Signet et coiffe

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

D’où vient le mot « signet » et comment a t-il évolué dans la langue française ? Saviez-vous que le mot « coiffe » avait deux significations, tant pour définir le rebord d’un livre que pour évoquer ce que portaient les femmes sur la tête ? Jean Pruvost revient sur ces deux mots dans sa rubrique Mot pour mot !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots554
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Du sinet au signet jusqu’à la tranche de jambon

Un petit signe, voilà l’origine du signet, avec pour étymon le signum latin, une marque distinctive. Sinet, s i n e t, telle est la première attestation du mot, conforme à sa prononciation initiale : il représente alors le petit sceau dont on signe les affaires courantes.
- Dans la première moitié du XIVe siècle, le signet, ainsi écrit g n e t pour rappeler son origine latine, caractérisera le « poinçon des drapiers », avant de devenir un ruban inséré dans un livre pour marquer la page où on l’a laissée. Quels livres sont alors prioritairement consultés ? Les livres de messe ou missels, et leurs abrégés ou bréviaires, d’où le fait qu’en 1680 Pierre Richelet introduise la définition par une marque d’usage : « Terme d’Ecclésiatique. Petit ruban qu’on met dans les bréviaires & autres pareils livres pour servir de marque et aider à tourner le feuillet. »
- Au XVIIIe siècle, le signet, jusque-là indépendant, prendra alors du galon, si l’on peut dire, en devenant le « ruban fixé par un bout à la tranchefile du haut d’un livre ».
- Émile Littré de rappeler dans le Dictionnaire de la langue française (1863-1873) la prononciation : si-nè, comme au Moyen Âge ! : « On remarque ici, écrit-il, comment l’usage a conservé l’ancienne prononciation qui s’est perdue dans signe et signer. »
- Ce que l’Académie résume, comme toujours, au plus clair, « le G ne se prononce pas », tout en rappelant, en 1878, les deux réalités du signet : le ruban tenant « à un bouton ou peloton, que l’on met en haut d’un bréviaire », et celui que les relieurs attachent à la tranchefile.

- Au XXe siècle, on repère le signet dans un autre type de bréviaire, celui des voyageurs, en l’occurrence dans les Guides bleus permettant de visiter telle ou telle région, avec leurs élégants signets de même couleur. Michel Butor, dans la Modification, en 1957, ne manque pas d’en faire son miel littéraire. Rappelons-nous Pierre, l’un des personnages, qui confie « son guide bleu à Agnès qui met son doigt entre les pages en le fermant, …tandis que les deux signets, les deux minces rubans inutilisés pendent ». C’est ainsi que le « signet » fait partie du nouveau roman…

Quant à la prononciation, si dans son Encyclopédie du bon français Dupré rappelle en 1972 que prononcer siné reste « une élégance et une preuve de culture », au XXIe siècle, on n’en fait plus guère état. On laissera le dernier mot, iconoclaste, à Madame de Sévigné, déclarant de Monsieur de Rennes « qu’il marquait les feuillets de son bréviaire avec des tranches de jambon » !

Coiffe à ne pas fatiguer et sans rime facile

Ni Émile Littré ni Pierre Larousse n’ont intégré la coiffe d’un livre dans leur dictionnaire qu’il s’agisse donc du Dictionnaire de la langue française (1863-1873) ou du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1865-1876). Il faudra donc attendre 1907 et le Supplément du Nouveau Larousse illustré pour bénéficier d’une première définition : « Rebord qui surmonte le dos des livres reliés et déborde en tête et en queue », suivie d’un exemple bienvenu : « C’est sur la coiffe qu’apparaît la tranchefile », la tranchefile désignant le petit bourrelet entouré de fil qui garnit et renforce le haut et le bas du dos d’une reliure, pour maintenir les cahiers ensemble.

Coiffe d’un livre

En réalité, se confirme ici l’arrivée tardive d’un sens du mot « coiffe » que l’on ne repère guère avant la fin du XIXe siècle, attesté cependant dans le Manuel pratique du bibliothécaire de 1896. De fait, c’est dans le Grand Larousse encyclopédique en dix volumes, paru de 1960 à 1964, que la coiffe d’un livre va s’enrichir d’un paragraphe entier. C’est alors l’occasion d’en décrire différents types avec par exemple la coiffe lyonnaise, « formée d’une cordelette recouverte de peau sur une reliure sans tranchefile », ou encore la coiffe plate, « dans laquelle la peau est rembordée sur elle-même et couvre la tranchefile ». Enfin, signalons le nerf de coiffe, c'est-à-dire la « coiffe formée par la peau recouvrant une bande de carton comme les nerfs du dos. »

C’est l’occasion de signaler à la manière des bouquinistes qu’une coiffe peut être fatiguée, c’est-à-dire abîmée, défraîchie. C’est en effet bien à tort que, dans nos bibliothèques, l’on tire par la coiffe nos gros volumes de leur rayon. On en arrive parfois même à en déchirer la coiffe. Les bouquinistes le savent : pour prendre un volume que l’on a repéré, sans risquer de l’abîmer, on pousse l’ouvrage situé à sa gauche, l’ouvrage situé à sa droite, et le dos de l’ouvrage convoité se trouve ainsi dégagé : on peut alors le retirer aisément de son étagère.

La coiffe

D’où vient le mot coiffe ? Du bas latin cofia, sans doute issu du germanique kufia, désignant ce qui était porté sur la tête par les femmes. Deux femmes, racontent Pierre Larousse, poussèrent à bout un poète en lui demandant de rimer avec le mot coiffe, rime infernale. Et le poète de répondre : « C’est chose impossible, Mesdames ; Tout ce qui tient à la tête des femmes N’a, vous le savez bien, ni rime ni raison. » Non seulement il était particulièrement désobligeant vis-à-vis des femmes, mais encore avait-il tort puisque la coiffe rime par exemple avec la soif. Et par ailleurs, c’était ne faire aucun cas de la coiffe d’un livre, lieu d’esprit par excellence !

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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