Chopin vu par Chopin : de l’enfance à l’arrivée à Paris (1/7)

Avec Jean-Pierre Grivois, invité par Julie Devaux
Avec Julie DEVAUX
journaliste

Qui mieux que Frédéric Chopin en personne peut décrire sa vie, son œuvre, ses amours, sa maladie… ? A travers ses lettres, Canal Académie lui rend hommage pour fêter le bicentenaire de sa naissance. Plusieurs émissions vous seront proposées par le mélomane Jean-Pierre Grivois. Voici la première : elle couvre la période de l’enfance du compositeur à son arrivée à Paris.

Émission proposée par : Julie DEVAUX
Référence : carr659
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Nous fêtons en cette année 2010 le bicentenaire de la naissance de Frédéric Chopin, l'un des plus grands compositeurs du XIXe siècle. Canal Académie a voulu lui rendre hommage à travers ses écrits au cours de plusieurs émissions qui retracent son enfance, son ascension à Paris, sa relation tumultueuse avec George Sand et les dernières années de sa vie.

Frédéric Chopin, d’après un croquis de Franz Xaver Winterhalter

Pour nous accompagner dans cet hommage à Frédéric Chopin, Jean-Pierre Grivois, mélomane et auteur du livre « Moi, JSB », a voulu retrouver qui était le véritable Chopin à travers sa correspondance, qui, comparée à celle de Jean-Sébastien Bach, fut extrêmement abondante.

- Dans cette première émission, vous allez donc découvrir les lettres écrites par Frédéric Chopin pendant son enfance jusqu’à son installation à Paris en 1831.

Frédéric Chopin est né le 1er mars 1810 à Zelazowa Wola dans le Duché de Varsovie, actuelle Pologne. Il est issu d'un père français, Nicolas Chopin, immigré en Pologne, précepteur des plus grandes familles nobles et d'une mère polonaise, Justyna Krzyżanowska, dame d’honneur et cousine de la comtesse Skarbek. Il est le second d'une fratrie de quatre enfants. Sa sœur aînée se prénomme Ludwika et ses deux sœurs cadettes : Isabelle et Emilie. Cette dernière disparaîtra à l’âge de quatorze ans.

À huit ans, Frédéric Chopin écrit déjà, dans l'une des lettres adressée à son père, qu'il s'exprimera beaucoup mieux en musique qu'avec des mots : « Bien qu'il me serait plus facile de te faire part de mes sentiments s'il était possible de les exprimer par des sons de la musique. Mais comme le plus beau des concertos n'arriverait pas à te faire part, mon cher papa, de toute l'affection que j'ai pour toi, je dois employer les simples mots qui sortent de mon cœur, pour te dire que je dépose à tes pieds l'hommage de ma tendresse reconnaissante et de mon attachement filial. »

Dès ses premières années, Chopin montre de grandes dispositions à la musique de par sa sensibilité et son sens musical. Il commençe l’étude de la musique dès l’âge de 6 ans et compose sa première œuvre, la Polonaise en sol mineur, en 1817, à l’âge de 7 ans.

Très vite, il donne son premier concert dans un salon aristocratique de Varsovie où il devient la coqueluche des nobles et joue même pour le frère du tsar, le grand duc Constantin. Parallèlement, il étudie au conservatoire et au lycée de Varsovie où son père enseigne le français. C’est à cette époque qu’il découvre la musique populaire polonaise puisqu’il passe de nombreuses vacances avec sa famille dans différentes régions rurales de la Pologne.

Frédéric Chopin, complexé par son nez, débordait d’humour : « Les mouches se posent continuellement sur mon nez proéminent, mais cela n’a rien de neuf, ces insupportables bestioles en ont l’habitude. Les moustiques me tourment mais qu’importe, ils ne s’attaquent pas au nez ! ». Il y avait chez lui une joie de vivre, de drôlerie, même dans les dernières années de sa vie. Une joie mal connue de par la légende qu'on lui attribue : le triste poète romantique…

La santé de Chopin a toujours été décrite comme fragile. Bien que n’étant pas une force de la nature – Il était maigre et pâle -, il prend toujours soin de dire dans ses lettres qu’il se nourrit bien pour rassurer les siens. Envoyé en cure avec sa sœur Emilie en août 1826, il écrit ainsi à son ami Guillaume : « Depuis deux semaines, je bois du petit lait et les eaux du pays, j’ai paraît-il un peu meilleure mine, je grossirais même, ce qui devrait me rendre paresseux. »

Pourtant, cette fragilité ne semble pas l’avoir affecté. Comme en témoigne cette lettre écrite à son ami Jeannot : « Es-tu encore en vie ou as-tu cessé de l’être ? Mon Dieu, il y a déjà plus de trois mois que tu ne m’as pas écrit un mot… Alors, après avoir séché mes paupières gonflées par les larmes, je saisis ma plume pour te demander si tu vis ou si tu es mort ! Si tu es mort, fais-le moi savoir et je le ferai savoir à la cuisinière. Depuis qu’elle avait appris la première nouvelle, elle récitait sans cesse des oraisons. » Période difficile dans la vie de Frédéric Chopin, puisque trois semaines après avoir écrit cette lettre, sa sœur Émilie décède.

Chopin a été nourri des œuvres de Mozart durant toute son enfance. Il avait pour le compositeur un culte tout particulier. C’est à cette époque qu’il a écrit plusieurs œuvres pour orchestre, en particulier une variation sur un air du Don Juan de Mozart.

Contrairement à Mozart ou à Schubert, Frédéric Chopin n’a pas un très grand catalogue musical de jeunesse. Il a très peu composé à cette époque. Ce sont vraiment vers les dernières années polonaises qu’il commence à composer. Car avant, il ne se considérait pas réellement comme un compositeur. Il préférait se consacrer à sa famille et ses amis. « Tu ne peux savoir quelle soif j'avais de recevoir de tes nouvelles, mon cher bien-aimé Titus. Je t'embrasse encore une fois. Je t'embrasse. Tu n'aimes pas qu'on t'embrasse. Promets-le moi aujourd'hui à l'occasion du nouvel an 1829. Je te baise sur la bouche si tu me le permets ».

Une oeuvre relativement brève : 18 h de musique

Rappelons les noms qu'il donnera à la plupart de ses oeuvres pour piano : mazurkas, polonaises, valses, études, impromptus, nocturnes, préludes et balades. Les rythmes et les thèmes s'inspirant des folklores polonais. Il faut savoir que l'oeuvre de Frédéric Chopin est particulièrement brève comparée à celle d'autres compositeurs. Il n'a en effet composé en tout que 18 heures de musique. Ce qui est très peu si l'on compare aux plus de 250 heures de musique ininterrompue de Bach, Beethoven ou Mozart.

Dans toutes ses lettres, Chopin parle de ses œuvres : il compose beaucoup entre 1828 et 1829. On peut citer par exemple l’étude n°8 en fa majeur pour piano composée en 1828 dont la principale difficulté est de garder à la fois un caractère léger et dansant à la main gauche et une clarté et précision à la main droite.

Premiers émois pour des cantatrices

Chopin se rend compte peu à peu que Varsovie n'est pas le centre du monde musical. Son père l'encourage même à voyager. Il va ainsi se rendre à Berlin pour un congrès scientifique avec deux de ses amis. « Voici mon impression sur Berlin. Elle est démesurée. Une population double y tiendrait à l’aise. Je ne fais rien d’autre que d’aller au théâtre. » Il porte également des jugements très précis sur les jeunes chanteuses qu’il rencontre avec toujours une pointe d’humour. « Melle Sonntag n’est pas belle mais elle est charmante au plus haut point. Elle ensorcèle tout le monde par sa voix. Celle-ci n’est pas très étendue mais elle est extrêmement travaillée. »

C’est à cette même époque que Chopin connaît ses premiers émois. Il était, comme on le sait, passionné d’opéra italien et tombait très souvent amoureux des cantatrices. Il y a d’ailleurs une cantatrice qui semble l’avoir marqué plus que d’autres. Il s’agit de Constance qu’il décrit comme son idéal, à qui il a dédié l’Adagio de son Concerto n°2 en fa mineur op.21.

Avec l'orchestre de Vienne

A Vienne, Frédéric Chopin donne des concerts, voici comment il décrit l'un deux à son ami très cher Titus. Ce récit est caractéristique de tous les concerts qu'il donnera par la suite. « Vienne m'étourdit, m'enivra, me divertit tellement que malgré l'absence de nouvelles des miens, j'y ai passé sans souffrir de nostalgie plus de deux semaines. Figure-toi qu'en ce peu de temps, on m'a fait jouer deux fois en public au Théâtre impérial... L'orchestre me fit grise mine à la répétition, sans doute parce qu'à peine arrivé à Vienne, j'allais sans qu'on sache pourquoi, jouer mes propres compositions... Je fis commencer la répétition par les Variations qui te sont dédiées et que le Rondo à la Krakowiak devait précéder... L'orchestre pataugeait et se plaignait de la mauvaise écriture des partitions. »

Chopin hésite à quitter la Pologne suite à l'insurrection de Varsovie, qui aura lieu dans la nuit du 29 novembre 1830. « Mon bien cher Titus, si je m'en vais, je ne reverrai plus la maison, me semble t-il; je pense que je mourrai au loin. Et comme il doit être triste de mourir ailleurs qu'où l'on a vécu. Qu'il me serait affreux de voir auprès de mon lit de mort, non les miens, mais un médecin compassé ou un domestique. »

Le 11 octobre 1830, Frédéric Chopin donne un concert au cours duquel chante celle qu'il appelle Melle Gladowska, qui n'est autre que Constance, à qui il n'a toujours pas avoué son amour. Il passe huit mois à Vienne. Son ami Titus, qui est avec lui au début, s'en va rejoindre la Pologne, lui reste seul. Pendant son séjour, il compose beaucoup. Cependant, il doute... Ce qu'il ressent s'exprime ainsi à travers des œuvres comme le Scherzo n°1 en si mineur, op.20 pour piano.

Varsovie écrasée

Chopin quitte Vienne, réussit à avoir un passeport pour Londres avec le vague projet de passer par Paris. Il passe par Munich et Stuttgart. C'est là qu'il va vivre des heures dramatiques. Chopin vient d'apprendre la régression sanglante par les Russes de l'insurrection de Varsovie et il n'a pas de nouvelles des siens. C'est alors qu'il écrit ce que l'on appelle le Journal de Stuttgart. La fin du texte avec la haine des français qui s'avéra être un quiproquo. C'est également à cette occasion qu'il a composé l'Etude dite « Révolutionnaire ».

Mais que va faire Frédéric Chopin après son départ à Stuttgart ? C’est ce que vous verrez dans notre prochaine émission avec son ascension à Paris.

En savoir plus :

Frédéric Chopin est né le 1er mars 1810 à Zelawova Wola dans le Duché de Varsovie, actuelle Pologne. Il est mort le 17 octobre 1849 à Paris à l’âge de 39 ans. C’est l’un des plus grands compositeurs de musique romantique du XIXe siècle. Il est notamment connu pour sa virtuosité au piano puisqu’il n’a pratiquement composé que pour cet instrument. Toujours en quête de retranscrire le chant italien au piano et violoncelle, il est également connu pour être l’un des pères de la technique pianistique moderne avec Liszt. On lui doit ce grand phrasé de notes infinies, qui a influencé nombre de compositeurs : Fauré, Ravel, Debussy, Rachmaninov ou encore Scriabine.

Extraits musicaux écoutés lors de l'émission :
- Impromptu n°3 en sol bémol majeur op.51 pour piano, Bella Davidovich
- Polonaise en sol mineur pour piano, Alessandra Ammara
- Variation op. n°2 sur un air du Don Juan de Mozart
- Etude n°8 en fa majeur pour piano, Louis Lortie
- Concerto n°2 en fa mineur op.21, Moscow Philarmonic Orchestra
- Rondo à la Krakowiak pour piano et orchestre en fa majeur op.14, London Symphony Orchestra
- Scherzo n°1 en si mineur, op.20 pour piano, Alwin Bär
- Etude n°12 op. 10 pour piano dite « Révolutionnaire », Louis Lortie

Ecoutez également d'autres émissions musicales classiques :
- Moi, Jean-Sébastien Bach
- 1705 : Quand Bach rencontre Buxtehude
- Symbolique et rhétorique chez Jean-Sébastien Bach

Exposition Chopin à Paris

Le Musée de la Vie romantique propose l'exposition du bicentenaire "Frédéric Chopin, la note bleue". Par une centaine d'oeuvres signées Delacroix, Scheffer, Delaroche, Ingres, Corot, et bien d'autres, c'est un vibrant hommage qui est ainsi rendu au célèbre compositeur romantique. Entre littérature, peinture et musique, l'exposition fait jouer la gamme des correspondances.
Exposition ouverte du 2 mars au 11 juillet 2010, tous les jours sauf lundi de 10 h 18 h. 16 rue Chaptal, 75009 Paris. www.vie-romantique.paris.fr/www.vie-romantique.paris.fr/

La série Chopin vu par Chopin :

Chopin vu par Chopin, de son arrivée à Paris à son succès (2/7)
Chopin vu par Chopin : ses amours et sa relation avec les autres musiciens (3/7)
Chopin vu par Chopin : sa tumultueuse relation avec George Sand (4/7)

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