A Monaco, Diaghilev étonne encore : le centenaire des ballets russes

Par Anne Jouffroy
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Pour réussir dans les domaines artistiques, il fallait être dans les Ballets russes. Mais pour réussir dans les ballets russes, chaque printemps, il fallait être à Monaco ! De juillet à 2009 à juillet 2010, Monaco fête le centenaire des « Ballets russes ». Ces festivités sont ouvertes par deux expositions, autour de Diaghilev, qui s’installent pour l’été à Monte-Carlo : l’une à la Villa Sauber jusqu’au 27septembre 2009 et l’autre dans la Salle des Arts du Sporting d’Hiver, jusqu’au 30 août 2009.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : carr607
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Nijinski en Maure furieux, Arthur Grunenberg
Gravure à l’eau-forte et à la pointe-sèche, rehaussée d’encres colorées et de peinture dorée sur papier vergé<br /> Collection Nouveau Musée National de Monaco<br /> Crédit photo. Marcel Loli <br /> © D.R.

C’était dans les années 1909-1929 : deux décennies fastueuses à la fois pour l’art de la danse et pour l’édification du mythe de Monte-Carlo.
Sur le Rocher, Diaghilev et sa troupe renouvelaient les spectacles de danse. Un public de toutes origines et des créateurs de toutes sortes sont tenus en haleine :
- Le public : c'est-à-dire les amateurs, sincèrement passionnés ou plus ou moins mondains, les bourgeois et les aristocrates : tout le monde est captivé (parfois scandalisé aussi par cet « art nouveau », trop nouveau).
- les créateurs : chorégraphes, compositeurs, écrivains, peintres, sculpteurs, décorateurs, stylistes de haute-couture…tous reçoivent cette déferlante et s’en inspirent.

Pendant 20 ans Diaghilev a révolutionné le monde des arts. Il s’agit bien d’une « révolution » car après lui, plus rien ne sera comme avant.

Portrait de Serge Diaghilev

Portrait de Serge Diaghilev, 1972, Serge Lifar
Huile sur bois<br /> 150 × 195 cm<br /> Collection Nouveau Musée National de Monaco<br /> Crédit photo. Marcel Loli <br /> © D.R.

Né en 1872 en Russie, Serge Diaghilev est un personnage étonnant, bouillonnant d’idées.
« […]Nature exceptionnellement active, énergique et désirant ardemment le renouveau de l’art russe, (il) tomba fort à propos », constate Lydia Lovleva, vice-directeur général de la Galerie Nationale Trétiakov.
Diaghilev a été critique d’art, musicologue, mais aussi organisateur de revues artistiques et littéraires avec, notamment la revue Le Monde de l’Art (de1898 à 1904).
Il monta aussi l'Exposition des portraits historiques russes dite encore Exposition du Palais de Tauride en 1905 qui réunit plus de 2300 portraits réalisés par plus de 400 peintres, et il réalisa encore la rétrospective d’art russe à Paris, Berlin et Venise en 1906 et 1907.

« Il était un citoyen du monde », disait John E. Bowlt. Lui, modestement, se présentait tout simplement comme un « directeur de compagnie russe » ; Tout est dit et rien n’est défini. Car au côté de ce nom ou de ce titre, jaillit une foison d’autres noms, d’images, de musiques, de ballets, de tableaux, de mouvements !

La villa Sauber [[Monte-Carlo, jusqu’au 27 septembre 2009, Villa Sauber]], siège du Nouveau musée national de Monaco, accueille tout ce monde des « Ballets russes ».

Etude de costume pour un danseur du Temple dans Le Dieu Bleu, 1912, Léon Bakst
Aquarelle, gouache, or, fusain, peinture métallique et pinceau, papier sur bois<br /> 64,8 × 47 cm<br /> McNay Art Museum, San Antonio, Texas<br /> Don de Robert L.B. Tobin <br /> ©NMNM

Rien ne semble manquer dans les vitrines, sur les murs et les cintres pour faire plonger dans ce bouillonnement révolutionnaire des arts. Les maquettes, les costumes, les croquis, les portraits, presque trois-cents œuvres réunies nous entraînent sur scène et dans les coulisses.
Se souvenant de sa rencontre avec Diaghilev, Jean Cocteau devait écrire en 1939 : « J’étais à l’âge absurde où l’on se croit poète et je sentais chez Diaghilev une résistance polie. Je l’interrogeais : « Étonne-moi, me répondit-il, j’attendrai que tu m’étonnes ». Et Cocteau continue : « Cette phrase me sauva d’une carrière de brio. Je devinai vite qu’on n’étonne pas un Diaghilev en quinze jours. De cette minute, je décidai de mourir et de revivre […] »
Quant à nous, nous les spectateurs du XXIe siècle, nous sommes toujours étonnés.

Portrait d’Anna Pavlova, 1924, Alexandre Jacovleff
Portrait d’Anna Pavlova, 1924<br /> Huile sur toile<br /> 190 × 121,5 cm<br /> Collection Galerie Nationale Tretiakov, Moscou <br /> © D.R.

Même si nous pensons connaître les dessins de Léon Bakst, d’Alexandre Benois, de Natalia Gontcharova, Chirico, Juan Gris, Braque et aussi Picasso pour le rideau du « Train bleu » [[Monte-Carlo, jusqu’au 30 août 2009, Salle des Arts du Sporting d’Hiver.]] ; même si nous entendons encore les airs de Stravinsky, de Rimsky-Korsakov, de Debussy, Ravel, Hahn, Satie ; même si nous devinons les mouvements d’Ida Rubinstein, d’Anna Pavlova, Karsavina, de Nijinsky dans les chorégraphies de Fokine, même si les « Ballets russes » sont entrés dans notre mémoire et ne nous ont jamais quittés.

&#147;Oncle Vasia&#148;, valet de Serge Diaghilev (à gauche) et Serge Lifar, Emile Marcovitch
se tenant devant le rideau de scène de Picasso « Le Train Bleu »<br /> pour l’exposition « Ballets Russes de Diaghilev » au Louvre, Paris, 1939<br /> Collection Nouveau Musée National de Monaco<br /> ©NMNM


Cherchant à montrer la culture russe et à démontrer qu’elle n’était pas en retard face à celle de l’Occident, Diaghilev, fort du succès des précédentes saisons russes à Paris, eut l’idée de présenter « le Ballet russe », entité qui n’existait pas en Russie.
La première saison « Ballets russes » a débuté le 19 mai 1909 au théâtre du Châtelet, à Paris.
En 1911, la troupe devient compagnie permanente à Monte-Carlo « comme un vecteur de l’avant-garde scénique et, en général artistique », explique Vadim Garvsky. Cette entreprise a modifié, en effet, la perception de la danse.
Modifications dans la forme et dans le fond. Un seul exemple pour la forme, mais il a son importance - pensons particulièrement aux (jeunes hommes) danseurs et ce n’est pas Noureev qui nous aurait contredit ! - Nijinski invente le bond, qui est selon Claudel « la victoire de la respiration sur le poids », et il semble suspendu en l’air. On découvrit alors que le danseur peut échapper à son rôle limité et un peu ridicule, avouons-le, de figurant et de porteur.

Nijinsky visage de profil, un filtre dans la bouche,couché jambe droite pliée, 1914 (prise de vue 1912), Adolphe de Meyer
Folio détaché de l’album « Sur le Prélude de l’Après-midi d’un Faune »<br /> Epreuve photomécanique (collotype)<br /> 14,7 × 19,7 cm<br /> Collection Musée d’Orsay, don de Michel de Bry, 1988, Paris <br /> © RMN (Musée d’Orsay)

Sur le fond de l’art de la chorégraphie, Diaghilev révèle les rapports que le nouveau ballet entretenait avec la peinture, la musique, la poésie, la photographie, le cinéma, le mouvement plastique, la haute couture, la critique littéraire, et bien d’autres formes d’art. En fait, de « l’art total », comme l’aurait souhaité Richard Wagner.

Costume pour la Ballerine, 1920, Petrouchka
Panne de velours, soir, coton, et fourrure<br /> Collection St. Petersburg State Museum of Theater and Music<br /> Crédit photo. Viliy Onikul <br /> © ADAGP, Paris 2009

« Les Ballets Russes » n’eurent que vingt ans d’existence, mais quelle fulgurance ! Depuis, Le Pavillon d’Armide le 19 mai 1909 à Paris, jusqu’au Bal, le 9 mai 1929 à Monte-Carlo, combien de titres surgissent : Cléopâtre (1909), L’Oiseau de feu (1910) et Petrouchka (1911), Le Spectre de la rose (1911), l’Après-midi d’un faune (1912), etc...

La mort de Diaghilev à Venise en 1929, fut considérée comme la fin d’un miracle. Sans doute, mais ce miracle est devenu permanent, car « Le Ballet Russe », comme il l’appelait au singulier, étonne toujours le monde.

En savoir plus :

- Catalogue Serge Diaghilev et les ballets russes – Etonne moi ! Ed.Skira, 320 p.350 ill.
- De juillet à 2009 à juillet 2010, Monaco fête le centenaire des « Ballets russes » : www.nmnm.mc

Anne Jouffroy est historienne, rédactrice de la revue Signature.

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