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Jean Calvin est à l’honneur. Il naît le 10 juillet 1509, en Picardie, à Noyon. Quand il meurt, le 27 mai 1564, à Genève, cinquante-quatre ans plus tard, le monde a changé du tout au tout. Il n’est plus le même. Nous avons tout simplement changé d’époque. Entre temps : « la fracture de la Réforme » est intervenue, elle s’est installée dans les cœurs, les consciences et la géographie.
En 1562 : début de la première guerre de religion – et malheureusement il y en aura d’autres. Les chrétiens s’opposent en paroles, en invectives, en injures, en condamnations à mort et aussi les armes à la main. Les traumatismes de cette guerre civile européenne, de ces conflits religieux sont tels qu’il faudra alors refonder le monde, le repenser autrement.
C’est pourquoi ces cinquante années sont le creuset de notre modernité. Calvin est un des Pères de la Réforme. Humaniste à ses débuts, en défiance et non en rupture vis-à-vis de l’Eglise Catholique, il finit par rejoindre les rangs des réformés, quitte la France pour Bâle et finira par s’installer à Genève – petite république de 10 000 habitants. Mais Calvin reste une énigme, une figure refoulée de la tradition occidentale. Pour certains il est un Robespierre puritain pour avoir mit en place, à Genève, un maillage policier, une surveillance des moeurs. Pour d’autres, comme Olivier Abel (avec lequel Canal Academie a fait un entretien Une nouvelle image de Calvin, moins austère, plus ouvert, très moderne ), il est le défenseur d’un individu responsable, un précurseur de Descartes et des Lumières. Selon les points de vue, les avis, les « lectures », il n’y a pas d’accord sur son héritage, sur ce lien entre lui et la modernité. Il faut dire que Calvin est certes un homme de Dieu, un prédicateur hors pair (il a son actif pas moins de 2 400 prédications), mais, en même temps, il sait condamner les « hérétiques ». Ainsi en est-il de Michel Servet – qui est devenu, au fil des siècles, une victime emblématique de l’intolérance. Pourchassé par l’Eglise catholique pour certaines de ses idées sur la Trinité, Servet vient se réfugier à Genève. Mais là, après un procès, toujours sur les questions théologiques, il est brûlé, lui et ses livres, en 1553. Sébastien Castellion, pasteur ayant quitté Genève, aura ce mot définitif : « tuer un homme n’est pas défendre une doctrine, mais tuer un homme ». Le crédit de Calvin est atteint. Sa rigueur est devenue intolérante, son humanisme une raideur meurtrière.
C’est pourquoi, il nous a semblé nécessaire de faire appel à un historien. Yves Krumenacker l’est. Il est professeur d’histoire moderne à Lyon III et l’auteur d’une biographie historique qui vient de sortir (Calvin, au-delà des légendes (Bayard, 600 pages). Cette biographie est déjà considérée (en particulier par Denis Crouzet) comme un classique. Il faut, dit ce dernier, désormais parler « du Krumenacker » avec ce mélange de bonne érudition digérée et de mise en perspective. Au terme de ce travail, l’historien nous met en garde : il ne faut pas nous tromper d’époque. Calvin n’est pas adepte de la tolérance. Dans sa Genève, la pluralité des opinions religieuses n’est pas admise. Il prône l’individu mais un individu encadré, enserré, bien loin de l’individu d’aujourd’hui. Il met en avant l’examen mais refuse le libre examen - et encore plus la liberté de conscience. Il est dans une petite cité autogouvernée, mais n’est pas démocrate, craint même le peuple. Quant à la « laïcité », elle n’est pas à l’ordre du jour. Max Weber mettait en évidence une affinité d’esprit entre le capitalisme et le protestantisme, alors même, nous dit toujours Yves Krumenacker, que Calvin est à l’opposé de cet esprit capitaliste.
Et pourtant, là est le mystère de l’héritage de Calvin : tous les éléments sont là pour contribuer à la modernité. D’autres après lui reprendront son œuvre, d’une autre manière, pour plus d’autonomie de l’individu, plus de liberté. La modernité est pour partie calviniste sans être de Calvin. Et c’est justement cette modernité-là, trop individualiste, qui est aujourd’hui en crise. D’où le besoin de reprendre cette séquence historique, de l’éclairer d’un jour plus historique, en mettant en évidence les continuités, les ruptures d’héritage, les lignes brisées puis reprises et ce sur différents thèmes : l’individu moderne, la tolérance, la question politique…
En savoir plus :
Yves Krumenacker, Calvin : Au-delà des légendes, éditions Bayard Centurion
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