La lumineuse personnalité de Marguerite Yourcenar

Entretien avec Sylvia Baron Supervielle
Marguerite YOURCENAR
Avec Marguerite YOURCENAR de l’Académie française,

Durant sept années, Sylvia Baron Supervielle a entretenu une correspondance avec Marguerite Yourcenar dont elle traduisait en espagnol les poèmes et le théâtre. Elle témoigne ici de cette inoubliable rencontre, dévoilant des aspects inattendus de la vie et de la personnalité de Marguerite Yourcenar.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : pag726
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Dans le cadre des émissions que Canal Académie consacre à Marguerite Yourcenar, élue à l’Académie Française, le 6 mars 1980, il y a tout juste 30 ans, voici le témoignage d'une femme écrivain de notoriété, originaire d’Argentine, Sylvia Baron Supervielle (elle est apparentée au poète Jules Supervielle par son ascendance) qui a correspondu, durant sept années, avec Marguerite Yourcenar. Cette correspondance Marguerite Yourcenar – Silvia Baron Supervielle intitulée « Une reconstitution passionnelle » est publiée, en ce début d’année 2010 chez Gallimard. On la doit à l'initiative de Achmi Halley, directeur de la Villa Yourcenar, auteur d'une thèse sur elle. En cette année anniversaire, il initie de nombreuses manifestations partout en Europe, autour de Marguerite Yourcenar (auxquelles Canal Académie s'associe en partenaire).

La découverte de "Sept poèmes pour une morte"

Sylvia Baron Supervielle relate tout d'abord la manière dont elle a découvert, dans les années 80, chez un bouquiniste de la Seine, une revue intitulée « Le manuscrit autographe » qui présentait des sonnets « Sept poèmes pour une morte » de Marguerite Yourcenar. Le bonheur de lire ces poèmes fut un tel choc qu'elle entreprit de les traduire en espagnol, les envoya à l'auteur qui, immédiatement, lui répondit et lui donna son accord pour les faire éditer par Gallimard.
« Traduire, confie Sylvia Baron Supervielle, est pour moi une nécessité, propre à la musique et à la poésie, qui me détache de la réalité. Dans la solitude du travail personnel, la lame de la passion est redoublée et partagée ». Dans cette traduction de sonnets, elle n'a pas rencontré de difficultés particulières et il semble que Marguerite Yourcenar ait apprécié le rendu de la musicalité de ses textes. Il ne faut pas oublier qu'elle-même connaissait l’art de la traduction, pour avoir traduit, notamment, les negro-spirituals, Virginia Woolf, Henry James, les Amérindiens, les grecs aussi...

Sylvia Baron Supervielle © Louis Monier

Célèbre et solitaire

A l'époque, Sylvia Baron Supervielle était une toute jeune femme, traductrice et auteur de quelques poèmes seulement tandis que Marguerite Yourcenar, à 77 ans, était un auteur mondialement célèbre. Aussi notre invitée raconte-t-elle comment elle a été à la fois intimidée et éblouie par la manière dont "la Dame de Petite Plaisance" l'a accueillie aux Etats Unis, en août 1983, dans cette maison en bois où elle vivait solitaire (après la mort de Grace Frick), sans vraiment nouer de relations avec ses riches voisins mais en étant appréciée des gens de maison... Sylvia Baron Supervielle fut frappée de cette différence entre la manière dont elle était considérée à Paris (entre autres, puisqu'elle venait d'être élue à l'Académie française) et son style de vie à Northeast Harbor...

Son chien, les oiseaux et l'immense jardin constituaient son univers quotidien. Et dans la maison, sur les tables de toutes les pièces, y compris la cuisine, des carnets pour prendre des notes à tout moment. En conversant avec son hôtesse, Sylvia Baron Supervielle avait l'impresssion qu'elle avait "à l'arrière de sa tête, une autre chambre où l'écriture ne cessait jamais. Elle écrivait tout le temps, même quand on ne la voyait pas faire".

Quel souvenir majeur garde-t-elle, trente ans après ?

- La luminosité !

« Son personnage m’impressionnait mais je connaissais ses livres. Il n’était pas commode, néanmoins, de maintenir son naturel devant cette apparence marmoréenne qu’elle affichait et qui s’opposait à son regard attentif et lumineux » (citation page 11 dans l'avant-propos de ce livre de correspondance). Sylvia Baron Supervielle raconte comment, devant Marguerite Yourcenar, il n'était pas question de tricher, de vouloir paraître autre que ce que l'on est. Il fallait être tout simplement soi.

Ainsi Yourcenar lui apparut elle comme une femme en exil, un sentiment qu'elle-même connait aujourd'hui, puisqu'elle a fait le choix d'abandonner l'Argentine, son pays natal, pour la France. Un exil symétrique en somme.

La première lettre de Yourcenar est datée de 15 juin 1980, de Petite Plaisance pour dire qu’elle a aimé la qualité de la traduction. Jusqu’en 1982, c’est « chère madame », puis « chère Silvia ». Les lettres continueront jusqu'à la fin, en décembre 1987.

D’une manière générale, Marguerite Yourcenar, connue pour être une grande voyageuse, était aussi une grande épistolière. Achmi Halley précise d'ailleurs, dans la postface de ce livre, qu'une grande partie de sa correspondance reste inédite. « On devine à la lecture des lettres, écrit-il (page 99), à leur ton amical et souvent enthousiaste, que Yourcenar a été séduite par le talent de traductrice et la personnalité attachante et généreuse de sa correspondante ».

Et les lecteurs de Yourcenar ne peuvent avoir oublié qu'elle a également utilisé la lettre comme procédé littéraire, Les mémoires d’Hadrien, n'étant, après tout, qu'une longue lettre…

Sylvia Baron Supervielle © Louis Monier

A consulter : le site de la Villa Marguerite Yourcenar

villayourcenar@cg59.fr

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