De la remueuse au biberon

Mot pour mot, la chronique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

A l’approche de la fête des mères, Jean Pruvost, notre spécialiste des mots, revient sur un personnage du XVIIe siècle disparu aujourd’hui : la remueuse, et nous parle aussi de l’origine du mot biberon qui remonte jusqu’à l’ivrogne !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots540
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À la recherche de la remueuse disparue

« Remueuse : Celle qui remue un enfant. On le dit particulièrement d’une femme qu’on donne pour aide à une nourrice dans les grandes maisons. » Ainsi se définissait la remueuse dans nos dictionnaires du Grand siècle. « Remuer » un enfant au XVIIe, c’était tout simplement le « changer ».

Ne pouvait être remueuse qui voulait, car les bambins « remués » appartenaient à de grandes et nobles familles, le plus souvent princes et princesses. Ainsi, dans une lettre de 1688, Madame de sévigné évoque-t-elle l’arrivée du Prince de Galles et de la Reine d’Angleterre, cette dernière suivie de « sa nourrice » et « d’une remueuse uniquement ». La tâche de la remueuse était en vérité précise : elle nettoyait l’enfant, changeait ses langes et le berçait.

Cette répartition des tâches, réservée aux grandes familles, n’enlevait rien au rôle traditionnel de la nourrice, une autre fonction primordiale. Cette dernière donne avant tout à téter aux bébés, qu’ils soient royaux ou d’origine bourgeoise. La nourrice est elle-aussi d’ailleurs choisie selon des critères bien précis que les ouvrages lexicographiques n’ont pas omis de signaler. Et par exemple Furetière, en 1690, énumère-t-il sans hésiter les qualités physiques de la nourrice idéale : « Une nourrice pour être bonne doit être saine et d’un bon tempérament, avoir bonne couleur. […] Elle ne doit être ni grosse ni maigre. » Ces caractéristiques étant réunies, il ne lui reste plus qu’à être « gaye, gaillarde, éveillée, jolie, sobre, chaste, douce et sans aucune passion ». Maintes qualités qui feraient davantage penser à une épouse bientôt mère, qu’à celui d’une nourrice. Au demeurant Furetière, à la suite de ce portrait idéal, ne peut s’empêcher d’ajouter que, néanmoins, « la plus excellente de toutes les nourrices, c’est la mère ».

La remueuse a disparu, mais la nourrice, mère de secours essentielle, est fort heureusement restée. Serait-ce la couche en coton qui a éliminé la remueuse ? Au XVIIIe siècle, il n’en était déjà plus question. La répartition des tâches, concept cher au XXe siècle, ne la concerne pas davantage. La remueuse ne fait même plus partie des luxes inutiles.

Il y a biberon et biberon…

« Biberon : Ivrogne, qui boit avec excès. Les Allemands sont de grands biberons. Ce mot est bas et populaire », dit-on au XVIIe siècle. Le biberon du premier âge ne venait qu’en second lieu, il est vrai que les enfants mordaient alors le sein de la nourrice et il n’était point question encore d’une tétine caoutchoutée…

Le biberon du XVIIe siècle est donc avant tout un individu titubant et intempérant. Ainsi Basselin dans Vau-de-Vire (peut-être à l’origine de « vaudeville », Basselin était en effet originaire des Vaux de Vire), évoque un de ces états d’ébriété plus qu’avancée : « …enfin la belle s’esveillant, Me regardant avecq ung œil farouche Me dist ces mots : biberon, ne me touche. » Au XVe siècle, ce « biberon » normand ne trouva certes pas de circonstances atténuantes dans le biberon du XIXe et du XXe siècle qu’on a prétendu parfois arrosé de Calva.

Au demeurant, Olivier Basselin, chansonnier normand du XVe siècle, plein d’humour et de verve, était lui-même un faux « biberon », aussi le thème principal de ses chansons était-il la dive bouteille. Sa famille le voyant trop adonné au cidre et à la bonne chère, tenta même de le faire interdire quand il fut ruiné. Mais voici comment il répondit alors : « Hélas ! Que fait ung povre yvrogne ? Il se couche et n’occit personne, Ou bien il dict propos joyeux. Il ne songe point en uzure, Et ne faict à personne injure, Beuveur d’eau peut-il faire mieux ? »

Comme « ivrogne », biberon, du latin bibere, boire, est nom ou adjectif selon le contexte. Au XIXe siècle, Francisque Michel, spécialiste de la littérature médiévale, dit de l’un de ses personnages qu’« il aurait suivi l’escouade biberonne partout où il lui aurait plu d’aller, sachant bien que tous les cabarets du chemin eussent été des relais de voyage ».
Mais le « biberon » n’a pas survécu au XXe siècle, il ne pouvait guère lutter contre son homonyme à tétine caoutchoutée. Des deux « biberons » il n’en resta qu’un, celui réservé aux nouveau-nés. Place aux jeunes.

Texte de Jean Pruvost

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