Père peinard et trois jeudis

Mot pour mot, la chronique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Pour la fête des pères, Jean Pruvost ne pouvait faire moins que de vous expliquer l’origine de l’expression "père peinard" dont le sens a bien changé, vous le constaterez ! et ce père-là vit tranquillement "la semaine des trois jeudis"... ou des quatre, ou même des cinq, l’inflation est désormais si fréquente !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots541
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Du vieux penard au père peinard…

« Penard : vieillard usé par la débauche, paillard – s’emploie presque toujours avec le mot vieux ». Cette définition du Nouveau Larousse illustré (7 volumes parus de 1897 à 1904) n’est guère plus flatteuse que l’exemple donné par l’Académie au XVIIIe siècle, penard étant toujours écrit sans accent aigu : « Ce vieux penard en conte encore aux filles ».

Au XVIIe siècle, le sieur de Hauteroche, comédien et auteur dramatique, avait déjà attiré l’attention en 1673 sur ce « vieux beau » dans l’une de ses comédies les plus amusantes, Crispin médecin : « Voyez le vieux penard ! Il lui faut des filles de dix-huit ans. » Mais à en croire les exemples donnés au XVIIIe siècle par le Dictionnaire de Trévoux, même si « c’est un vieux penard qui crache sur les tisons, qui ne sçait ce qu’il dit », s’il est fortuné, la belle n’est peut-être pas loin qui se prépare à « épouser un vieux penard pour son argent ».

Mais le vieillard rusé a plus d’un tour dans son sac. Il profite de son statut, « vieillard cassé par la débauche », pour, dès le XIXe siècle vivre en synonymie avec un autre « peinard », mot populaire désignant celui qui s’épuise à des besognes pénibles, celui qui « peine ». Au passage, profitant ainsi de la confusion et gagnant une voyelle de noblesse, le « peinard » redore son blason, il devient un vieillard débile, voire tranquille, et s’impose en ce sens dans l’expression « s'en aller en père peinard », c’est-à-dire s’en aller sans rien dire, tranquillement. Il est vrai que, vers 1890, un journal anarchiste, le Père Peinard, n’a pas peu contribué à la diffusion du mot.

Ce tour de passe-passe fait oublier ses turpitudes et transforme le vieux libertin en père tranquille, et dans le Dictionnaire français contemporain, publié en 1966, dictionnaire qui décrivait l’état du lexique usuel d’alors, on lui accordait même, dans les exemples choisis, les avantages du siècle : « Il vit en peinard avec une retraite confortable. » L’heureux retraité en somme !

La semaine des trois jeudis

« On dit proverbialement, en parlant d’une chose impossible, qu’elle se fera la semaine des trois jeudis », lit-on dans nos dictionnaires de la fin du XVIIe siècle, à propos d’une locution qui, à une unité près, nous est familière.

En 1872, lorsqu’enfin l’ouvrage de Littré va s’achever, nous en sommes toujours à trois jeudis. Mais au XXe siècle, l’inflation lexicale fera passer la semaine introuvable à quatre jeudis. C’est là un phénomène de surenchère tout à fait typique.

Il est cependant amusant d’établir, en toute objectivité, un parallèle avec le sort du mot « inflation ». En effet ce dernier a droit à deux lignes dans le Nouveau Larousse illustré en sept volumes, publié en 1904, il est alors réservé au vocabulaire de la pathologie et, de plus, signalé comme « peu usité ». En revanche, le Larousse en trois volumes de 1966 octroie généreusement au mot « inflation » dix-huit lignes. À ce rythme, peut-être aurons-nous, inflation oblige, la semaine des cinq jeudis.

Une vieille expression faisait autrefois concurrence à cette semaine hors pair : en évoquant une chose impossible, on disait, par exemple, qu’elle se ferait « trois jours après jamais ». À n’en pas douter, si elle avait survécu aux fameux jeudis, elle eût également subi l’augmentation.

Mais quoi qu’il en soit Furetière serait obligé de revoir ses explications sibyllines quant à la semaine des trois jeudis : « On dit proverbialement , en parlant d’une chose impossible, qu’elle se fera la semaine des trois jeudys ; quoy qu’en parlant en Astronome, elle pût arriver à l’égard de deux hommes, dont l’un aurait fait le tour de la terre en allant par l’Orient, et l’autre par l’Occident, et qui en rencontreroient un troisième qui n’auroit bougé du lieu. Car alors chacun pourroit compter un jeudy en trois jours différens. » Furetière est ici en pleine science ficition, il s’exprime avant l’invention de l’avion supersonique qui après tout permet aux gens riches de passer deux fois le jour de l’an…

En ce qui nous concerne, rappelons plus prosaïquement que le jeudi fut longtemps le jour de la semaine où il n’y avait pas classe, pour permettre la formation religieuse mais aussi sportive des élèves. Ce qui rendait l’expression facile à comprendre pour tous les petits Français. À quand la semaine des trois dimanches ?

Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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