Le FMI nouveau est arrivé

La chronique économique de Philippe Jurgensen

Il est permis de se réjouir d’une renaissance : celle du FMI. L’un des aspects remarqués, à juste titre, des conclusions du « Groupe des 20 » Chefs d’Etat et de Gouvernement des principaux pays du monde, réunis à Londres le 2 avril dernier, a été la remise sur le devant de la scène de cette importante institution, qui avait connu un effacement relatif au cours des deux dernières décennies.

Le Fonds Monétaire International est, avec la Banque Mondiale, une des grandes institutions financières créées avant même la fin de la seconde guerre mondiale, en 1944, par les fameux accords de « Bretton Woods ». Son rôle devait être central dans la conduite de l’économie en temps de paix, puisqu’il était chargé d’une triple tâche : assurer la stabilité des taux de change (ils ne devaient pas, à l’époque, varier de plus de 1%, ce qui paraît ridiculement faible avec la volatilité que nous connaissons aujourd’hui) ; surveiller les politiques financières des Etats-membres ; et leur venir en aide par ses prêts en cas de déficit temporaire de leur balance des paiements.
Avec le temps, ce système bien organisé s’est délité. L’ancrage sur l’or du dollar, pivot du système, a disparu en 1971 ; les changes flottants et non plus fixes sont devenus la règle en 1973 ; les pays industrialisés se sont dispensés de la surveillance et des consignes du FMI, qui a dû, depuis trente ans, réserver ses concours financiers et sa conditionnalité parfois sévère aux seuls pays en développement ; ils lui ont même suscité, en 1999, un concurrent, le Forum de stabilité financière, club plus discret et plus proche des banques centrales, mais fort peu contraignant. Enfin, dans la toute dernière période, l’euphorie financière et le développement rapide des pays émergents ont peu à peu privé le FMI de ses clients, même parmi les pays du Sud. Ses concours, ramenés à une quinzaine de milliards de dollars seulement après les remboursements anticipés de leur dette par de nombreux emprunteurs comme l’Argentine, le Brésil, l’Indonésie ou la Turquie, n’étaient plus qu’anecdotiques et ne suffisaient plus à le faire vivre, - au point qu’à son arrivée en septembre 2007, le nouveau Directeur général du Fonds, Dominique Strauss-Kahn, a dû poursuivre un programme de licenciements et de compression de coûts…

Avec la crise, le Fonds Monétaire International « est de retour aux affaires », comme l’a dit « DSK ». Il retrouve, en effet, toutes ses fonctions :
- Fonction de surveillance d’abord : les grands pays reconnaissent la nécessité d’une supervision par le Fonds des politiques économiques et financières de tous, et pas seulement des plus pauvres, et d’une vigilance à exercer par lui sur le comportement des marchés. Dans la langue de bois du « G20 », cela donne « collaborer avec le Forum de stabilité financière pour avertir en amont des risques macro-économiques et financiers et des actions nécessaires pour y remédier » et « nous soutiendrons maintenant et dans le futur une surveillance franche, équitable et indépendante par le FMI de nos économies et de nos secteurs financiers, des répercussions de nos politiques sur les autres membres et des risques auxquels l’économie globale est confrontée ». Espérons que les conseils du Fonds permettront effectivement d’encourager des politiques plus sages et plus coopératives, et d’éviter la constitution de « bulles » financières, immobilières ou autres, dont l’éclatement est ensuite dévastateur. Dès l’an dernier d’ailleurs, la Chine et les Etats-Unis ont accepté que le FMI conduise une enquête sur la solidité de leur système financier national. Une première…
Voyez, par ailleurs, à quel point l’expertise du FMI est de nouveau attendue sur l’évaluation de l’ampleur de la crise et des politiques mises en œuvre pour y répondre. L’attention avec laquelle sont suivies les publications régulières de ses prévisions, appelées « World economic outlook », en témoigne, comme l’écho que reçoivent ses évaluations des pertes du secteur financier - la dernière en date s’élevant à plus de 4 000 milliards de dollars.
- Un second changement important est le renforcement considérable de la fonction de « prêteur en dernier ressort » de l’économie-monde grâce aux nouvelles ressources mises à la disposition du Fonds pour venir en aide à ses membres. Au total 500 milliards de dollars supplémentaires vont lui être apportés : une première tranche de 250 milliards est déjà financée par le Japon, qui apporte 100 Mds, l’Union Européenne ( 75 Mds), la Chine, le Canada, la Norvège, etc. ; une seconde tranche de 250 milliards suivra, dans le cadre des nouveaux accords d’emprunts qui ont succédé, en 1998, aux « accords généraux d’emprunt » créés après-guerre pour accroître les ressources du FMI ; ils sont financés par 26 pays, dont l’Arabie Saoudite et l’Espagne. De plus, si nécessaire, le Fonds pourra emprunter, en complément, sur les marchés.
Pour faciliter l’utilisation de ces ressources très largement augmentées, il a en même temps été décidé de compléter la panoplie des concours du Fonds, normalement proportionnels aux quotes-parts de chaque Etat-membre et soumis à des conditions strictes, par une nouvelle « ligne de crédit flexible ». Comme son nom l’indique, cette nouvelle facilité permet des tirages beaucoup plus importants et sans condition préalable autre que l’assurance vague d’un bon comportement général du pays. On n’en reste pas au stade des principes puisque, dès à présent, le Mexique s’est vu allouer 47 milliards de dollars, la Pologne, 20 milliards et la Colombie, 10 milliards, au titre de cette nouvelle ligne de crédit, tandis que de nombreux autres pays bénéficient de récents accords de « stand-by » classiques : l’Ukraine pour plus de 16 milliards, la Hongrie pour 12,5 milliards d’aide d’urgence, la Roumanie pour 16 milliards... La liste des demandes est longue, incluant le Pakistan, la Turquie, l’Islande, la Serbie, la Lettonie, la Biélorussie, etc.
Ce réengagement du Fonds dans le financement des crises de balances de paiements lui permet de retrouver sa vocation initiale et, au passage, de résoudre complètement sa crise financière : aujourd’hui, le Fonds embauche de nouveau …
Accessoirement, le FMI va céder une partie de son imposant stock d’or (il s’élève au total à 3 200 tonnes) pour pouvoir faire des concours à très bas taux d’intérêt aux pays les plus pauvres, notamment les pays d’Afrique.

- Une autre des grandes missions initiales du FMI n’est cependant que très partiellement restaurée : il s’agit du pilotage du système de changes. Malgré les discours souvent entendus récemment sur un « nouveau Bretton Woods », la restauration de taux de changes fixes, ou même simplement stables, entre les grandes zones monétaires semble aujourd’hui encore hors de portée. Cependant, une décision significative a été prise par le « G20 » lorsqu’il a décidé d’ajouter aux ressources que je viens de décrire une allocation spéciale de DTS d’un montant de 250 milliards de dollars.
Le DTS, encore un ressuscité ! Tout le monde avait oublié la tentative faite au milieu des années 70 pour créer une nouvelle monnaie internationale sous forme de droits de tirage spéciaux auprès du FMI, les DTS, qui devaient, à terme, former une véritable monnaie internationale - concurrente potentielle du dollar. Cette monnaie artificielle a eu peu de succès, bien qu’elle reste le mode de comptabilisation officiel des activités du FMI. La nouvelle émission annoncée, fortement encouragée par la Chine, lui donne évidemment une importance toute neuve. On peut peut-être y voir un pas vers un rééquilibrage du système monétaire international vers une organisation plus multipolaire et moins centrée sur le dollar. Ce rééquilibrage a été publiquement souhaité, notamment, par les Chinois, dont chacun sait qu’ils sont aujourd’hui le principal détenteur de réserves de changes au monde, avec près de 2 000 milliards de dollars.

- Reste un sujet fort délicat, celui du partage du pouvoir au sein du FMI, ou, selon le terme consacré, de sa « gouvernance ». Il faut savoir que, malgré tous les progrès des pays émergents, le Fonds reste, depuis sa création, dominé par les Américains et les Européens. Une règle non écrite veut que le Directeur général du Fonds soit toujours un Européen, et son adjoint toujours un Américain. Surtout, les Américains détiennent un pouvoir de veto en son sein, puisqu’ils disposent de 17 % des voix, alors que toutes les décisions importantes doivent être approuvées à une majorité qualifiée de 85 %. Quant aux pays européens, ils possèdent, avec moins d’un quart du produit mondial, plus du tiers des quotes-parts qui déterminent les droits de vote au sein du Fonds, et des sièges d’administrateur…
Un rééquilibrage en faveur des pays émergents est indispensable. Il se fait à très petite vitesse puisque la dernière révision des quotes-parts, décidée en avril 2008, majore seulement le poids de quatre pays (la Chine, la Corée, le Mexique et la Turquie), et ce, dans des proportions modestes : la part de la Chine, qui n’était que de 3 %, restera confinée à 3,7 % après cette augmentation, alors que ce pays représente au moins 10 % de l’économie mondiale réelle ; quant à celle de l’Inde, elle demeure inférieure à 2 %. Le G20 a bien annoncé une nouvelle révision des quotes-parts dès 2011, avançant de deux ans le rendez-vous initialement prévu ; mais même alors, le droit de veto américain et la prééminence des anciens pays industrialisés subsisteront.
En revanche, il semble avoir été admis qu’à l’avenir, la direction du Fonds ne serait plus réservée aux « pays avancés » et pourrait échoir au représentant d’un pays émergent, ce qui serait effectivement un changement significatif – au détriment de l’Europe, certes, mais allant dans le sens de la prise en compte des véritables nouveaux équilibres de notre monde. On voit mal, en effet, comment on peut demander aux grands pays en développement comme la Chine d’être les premiers contributeurs à la relance mondiale et d’apporter des financements massifs aux institutions internationales, tout en refusant de leur accorder une place convenable au sein de ces institutions.

Au total, on doit constater que la remise en selle du FMI est un vrai progrès de la coopération internationale. Avec un zeste d’optimisme, on peut même espérer que ses conseils aideront à éviter la répétition de crises aussi graves que celle que nous connaissons aujourd’hui, et que ses interventions permettront d’empêcher le basculement de nombre de pays surendettés dans la déflation et le désarroi.
Texte de Philippe Jurgensen

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