Du soda à la pomme d’orange

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

C’est l’été, alors que la météo est comme on la souhaiterait toute l’année, on cherche à se rafraîchir avec des boissons ou des fruits tels le soda et la pomme dont Jean Pruvost nous donne ici l’étymologie, pomme d’Adam ou pomme d’orange ! Alors écoutez bien et bon rafraîchissement !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots543
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Du soda d’aujourd’hui pour le soda d’hier

Soda : « mal de gorge ; céphalalgie ; ardeur d’estomac ». La définition est tirée du Dictionnaire universel de Boiste, publié en 1800. Certes, ce dictionnaire un peu fourre-tout n’a pas la réputation d’offrir des définitions particulièrement soignées, ni même d’être très sûr dans sa nomenclature pléthorique ; en effet dans la préface de la neuvième édition, Charles Nodier n’hésite pas à affirmer que feu son auteur « avait la main large pour semer les nouveautés dans son livre…

C’est Babel, si l’on veut, avec ses inconvénients et toutes ses imperfections ».
Néanmoins ce soda n’a rien de farfelu, il s’agit d’un emprunt à l’arabe sou-daa, fendre, ce qui au sens figuré désignait le fait d’être violemment affecté par quelque chose, d’où les maux de gorge ou de tête. Aucun rapport direct donc avec la délicieuse boisson, abréviation de l’anglais soda-water, c’est-à-dire en clair, eau de soude.

Ainsi, les étymologies de ces homonymes diffèrent, c’est heureux ! Car à bien y regarder, le point de chute du soda est toujours le même. En témoignent les définitions du XVIIIe siècle : le soda « est un nom que quelques médecins donnent à un sentiment de chaleur et d’érosion qu’on a à la gorge. Le soda vient de vapeurs âcres qui s’élèvent de l’estomac, et qui sont produites par des matières excrémenteuses, qui fermentent dans cette partie. Les bilieux et les hypocondriaques sont sujets au soda » .
Les deux sodas ne pouvaient donc guère coexister dans la langue, bien qu’à la limite l’un puisse apaiser l’autre. Et entre le « sentiment de chaleur et d’érosion » et le rafraîchissement, il eut fallu être masochiste pour ne pas préférer ce dernier.

Du morceau d’Adam à la pomme d’orange

Morceau d’Adam : « On appelle […] en médecine le morceau d’Adam, cette petite éminence qui paraît au gosier des hommes, c’est-à-dire la partie du cartilage du larynx, nommé scutiforme, laquelle avance au-devant du cou, aux hommes plus qu’aux femmes ». Ainsi, à la fin du XVIIe siècle, la pomme d’Adam ne s’est pas encore vraiment imposée dans l’usage, a fortiori dans les dictionnaires de l’époque.

Lorsque Furetière en 1690 passe en revue les différentes variétés de pomme, la pomme d’Adam, avant même d’appartenir à notre anatomie, relève d’abord d’un arbre qui « porte un fruit fait comme une orange, mais beaucoup plus gros […], ayant plusieurs crevasses qui ressemblent à des morsures ; d’où vient que le peuple lui a donné le nom de pomme d’Adam, croyant que c’étoit celle dont Adam avoit mangé dans le Paradis terrestre. » Ici donc, la pomme d’Adam qualifie avant tout un certain type d’orange – ce fut aussi pendant un moment la dénomination de la banane – et c’est cette acception que retiennent d’abord les premiers dictionnaires de la langue française. Toutefois, en fin d’article, apparaît déjà le fruit défendu, insolemment resté accroché au cou du sexe dit fort : « On appelle aussi pomme ou morceau d’Adam une partie du cartilage du larynx […] qui avance en dehors du cou des hommes. »
En croquant le fruit défendu, Adam - qui pense-t-on signifie « terre rouge » (rouge comme une pomme d’api ?) - savait-il que ce « jardin fameux par le diable et la pomme », ainsi dépeint par Voltaire, lui laisserait en souvenir de cette funeste bouchée une saillie inesthétique, cartilage thyroïde, appelée suggestivement pomme d’Adam ?

Mais après tout est-on bien sûr qu’il s’agisse d’une pomme ? En effet le radical pomum ne désignait en latin qu’un fruit, en général charnu. D’ailleurs, bien que dénommant essentiellement au XVIIIe siècle la pomme actuelle, les ouvrages lexicographiques du XVIIe siècle nous donnent encore, entre autres, cette définition de la pomme : « Se dit aussi de plusieurs autres fruits qui ont de la rondeur, ou quelque figure approchante. Une pomme d’orange, une pomme de grenade»

Et si Ève n’avait cueilli qu’une pomme d’orange ?

Texte de Jean Pruvost.

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