Couverture et reliure

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Quel lien peut-il exister entre la couverture jetée sur le dos du mulet et celle dont on habille les livres ? Voici l’une des questions à laquelle se propose de répondre Jean Pruvost, au cours de son riche voyage à tavers l’histoire de la reliure et de ses divers revêtements. Du velin au maroquin et du parchemin au chagrin, vous saurez tout sur les évolutions de la couverture, instrument tant de protection que de séduction.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots550
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De la couverture oubliée à la couverture du mulet

« Tout ce qui couvre quelque chose. » C’est la toute première définition du mot couverture, proposée par Pierre Richelet en 1680. Qu’il fait suivre de l’ouvrage de laine, de la couverture du toit et de celle du mulet… Rien, absolument rien, sur la couverture du livre ! Richelet l’a tout simplement oubliée.

C’est donc à Furetière, en 1690, que revient l’ajout : « Se dit aussi de ce qui se met sur les livres quand on les relie. » Avec un choix intéressant : la couverture pouvant être « de veau, de maroquin, de parchemin » ou

Reliure maroquin mosaïquée du XVIIIe siècle

de « papier marbré ». Les trois premiers types de couverture sont traditionnels : ils proviennent de la peau d’un animal.

- Tout d’abord, la couverture tirée du veau, qui peut en réalité provenir aussi d’une génisse, tout simplement prisée pour la souplesse et la tendresse du cuir de ces animaux.

- Ensuite, la couverture de maroquin, q-u-i-n, couverture constituée d’un cuir grené qu’on appelle ainsi parce qu’il s’agit originellement d’une spécialité du Maroc. Ce cuir est tiré en principe d’une peau de chèvre ou de mouton que l’on tanne au sumac d’une part, – une plante très utilisée par les teinturiers – et à la noix de galle d’autre part – qui n’est autre qu’une excroissance du chêne, très riche en tanin – , le tout souvent teinté en rouge ou en brun.

- Enfin, vient la couverture de parchemin, c’est-à-dire étymologiquement une peau originaire de Pergame, – Pergamena en bas latin, avant de se métamorphoser en parchemin –, peau de mouton, de chèvre, d’agneau ou de chevreau, spécialement préparée pour la reliure ou l’écriture. Là encore, l’Orient est à l’honneur.

- Quant au quatrième type de couverture, celle de « papier marbré », aucun doute: on entre dans la modernité avec le papier cartonné, mais aussi hélas, déjà avec un faux-semblant, à la mode du moment, celui

Reliure fin XIX ème dos cuir vert empire, et plats recouverts de papier marbré

des marbrures à l’identique du marbre, matériau noble s’il en est. Mais à dire vrai, on imaginerait mal un livre avec une couverture de marbre !

L’Académie élargira cette définition proposée par Furetière en 1690 avec un bel article, offert dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, donc en 1694, dans lequel est évoquée une couverture « rigide, souple, cartonnée, entoilée, de basane, de vélin, […] de chagrin », à la suite d’une solide définition, « ce qui protège et maintient ensemble les feuillets d’un livre, d’un cahier. »

Revenons sur les couvertures de basane, de vélin ou de chagrin.

- Commençons par la basane - attention ce mot est féminin… Il s’agit d’une peau tannée, très souple, qui tire son nom du mot arabe bitana, que l’on retrouve en provençal sous la forme bazana et qui désigne une doublure.

Reliure en vélin aux armes de France et Navarre, et au chiffre de Henri IV, Paris, 1595

- De son côté, le vélin, très couru, est issu du mot veel, veau, et il a presque quelque chose de triste: c’est en effet théoriquement une peau de veau mort-né, plus fine que le parchemin ordinaire. Cela étant, toute peau de veau très fine est également appelée "vélin" et, par analogie, le papier vélin définira un papier très blanc, issu d’une pâte très fine. Les bibliophiles apprécient qu’on leur offre un exemplaire d’une œuvre donnée, sur papier vélin…

- Enfin, le chagrin n’a rien de triste… C’est un homonyme et même un homographe du chagrin ressenti lors d’un événement fâcheux, mais tandis que ce dernier provient probablement du chat qui « grigne », c’est-à-dire qui « plisse les lèvres », lui provient du turc sagri, désignant un cuir grenu de mouton, d’âne, de mulet ou même de cheval.

Reliure en chagrin vert, vers 1840

Une fois les différents types de couverture présentés, à leur habitude, les Académiciens ajoutent à la définition un très bon exemple : « Les noms de l’auteur et de l’éditeur figurent généralement sur la couverture de l’ouvrage. » Voilà qui rappelle une expression oubliée : « ne connaître les livres que par la couverture », c’est-à-dire en parler sans les avoir lus. Après tout, le terme couverture est dérivé de couvrir, donc du latin cooperire, fermer, comme un couvercle, dont la racine est identique !

En 1694, l’Académie signale aussi la fausse couverture, « qu’on ôte quand on veut, qu’on met sur la vraie couverture d’un livre pour la conserver ». Trois siècles plus tard, en 1994, l’exemple de l’Académie française nous ravit : « Mettre une couverture à des livres de classe, à un dictionnaire, à ses cahiers. » Le dictionnaire a pris du galon !

Mais revenons à l’intrigante couverture de mulet, évoquée par Richelet dans notre premier dictionnaire monolingue. Posée sur « la charge du mulet », elle était « embellie des armes du maître ». En définitive, on n’est pas si loin de la couverture du livre, ce dernier représentant bien un trésor de mots et d’idées, embelli par une couverture honorant l’auteur et le livre.

De la reliure attractive à la reliure en six chants

« Relieure : Voyez Reliûre. » l-i-e-u-r-e et l-i-û-r-e. Et Richelet de définir ainsi la reliûre : « Manière & façon dont un livre est relié. Une méchante reliûre... », c’est-à-dire qui ne vaut rien. Avec la "méchante reliûre", on est encore proche de l’origine du mot méchant, qui vient de meschéoir, meschéant, c’est-à-dire qui tombe mal, qui choit mal...
En vérité, c’est en 1548 que la reliure est attestée en français sous la forme relieure, dérivée de relier, et du verbe lier, d’abord écrit loier ou leier, du latin ligare. Voilà qui explique l’orthographe mal fixée de la reliure au XVIIe siècle.

Lorsqu’au XIXe siècle, l’imprimerie bat son plein, Pierre Larousse, auteur, imprimeur et éditeur du Grand Dictionnaire universel, consacrera plus de huit colonnes au sujet qui le passionne en citant d’emblée Lenormant, en écho à ses préoccupations : « La reliure est un des arts les plus importants pour conserver intacts les ouvrages précieux que les savants ont publiés… »
Puis vient le second sens, l’ouvrage relié, et il choisit alors un exemple permettant d’épingler « certains amateurs » qui « n’estiment dans les livres que la reliure »…

Il est vrai que la reliure industrielle, artisanale ou d’art, offre des livres aux reliures séduisantes, qu’elles soient pleines, dos et plats recouverts d’un même morceau de peau, ou qu’il s’agisse de demi-reliures, où seul le dos est recouvert, ou encore à dos brisé, la peau qui recouvre le dos ne tenant pas aux cahiers. On comprend ainsi qu’en 1906, Paul Léautaud, mal habillé déclare tout de go : « Je ne suis pas relié, aujourd’hui, je ne suis que broché » !

Il va sans dire qu’un contenant attirant entraîne à découvrir le contenu inconnu. L’écrivain Daniel Rops en a parfaitement décrit le mécanisme dans un roman de 1934 où l’on suit la stratégie adoptée par l’héroïne : « Elle avait l’intention de laisser le volume comme par distraction, sur le guéridon ovale, où il avait déposé les livres qu’il venait d’acheter, avec l’argent de ses étrennes. Attiré par la joliesse de la reliure, nul doute qu’il le prendrait et essayerait de le lire. » Belle manœuvre pour inciter nos enfants à lire!

De manière un peu moins poétique, en 1895, c’est au tour de Lorrain d’évoquer dans Sensations et souvenirs un personnage qui, se levant soudainement en direction de la bibliothèque, prend « dans un rayon une merveilleuse reliure en peau de truie ». Encore un animal à signaler parce que, s’il est de fait coté pour la reliure, l’évocation d’une truie, reste évidemment un peu moins propice aux rêveries légères, c’est là toute l’injustice animale !

À propos de poésie, qui se souvient du livre poétique de Lesné, en six chants, consacré à La Reliure ? Certes, un livre relié en plein chagrin, donc en cuir grenu de peau de mouton ou de chèvre, a de quoi faire rêver. D’où le bon mot de Michel Laclos, jamais triste, proposant aux cruciverbistes la définition suivante du relieur : merveilleux « Exploiteur de chagrin » !

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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Consultez la définition des mots de Jean Pruvost sur le dictionnaire de l'Académie française:

- Couverture
- reliure

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