L’art dans la préhistoire (4/4)

par Florence Bouvry et Denis Vialou, à l’Institut de Paléontologie humaine

Retracer historiquement les origines de l’archéologie préhistorique en tant que discipline internationale et questionnement archéologique et géologique sur les plus anciennes industries du Nord de la France et de l’Europe, c’était l’objectif du colloque 1859, Archéologues et géologues dans l’épaisseur du temps qui se déroulait fin juin 2009 à l’Institut de paléontologie humaine. Canal Académie retransmet ce colloque en quatre parties. Dans ce quatrième volet Florence Bouvry et Denis Vialou évoquent la naissance de l’art dans la préhistoire.

L’influence des idées sur le jugement émis sur le Mésolithique et ses productions esthétiques

Par Florence Bouvry, Professeur agrégé en arts plastiques, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3

Dans l’époque effervescente de l’anthropologie naissante, l’Europe revendique, tout en discutant l’évolutionnisme de Darwin, le progrès technique comme modèle de vie à adopter. Quelle influence les idées évolutionnistes, positivistes, ethnocentriques ont-elles eu sur le jugement émis sur le Mésolithique et ses productions esthétiques ?
Dès 1850 les recherches du monde savant se tournent vers le passé le plus ancien et les origines de l’homme. L’évolutionnisme est au cœur des réflexions. Se multiplient les interrogations sur l’unité de l’espèce humaine, sur les raisons des différences culturelles. Il faut savoir pourquoi, si toute l’humanité est soumise au même mouvement historique, certaines sociétés ont progressé tandis que d’autres paraissent figées dans une irrémédiable primitivité. C’est dans ce contexte que se développe l’idée de race, de différence (c’est-à-dire d’inégalité) biologiquement donnée, notion appelée à rendre compte de la stagnation culturelle des populations non occidentales. Les civilisations non européennes sont classées selon leur indice de technicité. Le perfectionnement technique est à l’origine du progrès moral, du développement des Beaux-arts et des Belles-lettres.
C’est sur cette toile de fond que la périodisation mésolithique a été mise en place, au moment de la découverte d’hommes fossiles comparables aux hommes sub-actuels qui confirmaient par leurs différents âges, les différents stades techniques du Paléolithique.
D’une part, suivant la théorie du progrès, le Mésolithique représente une société en régression technique par rapport à l’âge d’or de la civilisation magdalénienne. Il est classé au bas de l’échelle évolutionniste.

D’autre part, sous l’influence des tenants de l’académisme qui prônent la théorie de l’art imitation, les valeurs esthétiques sont imprégnées des idées héritées de Léonard de Vinci : la peinture est le premier des arts. Au regard de ce dogme, les Mésolithiques qui se limitent à quelques objets décorés de traits sont inférieurs aux Magdaléniens tout comme les Africains qui se limitaient à la sculpture, étaient nécessairement inférieurs aux occidentaux.
Dans ce contexte et dont l’idée de l’art perdure encore en ce XXIe siècle, comment parler d’art à propos des objets mésolithiques qui sont gravés et ou peints de traits bâclés, informes –premier stade du dessin–, sans figuration naturaliste – réaliste ? Pouvait-on, peut-on imaginer les étudier comme œuvres d’art ?

…Et l’art fit l’homme

Denis Vialou Professeur, Département de préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle, UMR 7194 du CNRS

Le concept d’Homo faber au début du XXe siècle s’est emparé de l’image de l’Homme préhistorique, le confinant dans le monde de l’utile, c’est-à-dire un monde de nature technique et économique.
La reconnaissance, ethnographique puis esthétique, d’arts primitifs, également dans la première moitié du siècle dernier, apporta une nouvelle vision de l’étendue culturelle des sociétés et du pouvoir créateur universel de l’Homme, au sein même de ses diversités historiques et culturelles.

Grotte de Lascaux
Le Diverticule Axial est considéré, à juste titre, comme le sommet de l’art pariétal paléolithique

Cependant, le XIXe siècle avait déjà apporté cette dimension transcendantale, pourrait-on dire, de l’Homme encore primitif des plus lointains passés, ceux de ce qui fut appelé Préhistoire. En effet, les découvertes répétées d’objets gravés et sculptés, inaugurées en 1834 au Chaffaud par un fragment de côte d’herbivore gravée de deux biches soigneusement figurées, alors classé « antiquité préceltique » dans le Musée de Cluny, avaient conduit à concéder aux Préhistoriques (encore inconnus) le statut flatteur d’« artistes ».
Avant même les découvertes de parois ornées paléolithiques (à partir de 1879 à Altamira, Espagne), la qualification du beau (résolument académique à cette époque) et la catégorisation d’objets d’art, sculptés notamment, avaient fait de ces supposés primitifs, d’authentiques hommes, parachevés en quelque sorte ; leurs fabrications d’outils de pierre qui permirent de les identifier en tant que tels, avant « 1859 », n’avaient pas permis de leur accorder un niveau supérieur de comportements sociaux.
Ainsi, dès les premières découvertes des cultures matérielles préhistoriques au cours du XIXe siècle, puis au début du XXe siècle de la découverte de l’ampleur et de la diversité des cultures et des civilisations, l’art, c’est-à-dire tout ce qui était confié à ce concept générique de productions humaines non utilitaires, avait fait de l’Homme un Humain parfait, accompli dans le sens du progrès véhiculé par l’idéologie positiviste et académique d’alors en vigueur.

Téléchargez les trois autres parties de ce colloque :
- Préhistoire et darwinisme : La complexité du courant évolutionniste (1/4)
- Naissance de la préhistoire méditerranéenne au XIXe siècle (2/4)
- Les débuts de l’archéologie préhistorique : entre religion et exil (3/4)

En savoir plus :

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- Denis Vialou

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