Rwanda : l’histoire d’un génocide

avec Yves Ternon et Georges Bensoussan, historiens spécialistes des crimes contre l’humanité

Le 6 avril 1994 à 20h30 l’avion du président Rwandais explose en plein vol, victime d’un attentat. Cet évènement est le détonateur de ce qui se préparait depuis longtemps : le génocide des Tutsi par les Hutu au Rwanda. En huit semaines, ce sont entre 500 000 et 800 000 personnes qui furent assassinées. Retour sur l’histoire tragique de ce peuple... c’était il y a 15 ans... Triste anniversaire en 2009.

Cette émission a été enregistrée au printemps 2009.

On ne peut pas comprendre le génocide du Rwanda, sans comprendre son histoire.
Est-ce l’arrivée des colons à la fin du XIXe siècle qui a commencé à mettre le feu aux poudres ?
Pour Yves Ternon, « la réalité est bien plus compliquée. Les Européens ont toujours eu une vision « ethniste » de l’Afrique. Lorsque les Allemands arrivent au Rwanda, la situation historique complexe de ce pays leur échappe. »
Le royaume du Rwanda fonctionne avec des lignages qui s'ordonnent autour du roi. Les responsabilités qui sont attachées à certains lignages se transmettent de génération en génération. C’est dans ce contexte que très progressivement apparaissent les notions de Tutsi (les responsables du royaume et les militaires), de Hutu (plus pauvres, ils avaient des responsabilités subalternes) et tout en bas de l’échelle, les Twa, 1% de la population (constitués de potiers, de chasseurs et de cueilleurs).

Après un bref intermède de colonisation allemande de 1895 jusqu’à la Première Guerre mondiale, ce sont les Belges qui obtiennent un mandat pour le Rwanda et le Burundi. Ils sont accompagnés par les Pères blancs, évangélisateurs.
En plus des conversions, on observe un transfert de responsabilités vers 10% des Tutsi, créant de ce fait dès les années 1920 une élite, au sein de cette « ethnie ».

Dans les années 1930 l'histoire du pays est réécrite de toutes pièces. On imagine que les Tutsi ne sont pas des locaux, mais des immigrés. On les appelle « les juifs de l’Afrique », venus pour s’implanter dans le territoire rwandais chez les Hutu.
La catastrophe commence lorsque la carte d'identité matérialise l'appartenance : chacun doit se définir Tutsi ou Hutu. (Celles-ci seront utilisées en 1994 pour identifier et tuer les Tutsi).

Carte d’identité où figure la spécificité "Tutsi"


Georges Bensoussan parle de « racialisation des consciences ». « Dans le cas des Tutsi et de Hutu, on observe une racialiation du social : un racisme sans race, où les Tutsi deviennent des éléments étrangers alors qu'ils ont une culture et une langue commune avec les Hutu. »

Les années 1959, 1965, 1973 et 1989 et 1990 : la montée progressive des tensions

Après l'indépendance du Rwanda en 1959 les hostilités s'accroissent.
Deux séries de massacres ont lieu en 1965 et 1989 avec paradoxalement la notion de légitime défense : les Hutus se défendent contre ces étrangers Tutsi. En quittant le Rwanda au moment de l'indépendance, les Belges laissent diriger les Tutsi (qui représentent au total 15% de la population). Or un vote démocratique aurait amené les Hutu au pouvoir.
L'administration belge partie, restaient les Pères blancs. Ils renversèrent le discours belge en persuadant les Hutu qu’ils avaient subi une persécution sociale. « Libérez-vous et reprenez le pouvoir » semblaient-ils vouloir leur dire.
Progressivement, une élite Hutu se forme avec la création en 1959 d’un parti Hutu. Les violences débutent.

En 1965, le président Hutu Habyarimana arrive au pouvoir. Les massacres entraînent des mouvements d’émigration, essentiellement en Ouganda. La vague de violence se réitère en 1973. Très tôt les Tutsi sont comparés à des cafards, des cancrelats. Ceux qui ont fait le choix de rester au Rwanda sont victimes de persécutions.
Les Tutsi, installés provisoirement en Ouganda souhaitent rentrer au pays, mais leur retour est refusé. Ils forment alors le Front patriotique Rwandais, le FPR. Entraînés et armés, ils comptent revenir en force.

Le 1er octobre 1990, le Rwanda se trouve agressé par des « immigrés venus du FPR » selon le gouvernement rwandais. Ces « immigrés » ne sont autre que les Tutsi.
Le président Hutu Habyarimana demande l’aide de la France ; aide militaire qu'elle lui accordera. Parallèlement, la propagande intense réalisée par la Radio-télévision des Mille collines diffuse un appel au meurtre : les 10 commandements pour tuer un Tutsi, avec pour argumentaire :« Si ce n’est pas vous qui les tuez, ce seront eux qui vous tueront ».

Du côté de l'État, les dépenses militaires passent de 15% à 70% du budget national. L'armée renforce des troupes et signe l'achat de 500 000 machettes à la Chine.

Tous ces signes sont annonciateurs d'une catastrophe éminente. Mais
le discours n’est pas pris au sérieux en Occident.

Le génocide commence au lendemain du 6 avril 1994, jour de l'assassinat du président Hutu Habyarimana. En huit semaine, entre 500 000 et 800 000 Tutsi sont assassinés, certains parleront de un million de morts.

Écoutez les explications d'Yves Ternon et Georges Bensoussan sur l'histoire du génocide Rwandais.
La dernière partie de l'émission est consacrée à l'après-génocide, et la cohabitation aujourd'hui entre bourreaux et victimes.

Sans nier le rôle direct ou indirect de la France, de la Belgique et de l'ONU dans ce génocide, cette émission n’a pas pour but d’activer encore la polémique sur la part imputable à chacun, mais de démêler les fils de cette toile d’araignée qui s’est tissée autour du sort des Tutsi.

Yves Ternon et Georges Bensoussan (de gauche à droite)

Yves Ternon est docteur en histoire à l'université de Paris IV (La Sorbonne). D’abord chirurgien, interne des hôpitaux de Paris, il s'est ensuite consacré à la recherche sur les crimes contre l'humanité et, tout particulièrement, sur les génocides juif, arménien et du Rwanda, à propos desquels il a publié plusieurs ouvrages, notamment Guerres et génocides au XXe siècle : Architectures de la violence de masse paru en 2007 aux éditions Odile Jacob.

Georges Bensoussan est historien, rédacteur en chef de la Revue d'histoire de la Shoah et responsable éditorial au Mémorial de la Shoah (Paris).
Il a publié dernièrement Un nom impérissable aux éditions du Seuil en 2008.

En savoir plus :

Revue d'histoire de la Shoah, collectif, Rwanda, quinze ans après, penser et écrire l'histoire du génocide des Tutsi, n°190 janvier-juin 2009

D'autres ouvrages cités au cours de l'émission :

Yves Ternon, Guerre et génocide au XXesiècle : architecture de la violence de masse, éditions Odile Jacob, 2007
Georges Bensoussan Un nom impérissable, éditions du Seuil, 2009

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