Pour en finir avec Vichy : les racines des passions (2/2)

par Henri Amouroux, de l’Académie des sciences morales et politiques.
Avec Christophe Dickès
journaliste

Christophe Dickès reçoit Henri Amouroux pour son deuxième tome sur Vichy intitulé "Les racines des passions" (2ème volet d’une émission en 2 parties).

Émission proposée par : Christophe Dickès
Référence : hist070
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- Pour en finir avec Vichy : les racines des passions (1/2)

En 1997, Henri Amouroux publiait le premier tome de Pour en finir avec Vichy consacré aux oublis de la mémoire.
Il nous propose aujourd'hui la suite de sa réflexion dans Les racines des passions, le tome 2, qui aborde le parcours de De Gaulle et Pétain, "les" opinions françaises, une approche complexe d'une période controversée.


Les années 1940 furent marquées par de grandes passions qui provoquèrent de grands déchirements dans l'opinion dont on trouve trace encore aujourd'hui, Vichy refaisant régulièrement surface à la une des médias.

De juin 1940 à février 1941, période sur laquelle s'attarde l'ouvrage, les passions étaient vives, cruelles et elles n'étaient pas l'affaire d'un seul camp.

Passion, la violence avec laquelle, dès les premiers mots de son discours du 18 juin et plus encore dans les discours qui suivront, le général de Gaulle s'efforce de détruire la statue de Pétain, le vainqueur de Verdun étant alors, pour la majorité des Français, l'"homme providentiel" qui pourrait leur éviter le pire.

Passion apportée, dès la défaite, par le nouveau gouvernement, mais aussi par l'Église, à la lutte contre la franc-maçonnerie et les francs-maçons.

Passion antisémite des "collaborateurs" de Paris qui se déchaînent et réclament immédiatement, contre les juifs, exclusion, internement, voire mort ; passion des législateurs de Vichy qui devancent les exigences de l'ennemi pour interdire aux juifs la plupart des professions.

Passion anti-communiste déchaînée après que l'Allemagne a envahi la Russie soviétique en juin 1941.

Passion des hommes qui, depuis Londres, à la radio ou en France occupée (surtout) par les tracts de la Résistance, condamnent Vichy et s'efforcent de détacher les Français du maréchal Pétain et de son régime ; passion des communistes dans la lutte contre la "collaboration" et les "collaborateurs", notion étendue aux ennemis de classe et parfois à des adversaires politiques d'hier.

Ces passions pour ou contre Vichy ont des racines. C'est à travers elles que Henri Amouroux pour tente de mieux nous faire comprendre cette période.

Bibliographie
- Pour en finir avec Vichy, tome 2 : Les Racines des passions], Ed. Robert Laffont, 2005

Henri Amouroux (1920-2007)
© Damien Laffargue

Diplômé de l'Ecole supérieure de journalisme, Henri Amouroux a commencé sa carrière journalistique fin 1938 à l'agence de presse Opera mundi à Paris, puis comme stagiaire au journal la Petite Gironde à Bordeaux. Il participe au groupe de résistance Jade Amicol.

A la Libération, il appartient à l'équipe fondatrice du journal Sud-Ouest, Il y occupera, de 1944 à 1974, les postes successifs de secrétaire de rédaction, secrétaire général adjoint de la rédaction, secrétaire général de la rédaction (1959), rédacteur en chef adjoint (1963), rédacteur en chef (1966), directeur général adjoint, directeur général (1968-1974). Il crée et dirige parallèlement Sud-Ouest Dimanche.

A la Libération, il appartient à l'équipe fondatrice du journal Sud-Ouest, Il y occupera, de 1944 à 1974, les postes successifs de secrétaire de rédaction, secrétaire général adjoint de la rédaction, secrétaire général de la rédaction (1959), rédacteur en chef adjoint (1963), rédacteur en chef (1966), directeur général adjoint, directeur général (1968-1974). Il crée et dirige parallèlement Sud-Ouest Dimanche.

Durant quatorze ans il a tenu la chronique littéraire, a été correspondant de guerre à cinq reprises - notamment sur le front français puis au Vietnam - ce qui lui vaudra deux blessures. Il a effectué de très nombreux reportages dont dix en Israël (qui donneront matière à quatre ouvrages), sept en Yougoslavie, cinq en Algérie, quatre au Vietnam, deux en URSS, ainsi qu'en Inde, en Egypte, en Jordanie, en Chine, au Canada, au Brésil, etc.

Il est de plus directeur du journal les Années 40 depuis 1970.

A partir de 1974, Henri Amouroux quitte Sud-Ouest et est nommé directeur de France-Soir (1974-1975), puis co-directeur du quotidien Rhône-Alpes (1977-1982).
Depuis 1985, il préside le prix Albert-Londres.

A côté de son activité professionnelle, Henri Amouroux a consacré sa vie à l'écriture d'une monumentale histoire de la France sous l'Occupation allemande. Soucieux de vulgarisation, il a conçu de très nombreuses émissions télévisuelles - 40 émissions sur TF1 - et radio-diffusées, notamment à France Inter, où il tient depuis 1994 une chronique régulière.
Il a reçu pour l'ensemble de son œuvre le Prix mondial Cino del Duca en 1999.
Henri Amouroux est décédé le 5 août 2007.

Ses œuvres

- 1951 - Israël... Israël.
- 1955 - Croix sur l'Indochine.
- 1955 - Le Ghetto de la victoire.
- 1957 - Le Monde de long en large.
- 1957 - Une fille de Tel Aviv (roman).
- 1958 - J'ai vu vivre Israël.
- 1961 - La Vie des Français sous l'Occupation.
- 1966 - Le 18 Juin 1940.
- 1966 - Quatre années d'histoire de France (1940-1944).
- 1967 - Pétain avant Vichy.
- 1970 - La Bataille de Bordeaux.
- 1972 - Aquitaine, introduction historique.
- 1976-1993 - La Grande Histoire des Français sous l'Occupation, 1939-1945, 10 tomes :
-* tome I. Le Peuple du désastre, 1976
-* tome II. Quarante millions de pétainistes, 1977
-* tome III. Les Beaux Jours des collabos, 1978
-* tome IV. Le Peuple réveillé, 1979
-* tome V. Les Passions et les Haines, 1981
-* tome VI. L'Impitoyable guerre civile, 1983
-* tome VII. Un printemps de mort et d'espoir, 1985
-* tome VIII. Joies et douleurs du peuple libéré, 1989
-* tome IX. Les Règlements de comptes, 1991
-* tome X. La Page n'est pas encore tournée, 1993.

- 1983 - Ce que vivent les roses.
- 1983 - Et ça leur faisait très mal (théâtre).
- 1986 - Monsieur Barre.
- 1990 - De Gaulle raconté aux enfants.
- 1997 - Pour en finir avec Vichy. Tome I.
- 2005 - Pour en finir avec Vichy. Tome II.

Retrouvez Henri Amouroux dans d'autres émissions de Canal Académie :
- Henri Amouroux, regard sur ses activités
- Le parcours d'Henri Amouroux
- Les tribunaux du peuple à la libération, une communication d'Henri Amouroux
- Acteur et spectateur, le peuple français de 1940 à 1944, une communication d'Henri Amouroux
- La libération de Paris, "La grande histoire des français sous l'occupation", tome 4 : septembre 1943-août 1994
- Le 6 juin 1944: le débarquement
- Mai-Juin 1940 : L'armistice
- Pour en finir avec Vichy : les racines des passions
-*Emission 1/2
-*Emission 2/2

- 4 émissions sur le prix Albert Londres
-*Que reste t-il d'Albert Londres ?
-*Le Prix Albert Londres 1/2
-*Le Prix Albert Londres 2/2
-*Henri Amouroux et le Prix Albert Londres

Henri Amouroux a été longtemps directeur du Journal Sud Ouest. Il a donné une interview pour Yves Harte dans ce journal à propos de son ouvrage Pour en finir avec Vichy : les racines des passions :

« Sud Ouest Dimanche ». Pourquoi ce titre « les Racines des passions » ?
Henri Amouroux. Parce que l'on ne peut comprendre Vichy sans remonter dans l'histoire de France. Et remonter assez loin. Aux passions de 1903-1906 répondent, en effet, les passions de 1940. Par exemple, la véritable persécution des francs-maçons entreprise par Vichy ne se comprend pas si on ignore les persécutions qui, entre 1880 et 1906, frappèrent les catholiques. En 40, pourquoi l'Eglise se précipite-t-elle aux pieds du Maréchal et célèbre-t-elle les vertus d'un homme qui n'était pas particulièrement pieux ? Parce que Pétain a aboli les lois contre les congrégations, lois responsables de l'exil en 1903 de milliers de religieux et religieuses. Parce que les catholiques de 1940 n'ont pas oublié qu'il y eut, en 1906, plus de 63 000 inventaires de biens d'Eglise.

Vous parlez, dans votre livre, de revanche.
Oui. Et revanche d'autant plus rude qu'un seul camp, qu'un seul clan est au pouvoir. Dès le début de la guerre, en 1939, la censure règne. Après la défaite, elle sera impitoyable. Toute contradiction ne peut être que clandestine... ou venir de Londres.

On découvre la Révolution française plus proche dans les esprits qu'on ne l'imagine aujourd'hui.
C'est vrai. La Révolution française était proche des hommes au pouvoir en 40. Ils ne l'aimaient pas, et le mot est faible. Ils pensaient qu'elle avait détruit trop de valeurs, et réagissaient donc contre ses principes. Quant à Philippe Pétain, né en 1856, on l'oublie trop, il avait appris le latin avec un prêtre qui s'était battu à Arcole avec Bonaparte ! Et, par sa naissance, il était plus près de la rencontre de Napoléon et d'Alexandre sur le Niémen que de sa rencontre avec Hitler à Montoire.
Pétain est moderne avant 1914, puis en 1916 à Verdun, en 1917 lorsqu'il sauve l'armée française menacée de désagrégation par les mutineries. En 1934, ministre de la Guerre, il n'est « plus dans le coup ». Le chef moderne, en phase avec son époque et avec l'évolution des moyens de la guerre, c'est de Gaulle. Mais l'âge rattrapera de Gaulle. Comme il nous rattrape tous. Ce sera en 1968.

Est-ce cette différence d'âge qui peut expliquer l'animosité entre de Gaulle et Pétain ?
Animosité ? Allons donc ! Pétain a estimé et protégé de Gaulle de 1912 à 1930, au moins. De Gaulle a écrit sur Pétain, en 1938, les phrases les plus élogieuses et surtout les plus vraies. La querelle entre les deux hommes sera d'abord une querelle d'auteurs... C'est complexe et je l'explique dans mon livre. A partir du 18 juin 40, pour le solitaire de Gaulle, il s'agit de détruire la statue Pétain qui domine alors le paysage... et autour de laquelle se rassemblent les Français désemparés.

Mais pourquoi ne tire-t-il pas avantage de l'effrayante cécité de Pétain devant les événements ? Montoire, par exemple ?
Pétain n'est pas aveugle lorsqu'il se rend à Montoire. Il y va dans l'espoir d'obtenir du vainqueur des adoucissements aux malheurs de la France. 180 000 prisonniers, ligne de démarcation, zone interdite, frais d'occupation, etc. Il fait ce qu'ont fait avant lui, ce que feront après lui les hommes auxquels l'on a demandé de se charger de la défaite.

Certes, mais on ne peut réduire Vichy au seul Montoire. Qui signe le statut des juifs ?
Pétain. Comme il signe en 1940, en 1941 en tant que chef de l'Etat, toutes les lois, tous les textes, donc tous les textes antijuifs sans rien savoir alors du sort final terrible qui sera réservé aux juifs. A Vichy, à Paris surtout Paris, cerveau de la collaboration militante, règne dans les milieux au pouvoir, ou influençant le pouvoir, un antisémitisme hideux et profondément enraciné : souvenir de l'affaire Dreyfus, arrivée massive des juifs d'Europe centrale et d'Allemagne. La zone libre était un relatif refuge. Mais, de cette zone libre, Vichy commettra, en 1942, le crime d'extraire environ 10 000 juifs étrangers pour les livrer aux Allemands qui les réclamaient. Voilà un acte impardonnable que l'Eglise, par la voix de certains prélats courageux, dénonça publiquement.

Croyez-vous qu'il soit encore possible, comme vous l'écrivez, d'en finir avec Vichy ?
Non. Il aurait fallu mettre un point d'interrogation. L'histoire est complexe, ce qui fait tout son intérêt... pour moi, qui travaille sur cette tragique époque depuis 1958, comme pour tous ceux qui refusent le manichéisme. Je ne suis pas juge. Je m'efforce, en me replaçant dans le contexte, de comprendre, pour tenter de faire comprendre.

Pour consulter le site Internet du journal Sud Ouest Dimanche.

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