Deux portraits de Jean Guitton, philosophe homme de cœur

La chronique littéraire de Jean Mauduit
Avec Jean Mauduit
journaliste

Jean Guitton, de l’Académie française, est décédé il y a tout juste 10 ans. Deux femmes, qui ont travaillé à ses côtés, l’ont évoqué chacune à leur manière, Anne Creuchet dans un récit-témoignage et Véronique de Bure dans un roman. Jean Mauduit a lu ces deux ouvrages et les présente dans cette chronique littéraire. Deux portraits touchants de Jean Guitton, le philosophe homme de coeur.

Émission proposée par : Jean Mauduit
Référence : chr568
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Le premier ouvrage, intitulé « Monsieur Chrétien, souvenirs de Jean Guitton », est le fait d’Anne Creuchet qui fut plus de vingt ans son assistante. Il est paru aux éditions Bayard, au prix (très chrétien !) de 13 euros et demi. C’est un témoignage.

Le second, signé de Véronique de Bure aux éditions Stock – à 16 euros –est un roman, sobrement intitulé « Une confession ».

Ces deux livres ont chacun leurs mérites. Celui d’Anne Creuchet est en réalité un portrait, construit par petites touches avec beaucoup de pudeur et de tendresse. Le récit de Véronique de Bure se place dans un registre plus dramatique. L’héroïne, qui elle aussi a été assistante de Jean Guitton, et qui découvre peu à peu son extraordinaire richesse spirituelle, vit en contrepoint un adultère passionné avec un homme qui n’est jamais nommé, dont elle ne parle qu’à la troisième personne, alors qu’elle s’adresse à Jean Guitton – à l’ombre de Jean Guitton – en utilisant le vouvoiement. Et c’est l’alternance de ce « vous » et de ce « il » qui fait la singularité du récit.Il s’agit d’un procédé littéraire. Mais habile. Il justifie le titre. Le personnage de Jean Guitton, tel que reconstruit par Véronique de Bure, finit par apparaître comme un sorte de confesseur infiniment compréhensif – et silencieux, c’est commode – à qui l’on peut tout dire, même et surtout ce que l’on cache aux autres.

Ces deux livres sont finalement très différents. Pourtant ils se recoupent sur deux points importants.

- Le premier est la convergence parfaite des portraits respectifs qu’ils nous donnent à voir du philosophe Jean Guitton. L’un et l’autre s’accordent à le présenter comme un esprit supérieur, qui fait preuve d’une aisance éblouissante dans le maniement des concepts – c’est son jardin – et qui est doté d’une empathie saisissante. Mais c’est aussi un homme totalement étranger aux choses du sexe ; un vieil enfant espiègle, pétri de candeur malicieuse, et qui n’a pas beaucoup de contacts avec les trivialités de l’existence. Ainsi rapporte Anne Creuchet, il ne s’est pas aperçu, quasiment jusqu'à la fin de sa grossesse, qu’elle était enceinte – enceinte et pas mariée. Mais quand elle le lui a appris, il n’en a été nullement choqué – et s’est intéressé uniquement à l’enfant. A noter d’ailleurs qu’aucune des deux narratrices n’est croyante.

- Le second point de concordance, c'est que les deux femmes entrent avec leur héros dans une relation de type amoureux. Naturellement, il s’agit d’un amour chaste, incorporel ; d’un amour sans péché en somme.
Mais qui n'est pas non plus l’amour courtois qui s’inscrit dans un code social et se présente comme une dérivation ou une sublimation. Ici on parle d’un rapprochement d’âmes, non contingent. Le véritable amour, n’est pas toujours fait de chair et de sang écrit l’héroïne de Véronique de Bure qui par ailleurs raconte : Je vous aimais d’un amour étrange, désincarné, et qui, curieusement, me comblait… Il n’entrait dans le couple que nous formions ni culpabilité. Nos rendez-vous feutrés dans votre petit appartement ne lésaient personne. Je vous aimais paisiblement. Aujourd’hui… je vous sens tout près de moi… et peut m’importe l’absence de votre corps terrestre. Entre nous les corps n’ont jamais servi à rien.

Quant à Anne Creuchet, elle rapporte que Jean Guitton lui a tenu un jour un propos qu’elle n’a pas déchiffré sur le moment. Il citait un texte d’un certain abbé Z. parlant du « mariage invisible entre deux êtres qui ne sont pas mariés » et ajoutant « pour que ce mariage invisible existe, il faut une distance infinie, laquelle produit une proximité totale » : Anne Creuchet avoue : Je garde un sentiment de culpabilité de n’avoir su, pas compris, mais aussi un soulagement de n’avoir pas eu à répondre. C’est un des silences qui sont restés entre nous. Destin moqueur, malentendu, deux vies qui se sont frôlées… Mais je ne suis pas philosophe.

Vous voyez bien que nous sommes dans le registre de l’amour. Mais qui n’est pas très loin, s’agissant de Jean Guitton, du registre de la sainteté.

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