Maître des saveurs et chocolate

Mot pour mot, la chronique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Savoir et saveur sont frère et soeur ! Pour goûter l’un, il faut acquérir l’autre et vice-versa... de même pour maître-queux et maître-coq ! Mais attention, ne confondez pas coq avec le volatile, ni queux avec celle de la casserole ! Et s’il est permis de goûter le chocolat, et même dans sa forme Grand Siècle, le chocolate, ne soyez pas chocolat pour autant ! Heureusement, notre lexicologue Jean Pruvost est là pour tout vous expliquer.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots531
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Un maître savoir des saveurs

Aucun doute : une très bonne cuisine fait l’unanimité, nous apprécions tous de fait le savoir de celles et de ceux qui sont les grands maîtres des saveurs qui flattent nos palais. Or « savoirs » et « saveurs », voilà justement deux mots qui sont frères ou sœurs étymologiques : ils sont effectivement issus de la même racine, en l’occurrence le verbe latin sapere, qui signifie « goûter », c’est-à-dire plus précisément « prendre connaissance » de quelque chose par le goût.

Le savoir, c’est en effet bel et bien étymologiquement découvrir quelque chose d’abord par les sens, et par conséquent en devenir maître par l’expérience. Et puisqu’il est question de maître, deux mots nous viennent forcément à l’esprit à propos du grand art de la cuisine. De quels mots s’agit-il ?

Il s’agit du maître-coq et du maître-queux qui, comme saveur et savoir, sont tous deux de même origine étymologique. Contre toute attente en effet, aucun rapport ne doit être établi entre le maître-coq et le coq du coq au vin ; de même qu’il n’y a aucune relation entre le maître queux et la queue d’une casserole. Au reste, si coq, dans maître-coq est, par rapprochement instinctif, de même orthographe que le fier volatile, queux, dans maître-queux s’écrit avec un x : q u e u x. Les deux mots, queux dans maître-queux et coq dans maître-coq proviennent de fait d’un même substantif latin, coquus, qui voulait dire cuisinier.

En ce qui concerne le maître-coq, le mot latin coquus était tout d’abord passé en néerlandais où il était devenu kok, et c’est nous qui leur avons emprunté ce mot au XVIIe siècle en en transformant l’orthographe, assimilant le kok k-o-k, au fier gallinacé, le coq. Ainsi, pas de confusion à faire, à bord d’un bateau, le coq désignait bien le cuisiner. Coq, soignez-nous bien, s’écriaient les marins. Quant au maître queux, attesté dans notre langue depuis 1080, en fait davantage cuisinier que maître, il en est la version pauvre. Une variante valorisante est cependant à signaler avec le Grand Queux de France, officier de la maison du roi, chargé du service de bouche. C’est évidemment plus seyant que le cuisinieux, un vieux mot qui se disait encore au XVIIe siècle. Et surtout, ne cherchez pas de féminin à maître coq ou maître queux, il serait vraiment malséant. On imagine mal en effet une maîtresse poule…

Les Chocolates chocolat

Quand on est gourmand, l’idée d’une cuisine tout en chocolat, à la mode d’Alain Serres qui a ainsi intitulé l’un de ces romans, c’est tentant, et cette image plaisante a semble-t-il été comprise universellement par tous les enfants. Or, si le chocolat est aujourd’hui un plaisir pour ainsi dire universel, il a pourtant bien un lieu de naissance : c’est en effet au Mexique et dans le dialecte des Aztèques, le nahuatl, que le « chocolat » prend sa source. Ce sont de fait les Espagnols, en conquistadors gourmands, qui rapportèrent en Europe et le mot et le produit, c’est-à-dire la graine du cacaoyer grillée et broyée à laquelle on ajoutera plus tard du sucre.

Au XVIIe siècle, on ne dit pas le chocolat mais le chocolate ainsi défini dans les dictionnaires de la fin du siècle: « Composition de cacao & d’autres choses dont on fait un breuvage qu’on boit fort chaud, & qui, à ce qu’on prétend, entretient la chaleur de l’estomac, & aide à la digestion », mais le chocolate désigne déjà aussi « une petite sorte de pâtisserie délicate ». Ah les bons chocolates ! Chocolat, c’est également une couleur, marron, ajoutent les enfants, des enfants qui ne manquent d’ailleurs pas de nous inquiéter en nous demandant comment on écrit des rubans chocolat : avec un s ou sans s ?

Etre ou ne pas être chocolat

Attention à ne pas être chocolat au moment d’accorder chocolat en tant qu’adjectif de couleur. D’où vient cette formule ? Être chocolat, c’est être attrapé, voire déçu. Il se trouve effectivement qu’à la fin du XIXe siècle, en 1886, il y avait deux clowns célèbres, Foottit et Chocolat, or Chocolat jouait l’innocent, le benêt. C’est ainsi qu’on a d’abord dit faire le Chocolat, le naïf, puis être chocolat, sans doute par assimilation avec être marron, de même sens, presque de même couleur, et d’origine controversée.

Revenons au pluriel de l’adjectif chocolat, dans « des rubans chocolat », c’est-à-dire couleur du chocolat, on ne fait pas l’accord: il ne nous viendrait d’ailleurs pas à l’esprit de dire des jupes chocolates, c’est un bon moyen de s’en souvenir. Même chose pour des robes marron, pas d’s, sinon, on se retrouverait à la barre du justicier orthographique. Mais pas d’inquiétude, « très apprécié à la barre », telle est la définition que donnent les cruciverbistes du chocolat !

Texte de Jean Pruvost

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