Jean Anthelme Brillat-Savarin : conseiller à la cour de cassation et théoricien de la gastronomie

La chronique "Histoire et gastronomie" de Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

La vie et le destin de Jean Anthelme Brillat-Savarin sont fascinants. Celui qui fut l’un des premiers à définir la gastronomie nous est connu surtout par son livre majeur Physiologie du goût. Il participa à la Révolution puis à la Constituante, émigra à New York, revint à Paris où il fréquenta le salon de sa cousine Madame Récamier... Et tout cela, en se délectant de quelques bons plats ! Retour sur une vie semée de nombreux plaisirs de bouche avec le Dr Jean Vitaux.

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr585
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Le destin de Jean Anthelme Brillat-Savarin est fascinant : né en 1755 à Belley, capitale du Bugey sous Louis XV, et mort à Paris en 1826, il aura connu tous les régimes de cette période.

Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755 - 1826)

Parent de Madame Récamier par sa mère, il est désormais célèbre surtout par son livre majeur Physiologie du goût, paru en décembre 1825, peu avant sa mort.

Juriste, après avoir suivi des études de droit à Dijon, il revint s'installer à Belley comme avocat en 1778, puis devint lieutenant civil du baillage de Belley en 1781. Elu à 35 ans aux Etats Généraux en 1789, il fut un fin observateur de la prise de la Bastille le 14 Juillet où il parle «de la perfidie presque sans exemple du gouverneur de la Bastille M. de Launay, (qui) porta la fureur du peuple (...) et devait s'attendre à de justes représailles : sa tête fut coupée et portée sur une lance».

Il participa aux travaux de la Constituante, s'opposa aux jurys populaires et défendit la peine de mort, s'opposant alors à Robespierre ! Il revint à Belley en Octobre 1791, et bien que soupçonné de fédéralisme et de modérantisme, il fut triomphalement élu maire de Belley : cependant il a été obligé de fuir en octobre 1793, menacé par la chute des Girondins, ce qui ne l'empêcha pas de se délecter de cailles, de petits râbles et de levrauts lors de sa fuite. Revenu à Belley et réintégré dans ses fonctions, il doit s'exiler en décembre 1793 en Suisse à Lausanne où il se repaît « de l'excellent poisson du lac de Genève accompagné d'un petit vin blanc limpide comme eau de roche, qui aurait fait boire un enragé », puis passe par l'Allemagne et les Pays-Bas, avant de s'embarquer pour l'Amérique. Devenu émigré, il survit à New York, en donnant des leçons de français et en jouant du violon dans les théâtres : il ne néglige pas pour autant la table

Le Goût, eau-forte par Abraham Bosse

, y découvre le Welsh Rabbit agrémenté de bière et de cidre, et devint selon ses mots « un dindinophile passionné ». Il rentre à Paris en août 1796, se fait radier de la liste des émigrés, récupère ses biens et ses vignes et devient juge au tribunal de cassation.

Radié après le coup d'état de Fructidor, il devient secrétaire à l'état major de l'armée du Rhin, sous les ordres du général Augereau, puis il est nommé président du tribunal de Bourg, puis commissaire au tribunal de Versailles, où il participera à la plus célèbre erreur judiciaire de son temps, l'Affaire du Courrier de Lyon qui condamna à tort le citoyen Lesurques à mort. A 45 ans, en décembre 1799 il fut nommé par le Sénat magistrat au tribunal de Cassation. Il y restera jusqu'à sa mort en 1826, prêtant serment successivement à tous les régimes, du consulat, à l'empire héréditaire, à la monarchie restaurée. Un bel exemple de « girouette » qui résistera à tous les régimes sauf à la terreur, avec selon ses propres termes « plus de philosophie que de dévotion ». Durant l'Empire, Brillat-Savarin fréquenta assidûment le salon de sa cousine Madame Récamier,

Juliette Récamier dit Madame Récamier (1777 - 1849)

mais aussi les restaurants à la mode nés après la révolution thermidorienne : Véry, les Frères Provençaux, Beauvilliers et Tortoni. Il participa assidûment aux dîners de 40 couverts que l’archichancelier Cambacérès et Talleyrand donnaient deux fois par semaine pour assurer la représentation de l'Empire. Le cuisinier de Talleyrand, l'illustre Carême ne l'aimait pas : « Ni M. de Cambacérès, ni M. Brillat-Savarin n'ont jamais su manger (...) M de Savarin était un gros mangeur et causait fort peu et sans subtilité, ce me semble. Il avait l'air lourd et ressemblait à un curé à la fin du repas, sa digestion l'absorbait ; je l'ai vu dormir ». Balzac le décrit en raison de sa haute taille comme «Le tambour-major de la Cour de Cassation».

En 1821, il entreprend de rédiger Physiologie du goût. Il décrit son écriture : « Je n'ai fait que mettre en ordre des matériaux rassemblés depuis longtemps : c'est une occupation amusante que j'avais réservée pour ma vieillesse » et la publie à compte d'auteur en décembre 1825, sous le pseudonyme du « Professeur, membre de plusieurs sociétés savantes ». On l'identifie rapidement comme en étant l'auteur et il fait scandale car certains ont pensé qu'il avait porté atteinte à la dignité des membres de la Cour de Cassation. Pour faire cesser le scandale, et comme il était assez peu royaliste, le président de Sèze le convoque à la messe anniversaire de la mort de Louis XVI le 21 Janvier 1826 : « Votre présence, en cette occasion, mon cher collègue, sera d'autant plus agréable que ce sera la première fois ». Brillat-Savarin se rend donc à la basilique de Saint-Denis, et dans le froid glacial, prend froid et meurt d'une pneumonie le 1er Février 1826.

Mais un mot, c'est parfois un homme, une oeuvre et le véritable inventeur du mot gastronomie

Page extraite de l’édition originale de La physiologie du goût

c'est Brillat-Savarin dans Physiologie du goût, bien que Joseph Berchoux ait publié en 1801 La gastronomie ou l'homme des champs à table, recueil de vers un peu indigeste dans le style de Delille. Le style de Physiologie du Goût a été loué par Balzac : « tout pétille, tout est vermeil comme le carmin des lèvres du gourmand » ; il en apprécie particulièrement « le comique sous la bonhomie ». Jean François Revel l'a considéré comme « un chef d'oeuvre (...) aimable et divertissant, amusant et bien élevé ». Son succès ne s'est pas démenti depuis 1826, et il a été constamment réédité et illustré (notamment par Alfred Robida).

L'esprit de Brillat-Savarin s'exprime parfaitement dans les aphorismes qu'il a placés en tête de son ouvrage :

- « Les animaux se repaissent ; l'homme mange ; l'homme d'esprit seul sait manger.

- La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.

- La table est le seul endroit où l'on ne s'ennuie jamais pendant la première heure.

- La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile.

- Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un oeil.

- La qualité la plus indispensable du cuisinier est l'exactitude : elle doit être aussi celui du convié.

- Convier quelqu'un, c'est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu'il est sous notre toit. »

Sa définition de la gastronomie reste toujours actuelle : « La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible. (...) La gastronomie tient à l'histoire naturelle, à la physique, à la chimie, à la cuisine, au commerce et enfin à l'économie politique ». Il nous dit aussi « Les connaissances gastronomiques sont nécessaires à tous les hommes, puisqu'elles tendent à augmenter la somme de plaisir qui leur est destinée », formule dont je ferais volontiers ma devise.

Lisons donc encore et toujours Physiologie du Goût de Jean Anthelme Brillat-Savarin.

Texte du Dr Jean VITAUX.


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Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais aussi fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’histoire de la gastronomie. Il est, avec Benoît France, l'auteur du célèbre Dictionnaire du gastronome (éditions PUF Le dictionnaire du gastronome Retrouvez toutes ses chroniques en

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