Minéralogie environnementale 2/2 : minéraux, témoins de la formation et de l’évolution des sols

Avec Emmanuel Fritsch, Sabine Petit et Joseph W. Stucki
Avec Julie DEVAUX
journaliste

De quelle manière les minéraux sont-ils des acteurs du développement durable ? Comment se forment-ils ? Comment se dégradent-ils ?
Quels échanges entretiennent-ils avec le vivant ? Lors du colloque sur la « minéralogie environnementale » les 14 et 15 mai 2009 à l’Académie des sciences, plusieurs chercheurs se sont intéressés à la géosphère sous l’angle de ses relations avec l’hydrosphère et la biosphère.

Émission proposée par : Julie DEVAUX
Référence : col569
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Canal Académie vous retransmet en deux parties quelques unes de ces interventions en langue anglaise. Vous entendrez Emmanuel Fritsch, Directeur de recherche IRD à l'Institut de minéralogie et de physique des milieux condensés à Paris, évoquer la formation et la dégradation spectaculaire des sols amazoniens, Sabine Petit, directeur de recherche au CNRS et directeur ajoint de l'Unité Hydrasa, s'attarder sur le rôle crucial des minéraux argileux dans les sols. Enfin, Joseph Stucki, professeur émérite du département des ressources naturelles et des sciences environnementales de l'Université de l'Illinois, évoquer l'état du fer qui affecte la fertilité des sols.

Cristallochimie du fer et de l’aluminium en milieu tropical:
formation et dégradation des sols du bassin amazonien

Par sa surface, sa localisation dans la zone tropicale, la diversité de ses couvertures d’altération et les quantités considérables de matières exportées à l’océan, le bassin amazonien est une région emblématique
aussi bien dans la perspective de la compréhension du fonctionnement géochimique de la surface de la Terre, que dans celle du développement durable. Les prospections entreprises dans le cadre du projet Radambrasil (1978) ont montré qu'il existait une distribution ordonnée des sols à l'échelle des paysages et également une distribution ordonnée de ces paysages à l'échelle du bassin. En revanche, les mécanismes et la chronologie des processus ayant conduit à cette distribution ordonnée sont restés très mal compris. Pour prédire l’évolution des sols amazoniens, il apparaît désormais essentiel d’identifier quels sont les processus encore actifs à l’heure actuelle et de relier les processus anciens, archivés au sein des minéraux, aux transformations géodynamiques et aux changements paléoclimatiques ayant affecté le bassin dans sa globalité.

Bassin amazonien

Les études minéralogiques et structurales menées sur des sites représentatifs des principaux environnements hydro-bio-géochimiques de ce bassin ont permis de révéler les processus majeurs (latéritisation, hydromorphie et podzolisation) ayant agi dans les différents compartiments de ces paysages. Dans les compartiments latéritiques les mieux drainés, l’étude cristallochimique des minéraux secondaires, principalement argiles et oxydes de fer, permet d’en identifier plusieurs générations coexistant au sein d’un même profil, de déterminer les conditions physico-chimiques qui prévalaient lors de leur formation, et dans certains cas de démontrer leur ancienneté. L’extension des compartiments hydromorphes et podzoliques au sein de ces formations latéritiques est attribuée au développement plus récent de systèmes de nappes et à l’acidification du milieu. Ces processus agissent de façon prépondérante dans la partie centrale et amont du bassin, correspondant aux régions les plus pluvieuses. La remobilisation des éléments préalablement accumulés (essentiellement Fe puis Al) s’avère particulièrement actives dans les fronts d’altération latéraux, situés à la transition entre compartiments pédologiques, et témoigne de l’actualité des processus mis en jeu. Cette approche multi-échelle permet de resituer les systèmes de sols étudiés dans un contexte géodynamique plus global, attribué à l’histoire du bassin, et de mieux comprendre la place des systèmes tropicaux dans l’évolution des surfaces continentales.

Emmanuel Fritsch, Étienne Balan
Institut de minéralogie et de physique des milieux condensés (IMPMC), Paris

Signification et rôle des argiles dans les sols : utilisation de données expérimentales récentes

Dans les sols, les transferts d’éléments sont contrôlés par des réactions aux interfaces entre les constituants minéraux, organiques et biologiques. Les minéraux argileux, de par leurs propriétés, régissent
en grande partie ces réactions. Possédant une capacité d’échange cationique (CEC), ils jouent un grand rôle en contrôlant les flux de cations. Ils permettent également de neutraliser l’acidification naturelle du sol par saturation de la CEC par les protons libérés lors des interactions sols-plante. Cependant, on montre par altération expérimentale que les smectites-H+ ne sont pas stables et que les feuillets dont les espaces interfoliaires sont les plus accessibles sont dissous sélectivement, la composition chimique de la couche
octaédrique intervenant également. Ainsi, dans des sols modérément alcalins très argileux, riches en smectites (Vertisols d’Italie), l’analyse détaillée de la valeur et de la localisation de la charge du feuillet des
smectites suggère une sélection rapide des minéraux dont la cristallochimie est la mieux adaptée aux conditions géochimiques qui prévalent dans les différents horizons du sol. Alors que la CEC et les charges accessibles des feuillets des argiles sont identiques, la localisation des charges est différente selon les
horizons. Seules les smectites à charges tétraédriques élevées sont présentes dans les horizons supérieurs. Dans les conditions du sol les montmorillonites (héritées du sédiment) sont instables, elles disparaissent au profit de beidellites de haute charge.

Sol argileux

L’expérimentation confirme l’altération préférentielle des argiles à
charge octaédrique (montmorillonite). Une "illitisation" apparente est observée, provoquée par la fixation de K et la fermeture irréversible d’une partie des espaces interfoliaires des beidellites de haute charge. Les répercussions sur le comportement de ces sols sont importantes car ils perdent ainsi progressivement leur capacité d’échangeur. De plus, pour prédire (ou reconstituer) le fonctionnement des sols, il est pertinent
d’utiliser les caractéristiques cristallochimiques des minéraux argileux si, en même temps, on appréhende leurs processus de formation et de transformation. Les relations entre la cristallochimie des minéraux
argileux et leurs conditions de formation sont difficiles à établir par l’étude des minéraux naturels, et spéculatives, car trop de paramètres déterminants sont impliqués. En simplifiant les systèmes, les synthèses
minérales permettent de préciser comment les conditions du milieu induisent la formation de minéraux ayant une cristallochimie ou une cristallinité particulière : par exemple l’effet négatif du pH de synthèse sur la cristallinité des kaolinites a été clairement mis en évidence. Par contre aucun lien n’a pu être observé entre
la teneur en fer structural et la cristallinité de ces minéraux. Des travaux en cours soulignent également le rôle déterminant du pH dans la cristallochimie des smectites synthétisées notamment dans le système Al-Fe.

Sabine Petit, Dominique Righi
Université de Poitiers, Laboratoire HydrASA, Poitiers

The Effects of Iron Redox Cycles on Smectite Properties

The oxidation state of structural Fe in expandable clay minerals is known to assert a significant influence on the chemical and physical properties of these ubiquitous soil constituents. Because redox cycles
in nature are common, the current state of an Fe-bearing clay mineral in the soil is determined by how it has responded to such cycles. In this presentation the changes in chemical and physical properties of smectite
due to single and cyclic redox events will be reviewed. Studies have shown that reduction of structural Fe(III) to Fe(II) increases the cation fixation capacity of smectite. If K+ is the exchanged cation, reoxidation only partially reverses the fixation and some of the Fe(II) is precluded from reoxidation. Further redox cycles continue to increase the residual Fe(II) and fixed K+ in the reoxidized state, giving the smectite an illitic
character. Other changes also occur within the 2:1 layer of the smectite that may be irreversible, including partial dehydroxylation and solid-state cation migration between cis- and trans-octahedral sites. The
reversibility of these changes depends on the extent of reduction. Macroscopic properties affected include cation exchange capacity, specific surface area, mineral solubility, and swelling in water. Knowing the dependence of these chemical and physical properties on redox cycles provides information from which a more complete historical record of soil formation can be constructed.

Joseph W. Stucki, University of Illinois, Department of Natural Resources and Environmental Sciences, Urbana, USA

En savoir plus :

Ce colloque vous est retransmis en deux parties.
Ecoutez la suite :
- Minéralogie environnementale (1/2) : l’impact de la pollution chimique sur les sols
- Consultez le programme et les résumés du Colloque Minéralogie environnementale
- Académie des sciences

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