Vacancier et rentrée

mot pour mot, la chronique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Vacances, rentrée, deux mots étroitement associés, se complétant et s’opposant dans le même temps. Cependant, un troisième larron intervient depuis peu, surtout dans les établissements scolaires, qui s’installe à la manière d’un intermédiaire que ne connaissaient pas nos grands-parents : la prérentrée… Quant au mot vacancier, il était un néologisme honni !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots546
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Le vacancier ne se discute plus

La situation se reproduit en principe une fois par an : à chaque rentrée, au retour des vacances, nous retrouvons nos collègues de travail, le visage hâlé et la mine reposée : le repos et le bon air estival sont passés par là. Du même coup, on se sent encore un petit peu en vacances, le souvenir en est tout frais !

Alors, concentrons-nous tout d’abord sur les vacances, attendues ou regrettées, qui sont aujourd’hui, quoi qu’il en soit, tout naturellement apparentées aux tenants de ladite période, les vacanciers. Concernant ces derniers, il est probable que la plupart d’entre nous aient oublié que le mot même de « vacancier » représentait, il n’y a pas si longtemps, un néologisme honni. Ainsi, au milieu du siècle dernier, en 1951, un grammairien de talent, René Georgin, s’insurgeait-il contre le mot vacancier, qu’il qualifiait d’« affreux néologisme ! » À dire vrai, il faut se souvenir que le « vacancier » à grande échelle venait presque de naître, puisque la notion même de congés payés pour tous ne datait que de 1936. Ainsi, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, « prendre des vacances » devenait une sorte de rêve réalisable. Et René Georgin, de pester donc dans un article intitulé "Pour un meilleur français", contre ce mot naissant, « vacancier », qui à ses yeux faisait inutilement double emploi avec « estivant ». Aucun doute, il n’a pas eu raison au regard de l’usage, maître tout puissant de la langue, le « vacancier », attesté depuis 1928 et en pleine vogue dans les années 1950, ne surprend plus personne aujourd’hui.

D’où vient d’ailleurs le mot vacance ? De l’adjectif vacant, construit sur le latin vacare, être vide. Et au Moyen Âge, la vacance, au singulier, a d’abord désigné l’arrêt annuel des travaux des tribunaux, puis au XVIe siècle, en le déclinant au pluriel, vacances avec un s, l’absence d’enseignement, et donc les premiers congés scolaires des étudiants. Cette notion de vide administratif, moral ou affectif, est restée longtemps présente dans le mot « vacances » : en 1931, dans son Journal, André Gide déclare par exemple que « L’être pensant qui n’a que soi pour but souffre d’une vacance abominable »…
On conviendra aujourd’hui que nos vacances légales n’ont en principe plus rien d’abominables… Je rejoindrai même les amateurs de mots croisés qui donnent des vacances une bien jolie définition : « la fuite enchantée… »

La rentrée d’aujourd’hui
distincte de la « rentrée de la conversation »

Abordons, si l’on peut dire, la rentrée, un mot qui peut plaire ou faire peur. Avec d’un côté, Henri de Montherlant qui, par exemple, en 1951, dans la Ville dont le prince est un enfant, évoque sa « nostalgie » « d’octobre et de la chère rentrée avec les feuilles mortes et la pluie », et cela déjà à Pâques ! De l’autre côté, Albert Camus, quelque peu désenchanté, qui déclare en 1947 : « Voici la rentrée … Les mêmes problèmes qui nous excèdent… seront conduits dans les mêmes impasses. »

Il nous faut trancher : jouissons des vacances et ne craignons pas la rentrée, soyons de bons « rentreurs », affreux néologisme entendu il y a quelques jours... Ce qui fait penser à un mot nouveau d’hier qui a réussi, la prérentrée. Aussi, pour nos fidèles auditeurs de Canalacadémie je suis allé enquêter dans les cent Petit Larousse de ma bibliothèque, pour justement traquer la première entrée du mot prérentrée. Et c’est dans le Petit Larousse 1975 que le mot a pu être déniché et, ce qui ne manque pas de charme, c’est que la prérentrée est déjà suivie par un autre mot lié à l’arrêt de l’activité professionnelle, la préretraite, lui même entré dans le Petit Larousse en 1970. Ainsi, la préretraite - une forme de présortie - a bel et bien précédé la prérentrée !

Quelle définition donne-t-on de la prérentrée dans le millésime 1975, c’est-à-dire en 1974 : « Période où les professeurs se rendent dans les établissements secondaires afin de préparer la rentrée des classes. » Ce que confirme le Petit Larousse 2010 : « Dans les établissements scolaires, rentrée des personnels précédant, afin de préparer, la rentrée des élèves ». Tout à fait entre nous, on pense un peu à « Belle marquise vos yeux me font mourir d’amour », « Vos yeux, belle marquise, d’amour me font mourir », etc. Ce qui reste délectable.

Venons-en maintenant à la rentrée, dont on n’ose dire quelle anagramme y correspond. Rappelons-nous tout d’abord qu’une anagramme – c’est un mot féminin - correspond à l’emploi des mêmes lettres constituant ce mot mais dans un autre ordre, le tout aboutissant à un autre mot. Quelle est donc cette anagramme ? Tout simplement le verbe « enterrer »… enterrer les vacances bien sûr !

En fait, la rentrée est pour le moins diverse : rentrée scolaire, rentrée des parlementaires, rentrée politique, rentrée littéraire. Dans le Trésor de la langue française, on trouvera même la rentrée-ceinture, formule plaisante citée dans un hebdomadaire d’octobre 1979, pour signaler que les folies sont terminées et les restrictions à l’ordre du jour !
Pour ma part, j’insisterai sur deux autres rentrées. Tout d’abord la rentrée de la conversation, une expression disparue qui désignait une intervention mal à propos. Que quelqu’un au milieu d’une discussion philosophique s’exclame par exemple et sans ironie, « j’aime bien le canard aux navets », voilà ce qu’on aurait appelé au XVIIe siècle une « belle rentrée ». C’est-à-dire que sitôt émis, le propos déplacé méritait d’être « rentré ». Ensuite, les amateurs de chronique de langue pensent forcément à une autre rentrée : celle des dictionnaires, traditionnelle en septembre. Avec donc, différents dictionnaires tels que le Petit Larousse ou le Petit Robert et un petit nouveau en 2009, le Dixel. Sans oublier notre cher Dictionnaire de l’Académie française, qui ne cesse d’avancer dans sa belle tâche lexicographique.

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