Metternich, Le séducteur diplomate

Entretien avec Charles Zorgbibe, par Laetitia de Witt
Avec Laëtitia de Witt
journaliste

Le fameux Clément de Metternich, ministre de l’Autriche, joua un rôle majeur sur la diplomatie européenne du XIXème siècle. Charles Zorgbibe présente un Metternich tour à tour, vainqueur de Napoléon, praticien de la diplomatie et fondateur d’un nouvel ordre international sans occulter pour autant les autres facettes d’un personnage séducteur, menteur et orgueilleux…

Émission proposée par : Laëtitia de Witt
Référence : hist577
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Les débuts du diplomate autrichien

Clément de Metternich naît en 1773 à Coblence, dans l'Électorat de Trèves. Celui qui incarna l’Autriche n’est, en fait, pas vraiment autrichien, il est plutôt issu de la haute noblesse rhénane. A l’âge de quinze ans, Metternich est inscrit à l’école diplomatique de Strasbourg. Là-bas, il rencontre Benjamin Constant, mais aussi le futur prince André Razoumovski, le général Tolstoï, et Tchernychev. C’est là aussi qu’il se trouve confronté pour la première fois à la Révolution. Il conservera toute sa vie une véritable passion anti-révolutionnaire. Installé à Vienne, où la famille de Metternich a trouvé refuge depuis 1794, il épouse le 27 septembre 1795, Eléonore von Kaunitz, petite fille du puissant chancelier-comte von Kaunitz. Ironie de l’histoire, le mariage est célébré au château d'Austerlitz où, dix ans plus tard, le 2 décembre 1805, Napoléon remportera sa plus belle victoire. Il s’agit d’un mariage de convenance qui offre à Metternich une vie conforme à ses goûts. Éléonore lui donnera sept enfants.

L’entrée en scène

Il faut attendre la mort de son beau-père en 1797, pour que Metternich accepte sa première mission diplomatique à Dresde. En 1803, il devient ambassadeur à Berlin. En 1806, il espère être nommé ambassadeur à la cour de Saint-Pétersbourg quand Napoléon réclame un membre de la prestigieuse famille Kaunitz. Le voilà donc ambassadeur à Paris de 1806 à 1809, où il usera de sa séduction. Il devient l’amant de la duchesse d'Abrantès, épouse du général Junot, et de Caroline, reine de Naples et sœur de Napoléon. Sur le plan politique, Metternich défend la collaboration avec l’empereur des Français. Cette position lui vaut d’ailleurs la désaffection de nombreux de ses concitoyens. Pour parfaire sa politique de collaboration, il se met en tête d’être le meilleur connaisseur de Napoléon. Dans ses relations avec l’empereur des Français, séduction et duperie ne cesseront de se conjuguer.

Vainqueur de Napoléon

En 1810, il n’hésite pas à favoriser le mariage avec Marie-Louise qui devient même une pièce essentielle de sa politique de collaboration. Ce n’est que l’échec français en Russie qui engage Metternich à changer de camp. Dès lors, il bouleverse l’équilibre entre les deux puissances que sont la France et la Russie et fait passer la victoire du côté de la sixième coalition contre Napoléon.

A l’issue de la campagne de France (1814), il se montre d’abord favorable à l'Aiglon — fils de Napoléon mais surtout petit-fils de l'empereur d'Autriche — et à une régence de l'impératrice Marie-Louise. Toutefois le ministre des affaires étrangères britannique, Castlereagh, et le tsar Alexandre n’ont aucun mal à lui faire accepter la restauration des Bourbons.
En 1814, lors du premier traité entre les alliés et la France, les puissances décident de se réunir pour réorganiser l’ordre européen, bouleversé par les guerres napoléoniennes. Le congrès se tiendra à Vienne de novembre 1814 à juin 1815.

Le fondateur d’un nouvel ordre européen

Metternich est sans conteste l’un des principaux acteurs du congrès de Vienne. Il modère l'esprit de revanche des alliés contre la France tout en se montrant soucieux de préserver les intérêts autrichiens. Dans les années qui suivent, devenu chancelier d’Etat, il demeure un pilier de la Sainte Alliance (alliance formée par les vainqueurs de Napoléon dans le but de maintenir la paix) qui garantit à l'Europe une soudaine stabilité.
Metternich exerça un rôle majeur sur la diplomatie européenne du XIXème par l’équilibre qu’il sut imposer mais aussi en la modifiant. En effet, avec le congrès de Vienne c’est une nouvelle diplomatie qui émerge : la diplomatie des congrès. Pour la première fois, les monarques se rencontrent et s’appuient sur des codes écrits.
L’empereur François Ier d’Autriche, avec lequel Metternich formait un couple solide, s’éteint en 1835. Cela ne signifie pas pour autant la disgrâce pour Metternich. Au contraire, il reste au pouvoir afin d’assister le nouveau monarque, Ferdinand Ier. Seules des émeutes révolutionnaires obligent Metternich à quitter Vienne en mars 1848. A 75 ans, il part pour l’exil d’abord en Angleterre puis à Bruxelles. Il est finalement autorisé à revenir dans son pays par le gouvernement autrichien. Il meurt à Vienne en 1859, onze ans après avoir été chassé du pouvoir.

Présentation de l'éditeur

«Son regard bleu et bienveillant tromperait Dieu lui-même.» Le mot est de Stendhal.
Metternich, le reconstructeur de l'ordre européen après les guerre napoléoniennes, fut un séducteur. Séducteur et Européen jusque dans ses amours : trois épouses autrichiennes, trois maîtresses russes, trois maîtresses françaises. Avec l'avantage d'une bonne conscience absolue : «Je n'ai jamais été infidèle. La femme que j'aime est, chaque fois, la seule au monde.»
Une séduction brouillée par une fatuité presque naïve : le chancelier est convaincu de détenir la vérité. Il se décrit en Messie à travers l'Europe, sollicité par les différents monarques qui recherchent ses conseils et l'érigent en arbitre du monde.
Pour ses contemporains, la cause est entendue : il est un menteur. Le secrétaire au Foreign Office, Canning, l'affirme : «C'est le plus grand menteur de l'Europe, et peut-être du monde civilisé.» Napoléon le confirme : «C'est le plus grand menteur du siècle.» Talleyrand n'est pas tendre pour son jumeau en diplomatie : Metternich «ment toujours mais ne trompe personne», au contraire de Mazarin «qui trompait, mais ne mentait pas».
Metternich faisait confiance à la postérité : «Elle me jugera... tout autrement que tous ceux qui ont affaire avec moi aujourd'hui.» Quel regard porter sur Metternich, près de deux siècles après ce Congrès de Vienne qui fit danser toute l'Europe ?...

Dans ses dernières années, Metternich se considérait comme «un vieux médecin dans le grand hôpital du monde». Sa principale médication ? L'art de gouverner ne consiste pas à châtier mais à intégrer. Une médication à succès, puisqu'elle assurera un siècle de paix à l'Europe...

L'auteur

Charles Zorgbibe est professeur de droit public à la Sorbonne. Il est auteur, entre autres, de Wilson Presses de Sciences-Po 1998, Delcassé Olbia 2001, et d'une Histoire de l'Union européenne Albin Michel 2005 (ouvrage couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques).

A écouter aussi :

- la chronique gastronomique de Jean Vitaux sur L’Europe à table : le Congrès de Vienne
- Alexandre Ier, le tsar qui vainquit Napoléon

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