La poule au pot du bon roi Henri IV

La chronique « Histoire et gastronomie » de Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

La poule au pot évoque le bon roi Henri IV dans l’imaginaire collectif français. L’histoire de la poule au pot a été mise en exergue dès le XVIIe siècle, mais a été modifiée au cours des temps et popularisée par l’imagerie populaire de la fin du XIXe siècle, notamment celle de Job.

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr592
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La première relation de la poule au pot remonte à la version imprimée de l'Histoire d'Henri le Grand, composée par Hardouin de Perefixe, archevêque de Paris, cy-devant Précepteur du Roy en 1661. C'est une oeuvre didactique, destinée à l'enseignement de Louis XIV, futur Roi Soleil. L'histoire de la poule au pot est la conclusion d'une conversation au jeu de paume entre le roi Henri IV et le duc de Savoie :

« Le Duc, voyant un grand peuple, lui dit qu'il ne pouvait assez admirer la beauté et l'opulence de la France, et demanda à sa Majesté ce qu'elle lui valait de revenu. Ce Prince généreux et prompt en ses réparties lui répondit, « Elle me vaut ce que je veux ». Le Duc trouvant cette réponse vague, le voulut presser de lui dire ce que la France lui valait. Le Roi répliqua, « Oui, ce que je veux, parce qu'ayant le coeur de mon peuple j'en aurai ce que je voudrai, et si Dieu me donne encore de la vie je ferai qu'il n'y aura point de laboureur en mon Royaume qui n'ait moyen d'avoir une poule dans son pot » : ajoutant, « et si je ne laisserai pas d'avoir de quoi entretenir des gens de guerre pour mettre à la raison tous ceux qui choqueront mon autorité. » Le Duc ne répartit plus rien et se le tint pour dit ».

C'était donc une exhortation d'un grand prélat, précepteur du roi, à se faire aimer de son peuple, à ne pas l'écraser d'impôts et à le protéger. Il faut cependant replacer cette poule au pot dans son contexte. Hardouin de Perefixe nous parle de laboureur : le laboureur était à cette époque un paysan aisé ou riche, qui possédait un attelage de boeufs ou de chevaux pour labourer ses terres. Le laboureur était l'élite de la paysannerie, et cette phrase ne s'adressait donc pas à l'ensemble de la paysannerie.
D'autre part, cette phrase s'insère dans la politique d'Henri IV de restaurer la richesse des campagnes après 40 ans de guerres de religion. Elle va dans le même sens que la phrase de Maximilien de Béthune, baron de Rosny, puis duc de Sully : « Labourages et pâturages sont les deux mamelles de la France », et dans l'encouragement des travaux de l'agronome Olivier de Serres.

Les guerres civiles avaient ruiné la France et la poule prend tout son sens dans ce contexte : quand les gens de guerre vivaient sur le pays, ils pillaient les campagnes et terrorisaient les populations, comme Jacques Callot le dessinera dans Les grandes misères de la guerre. Pour se nourrir, les gens de guerre tuaient les volailles, les moutons et les porcs : c'était la picorée, nom de l'époque pour butin et rapine. Comme le dit Hardouin de Perefixe : « La guerre avait rompu le commerce, réduit les villes en villages, les villages en masures, et les terres en friche, et néanmoins les receveurs contraignaient les pauvres paysans de payer les charges pour les fruits qu'ils n'avaient pas cueillis ».
Il n'y avait donc plus beaucoup de volailles dans les campagnes à l'issue de ces guerres. Pouvoir mettre une poule dans son pot était le témoin de la fin des guerres civiles et la restauration de la prospérité des campagnes.

Cette phrase, probablement apocryphe, inventée pour les besoins de l'enseignement du jeune Louis XIV, a eu un succès extraordinaire. Elle sera recopiée de siècle en siècle, et modifiée. Elle sera reprise peu avant la Révolution dans une chanson satirique lors des tentatives de réformes de Turgot :

« Enfin, la poule au pot va enfin être mise,

On peut du moins le présumer,

Car, depuis deux cents ans qu'elle nous est promise

On n'a cessé de la plumer ».

Bref, la poule au pot n'était pas la poule aux oeufs d'or ! Mais la saga de la poule au pot ne s'arrête pas là. Sous la Restauration, la légende de la poule au pot se modifia à nouveau et prit sa forme définitive : « Je veux que chaque laboureur de mon royaume puisse mettre la poule au pot le dimanche ». Il faut souligner qu'avant l'époque moderne des élevages industriels, il fallait un très grand poulailler pour réaliser un tel programme, une poule au pot chaque semaine de l'année.
Cette formulation, que certains attribuent à Stendhal, fut formulée en 1823, et remise à l'ordre du jour par le roi Louis XVIII. La propagande reprend ses droits, et l'habile politique et grand gastronome que fut Louis XVIII avait compris le côté rassembleur d'une telle référence, bien plus que les exploits guerriers de Louis XIV.

Le XIXe siècle gardera cette référence pour caractériser le bon roi Henri, car la poule au pot était une histoire bien plus rassembleuse et consensuelle que la défaite de la Ligue et la promulgation de l'Édit de Nantes, dans le contexte de séparation de l'Église et de l'État.

Mais peut-on encore faire une poule au pot de nos jours ?

La recette traditionnelle de la poule au pot fait appel à une vieille poule cuite en pot-au-feu. Or il est de nos jours très difficile de trouver dans le commerce des poulets de plus de 100 jours, à l'exception des poulardes et des chapons engraissés.
Pour faire une bonne poule au pot, il faut une poule de deux kilos, que l'on farcit avec ses abats et de la mie de pain, parfois de l'oeuf et de la barde de jambon. On la fait cuire dans un pot de terre vernissée traditionnellement ou à défaut en fonte. On la cuit avec les légumes du pot au feu (poireaux, carottes, navets, oignons cloutés de clous de girofle, céleri en branche), et on la sert avec du riz et une sauce blanche. Un vrai délice, sans oublier le bouillon de poule, que beaucoup de nos contemporains ne connaissent pus qu'à travers les concentrés secs industriels, et qui fut le reconstituant donné aux malades des siècles passés.

Texte du docteur Jean Vitaux

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Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais aussi fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’histoire de la gastronomie. Retrouvez toutes ses chroniques en

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