était de Candie (actuellement Héraklion), en Crète, d’où son surnom de « Grec », et exerça d’abord son talent dans la facture d’icônes. Profitant du fait que son île natale était administrée par la Sérénissime, il décida, en 1567, de se rendre à Venise où il poursuivit sa formation en étudiant les maîtres de l’école vénitienne - on pense bien sûr tout particulièrement au Titien - rappelons-nous bien que cette école d’art privilégie la couleur au dessin. Trois ans plus tard il était à Rome au service du Cardinal Alexandre Farnèse. Inspiré par le maniérisme, il forgea peu à peu son style que les historiens d’art qualifient « des plus complexes »:

San Juan Evangelista, El Greco
Saint Jean l’Evangéliste<br /> Ca. 1610-1614<br /> huile sur toile<br /> 100,5 x 80,4 cm<br /> © Toledo, Museo del Greco. <br /> Le calice orné d’un dragon fait référence à une légende selon laquelle Saint Jean avait failli être empoisonné par un calice.

Une des commissaires de l’exposition de Bruxelles, Ana Carmen Lavin Berdonces explique :
« Une fois en Espagne, à Tolède en 1577, il va créer un langage artistique personnel à partir de la synthèse de ses apprentissages italiens, de sa tendance à réduire la réalité à une « essentialité », de l’esprit hispanique et du développement d’une sorte de « renouveau » de son passé byzantin. » Simplement retenons les 3 éléments-clefs de cette citation :
- les apprentissages italiens (de Venise)
- l’esprit hispanique
- le passé byzantin

Et l'on comprendra plus facilement sa peinture jaillissante comme des ébauches colorées et des coups de brosse.
Celui que l’on considère aujourd’hui comme « un génie dans l’Histoire de l’art » a presque immédiatement été oublié après sa mort… Ainsi va la renommée ! Mais… Le Caravage était passé par là avec tous ses suiveurs, jouant, au contraire du Greco, de l’ombre, de la lumière et d’un certain réalisme reléguant le maniérisme dans une facture désuète. Les historiens d’art font néanmoins du Greco l’un des peintres fondateurs de l’école espagnole et décèlent par exemple son influence chez Velasquez.

L'Apostolat, chef d'oeuvre du Greco

A Tolède, le Greco connut son âge d’or et reçut ses plus importantes commandes, réalisant au passage des chefs d’œuvre, en particulier plusieurs Apostolats - ensembles de peintures composés des apôtres et présidés par le Christ. Seuls trois de ces ensembles furent conservés ; celui exposé à Bruxelles est le plus beau des trois, d’autant plus qu’il est entièrement autographe. Il est considéré comme le véritable testament pictural du maître puisqu’il fut réalisé entre 1610 et 1614, soit les quatre dernières années de la vie du peintre. D’une étonnante modernité, aux formes totalement libérées, aux éclats de couleurs extraordinaires, L’Apostolat du Palais des Beaux-Arts retrouvera ensuite le «Museo de El Greco» de Tolède pour ne plus jamais en sortir...

Le musée de Tolède

Cette exposition de Bruxelles a en effet été rendue possible grâce aux travaux de restauration entrepris au musée Greco de Tolède. Ce musée privé est né de l’intérêt que le marquis de Vega Inclàn eut au tout début du XXe siècle pour cet artiste, alors totalement oublié. Il acquit le plus grand nombre d’œuvres qu’il put trouver, œuvres du Greco lui-même, celles sorties de son atelier, répliques et copies, qu’il installa en 1908 dans un musée à Tolède. L’historien d’art Manuel Bartolomé Cossio composa une monographie qui contribua à donner un nouvel éclairage sur cette œuvre qui présente une étrange parenté avec la période bleue de Picasso.

En savoir plus :

Bozar, palais des Beaux-Arts, 10 rue Royale, Bruxelles, jusqu’au 9 mai 2010.

- El Greco, Domenikos Theotokopoulos 1900, par Ana Carmen Lavin Berdonces, José Redonto Cuesta et Rafael Alonso Alonso, BAI, 200 p. 29,95 Euros.

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