La route des épices : précieuse mais insuffisante (1/3)

Une série proposée par Françoise Thibaut, correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques
Avec Françoise THIBAUT
Correspondant

Françoise Thibaut, correspondante de l’Institut, vous raconte comment est née la route des épices dans un premier volet d’une série de trois émissions. Depuis qu’il existe, l’homme a toujours souhaité améliorer son « ordinaire », sa nourriture. Il a eu l’ingéniosité de recourir à des plantes, des feuilles, des graines, des fleurs, des arbres, des mousses, qui parfois se révélèrent traîtres, mais dont il fit très souvent l’agrément de ses repas...

Émission proposée par : Françoise THIBAUT
Référence : foc529
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Le but était triple : rehausser, rendre agréable ce qui était fade ou insipide (n’allons pas plus loin que le sel, destiné à conserver la nourriture mais aussi à rehausser le goût du pain) ; assagir ou affadir ce qui était trop violent; dissimuler le mauvais goût de nourritures souvent mal ou trop longtemps conservées, notamment à la fin de l’hiver : viandes faisandées ou séchées, poissons en barils, grains ou farines abîmés, fruits et légumes douteux….

L’Europe du Nord n’est pas très riche en variété de « goûts » ; ce qui donne du goût est en effet très souvent le soleil : l’abondance de l’ensoleillement. Dans leur inlassable exploration du monde les Européens s’appliquèrent donc à rechercher des senteurs, - car le nez participe beaucoup au goût - des saveurs nouvelles : route des saveurs, route des arômes, route des épices : tout un roman… aussi important que celui de la soie, davantage tropical, davantage maritime… et moins connu…

Les Phéniciens, grands navigateurs et commerçants, établirent des comptoirs dans toute la Méditerranée, et au delà, pour échanger des matières brutes contre des produits de luxe, allant jusqu’aux îles Canaries, en Afrique de l’Ouest, en Cornouailles. Alexandre le Grand, dont le maître fut Aristote très féru de zoologie et de botanique, fit faire, lors de ses campagnes militaires, des inventaires de la flore, de la faune et des minéraux, rencontrés en Afghanistan, sur les contreforts de l’Himalaya, au Penjab, le long de l’Indus.

On considère Théophraste (372/288 AV.J.C.) élève d’Aristote, comme le père de la botanique, opérant un classement de plus de 400 plantes, herbes et arbrisseaux, qui sera repris jusqu’à Joseph Pitton de Tournefort au début du 18ème siècle, étudiant aussi leur toxicité. Plus tard le médecin Dioscoride dans sa Materia Médica (40 ap.J.-C.), l’écrivain Pline l’Ancien mort dans l’éruption du Vésuve décrirent les usages possibles de nombreuses plantes, descriptions que l’on retrouve d’ailleurs dans de nombreux textes arabes notamment les manuscrits de Abu Salim al-Malati datant du 12ème siècle.

Les Romains aimaient les mets très relevés, et captèrent à leur profit, après la chute définitive de Carthage, le commerce et les connaissances des Phéniciens. Au cours de la longue agonie de l’Empire Romain, les Perses, puis les Arabes, reprirent cet héritage, acheminant depuis Ceylan, le sud de l’Inde, la péninsule malaise, de Java, de Sumatra, des archipels des Moluques et des Célèbes senteurs et saveurs convoitées. Mais en quantités insuffisantes, ce qui les rendaient de valeur inestimable. Les Principautés italiennes, Venise, Gênes, s’octroyèrent bientôt un quasi monopole de l’entrée de ces précieuses denrées en Europe, accumulant ainsi de considérables profits. De leur côté les Ottomans, maîtres de la Méditerranée orientale imposèrent de lourds droits de douanes aux occidentaux.

Parmi d’autres, la famille Polo (le père, l’oncle et Marco) allant jusqu’en Chine, les religieux de différents Ordres monastiques, ramenèrent en Europe à la fois de précieuses connaissances et le goût de saveurs nouvelles. Ces merveilles orientales ne furent pas acquises sans lourdes contreparties : ainsi la peste noire de 1346 entra par les bateaux stationnés en Crimée en Europe, tuant sans doute 25 millions de personnes : pendant cette épidémie, la noix de muscade fut considérée (notamment en Angleterre) comme un remède, et son cours fut plus élevé que celui de l’or ; Le prince Henri du Portugal (Henri le navigateur) développa la connaissance des plantes issues d’Afrique et de l’Océan Indien et fit de son frère le roi Pedro, « le roi du poivre », monopolisant ainsi l’entrée des précieux grains en Europe avec les profits que l’on peut imaginer. De son côté, en Chine, la Dynastie Ming commandita les expéditions maritimes de l’Amiral Cheng He, lequel avec ses 60 jonques alla jusqu’à Zanzibar, faisant la liaison avec les Arabes, créant les routes maritimes des épices, teintures, parfums, encens, opium, perles, jades, de l’Asie du Sud-Est.

La route des épices

Sortant de la torpeur dans laquelle la chute romaine et la chrétienté les avaient enlisés, les Européens entreprirent leur exploration du monde au 15ème siècle, financés par les négociants et marchands à la recherche de comptoirs d’échanges : ce qui manquait à l’Europe c’était la « quantité » de biens et liquidités, accaparés par les privilégiés. Les nouvelles voies tracées d’abord par les Portugais, les Espagnols, les pilotes vénitiens ou gênois, devaient apporter cette indispensable ouverture : Christophe Colomb chercha la Chine par l’Ouest, Vasco de Gama atteignait l’Inde en 1499 après 630 jours de voyage : la vente des épices (en particulier les clous de girofle) et des teintures qu’il rapporta couvrit 60 fois le coût total de son expédition : la route des épices était définitivement ouverte….

Écoutez la suite de cette série :
- La route des épices : établie et convoitée (2/3)
- La route des épices : impériale et britannique (3/3)

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