Le Japon dans la crise actuelle

La chronique Géographie de Jean-Robert Pitte, de l’Académie des sciences morales et politiques
Avec Hélène Renard
journaliste

Si la crise économique affecte le Japon, ses capacités à rebondir sont remarquables, comme l’histoire dans ses moments critiques l’a montré. Jean-Robert Pitte explique ici à quelles sources puisent les Japonais pour se redresser.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : ecl566
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Cette émission a été enregistrée en avril 2009.

Des chiffres inquiétants

La crise économique mondiale affecte le Japon largement autant que les grandes puissances anciennement industrialisées d’Europe ou d’Amérique du nord. M. Kaoru Yosano, ministre de la Politique économique et budgétaire évoque un recul du PIB de 3,3% au dernier trimestre de 2008, par rapport au précédent. Les experts de l’OCDE prédisent un recul en 2009 de 6,6%, contre 4,4% aux Etats-Unis. Les exportations reculent et la balance commerciale est déficitaire depuis novembre 2008.1300 entreprises ont fait faillite en février 2009. Le chômage est rapidement en train de passer de 4 à 5%, chiffre jamais atteint depuis longtemps au Japon. Enfin, l’État peine à conduire la relance, car la dette publique est immense :180% du PIB. Faut-il dès lors penser que la deuxième puissance du monde est définitivement à genoux ?

Déjà à la fin des années 90...

Comme lors de l’éclatement de la bulle à la fin des années 1990, les commentateurs occidentaux observent ces faits non sans une certaine satisfaction, tant la réussite de l’économie nipponne est longtemps apparue comme incompréhensible, voire insolente pour un pays ayant perdu la dernière guerre et qui, comme l’Allemagne, s’est relevé en un temps record. Dans les années 1997-98, on pouvait lire à la une des grands journaux et magazines français : « fin du miracle », « illusions perdues », « le Japon à terre », etc. Et puis, sans que les Cassandre ne prennent la peine de battre leur coulpe, le Japon s’est relevé et a retrouvé croissance économique et prospérité. Cela ne s’est pas fait sans effort et cela ne veut pas dire que tous les problèmes aient été résolus et, parmi ceux-ci, le vieillissement de la population. D’ailleurs, de ce point de vue, la Chine s’avance inexorablement vers des lendemains qui déchantent, du fait de sa politique de l’enfant unique. L’allongement rapide de la durée de vie correspond au moment où arrivent en activité des classes d’âge très creuses.

De grandes capacités d'adaptation

Les causes de la crise sont évidemment les mêmes qu’ailleurs dans le monde et les liens étroits qui existent entre l’économie japonaise et l’économie américaine prennent ici toute leur importance. Certes, toutes les banques japonaises ne sont pas en bonne santé, mais les plus fragiles avaient été emportées lors de la crise précédente. Par ailleurs, si l’État japonais est lourdement endetté, ce n’est pas le cas des ménages qui ont conservé, même si c’est un peu à la baisse, leurs traditionnelles habitudes d’épargne. Les exportations souffrent d’une surévaluation du yen. Si le gouvernement japonais parvient à faire baisser ce dernier, il est certain qu’elles reprendront fortement, d’autant que les grandes entreprises sont capables d’adaptations rapides. Par ailleurs, n’oublions pas que le principal client du Japon est la Chine et que, même en perte de vitesse, les perspectives de croissance de ce puissant voisin demeurent très positives. Alors que le Monde du 8 avril 2009 titrait « En 2009, le Japon connaîtra la pire récession des pays industrialisés », M. Shogo Maeda, responsable des actions japonaises de la Compagnie financière Schroders Investments Limited à Londres déclarait en décembre 2008 : « Globalement, nous estimons que le Japon est bien placé pour connaître une solide reprise une fois ce ralentissement cyclique achevé ». L’exemple de Nissan est parlant : les ventes d’automobiles de la compagnie ont baissé de 5,9% au Japon en 2008, mais elles ont augmenté de 5,5% en Europe, 10,9% aux Etats-Unis et 19,1% en Chine !

Le confucianisme, une philosophie du dépassement de soi

Avant de prédire un avenir définitivement sombre au Japon, il faut songer aux remarquables capacités de ressaisissement et de rebondissement de sa population lors des moments les plus critiques de son histoire. Ses traditions sociales sont héritées d’une histoire sans invasions depuis deux millénaires. Ce peuple a fait preuve au fil des siècles d’une capacité rare à s’inspirer d’apports extérieurs, à adapter finement les idées d’autrui et d’ailleurs. Un bon exemple est celui de la philosophie chinoise de Confucius qui invite à l’effort individuel et collectif, au dépassement plus qu’à la résignation à laquelle on le réduit souvent en Occident, à la recherche passionnée de la paix intérieure par les oeuvres. Dans ce pays, la justice est un bien trop précieux pour être un dû. Il tient sa forte identité de son insularité, mais aussi des deux siècles et demi de fermeture quasi-intégrale voulue par la dynastie des shoguns Tokugawa (1603-1868) fondée par le visionnaire Ieyasu. Pendant cette longue période, l’État a forgé l’unité nationale et une architecture sociale stable, développé le sens de l’honneur, l’éducation pour tous, y compris les femmes qui avaient accès à l’écriture et savaient donc transmettre à leurs enfants, Les connaissances occidentales parvenaient, via les Hollandais, par le port de Nagasaki et furent ainsi assimilées au rythme choisi par les Japonais.

C’est pourquoi l’ouverture des années 1860, puis la révolution Meiji de 1868 ne provoqua aucun traumatisme irréversible : les Japonais ont su profiter des techniques et des idées occidentales sans rien perdre de leur identité profonde. C’est pourquoi la dialectique entre tradition et modernité a moins de sens dans ce pays que partout ailleurs.

La destruction de sa capitale, Tokyo, par le grand séisme de 1923 est une épreuve terrible dont le pays se relève vite, tant il a appris à maîtriser un environnement multi-insulaire, montagneux et morcelé, marqué par la violence des typhons, des tremblements de terre, des tsunamis, des inondations, des glissements de terrain, etc.. La deuxième guerre mondiale et sa fin terrifiante dans le feu atomique laissent le pays en ruines matérielles, mais non morales. Grâce à son énergie et à l’aide américaine, il devient très la deuxième puissance mondiale.

A la fois mondial et très discret...

Longtemps, sa faiblesse fut sa difficulté à se faire comprendre du plus grand nombre, à parler de lui-même. Cet enfermement appartient au passé. En ce début du XXIe siècle, la culture japonaise n’est plus confidentielle : elle est enfin sortie de ses frontières et touche tous les milieux. La planète entière a emprunté au Japon sa technologie électronique (photographie, son), son art graphique et cinématographique, sa gastronomie, sa mode vestimentaire, son architecture et son design, ses arts martiaux, etc. Seule la classe politique japonaise demeure discrète, voire inaudible : le contraste est saisissant avec l’omniprésence médiatique des chefs d’État ou de gouvernement du G8 ou du G20, mais est-ce vraiment un handicap ? Le Japon sait qu’il a besoin du monde, mais le monde a compris que le Japon lui était nécessaire pour prospérer en paix.

Texte de Jean-Robert PITTE

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