Antibiotiques et pesticides dans les eaux : les risques à court et à moyen termes

avec Yves Lévi et Jean-Marie Haguenoer, membre et correspondant de l’Académie nationale de pharmacie

Champions de la consommation en matière de médicaments en Europe, les Français ingurgitent en moyenne pas moins de 1 500 comprimés par habitant et par an ! Si les médicaments sont utiles à notre santé, l’Académie nationale de pharmacie se montre préoccupée par les conséquences environnementales de leur utilisation. Le point avec Yves Lévi et Jean-Marie Haguenoer, respectivement membre et correspondant de l’Académie nationale de pharmacie.

Grâce aux progrès dans l’analyse physico-chimique, la présence de traces de substances médicamenteuses a été largement établie à l’échelle mondiale, en particulier dans les eaux superficielles et souterraines, dans les eaux résiduaires, dans les boues des stations d’épuration (utilisées en épandage agricole) et dans les sols.
Ces résidus s’ajoutent aux nombreuses substances non médicamenteuses liées aux activités humaines, également présentes dans l’environnement, telles que les pesticides, les détergents, les hydrocarbures et les métaux.

Derrière ce constat, une question sous-jacente : ne sommes-nous pas en train de polluer notre environnement à travers notre consommation d’antibiotiques ? Que se passe-t-il lorsque pesticides et antibiotiques se mélangent dans l’environnement ? Et à quoi ressemble réellement notre eau du robinet ?

Pour Yves Lévi, « il est difficile d’être objectif sur un tel sujet. Il ne faut pas être alarmiste, mais il ne faut pas non plus minimiser le phénomène. Jusqu’à présent, la question des interactions médicaments/ pesticides/autres a été éludée par les pouvoirs publics ».
On retrouve des antibiotiques dans l’eau, conséquence de la consommation accrue de la population, mais aussi conséquence de l’élevage intensif, des déchets industriels pharmaceutiques et du manque de recyclage des déchets à proximité des hôpitaux.
À l’heure actuelle, il est impossible de filtrer ces particules dans les stations d’épuration, trop petites pour être capturées. Il n’existe, à l’heure actuelle, encore aucune norme européenne dans ce domaine ; et il est difficile de réaliser des études épidémiologiques, en raison de la difficulté d'isoler les facteurs en question.

Les conséquences de l’élevage intensif

Les hormones sont utilisées pour obtenir une lactation permanente des chèvres productrices de fromage. Quant aux antibiotiques, utilisés depuis longtemps, ils augmentent la vitesse de croissance des animaux, de 3 à 7 % (Ducluzeau, 2000).
Dans le domaine de l’aquaculture, en vingt ans, cette industrie a multiplié sa production par quatre (Naylor & Burke, 2005), et cette évolution va s’accélérer, face à la diminution des ressources naturelles et à l’augmentation de la demande (Cabello, 2006). Ce développement s’est accompagné de pratiques potentiellement nuisibles pour l’environnement et pour l’homme, avec le rejet de quantités importantes de médicaments vétérinaires dans les eaux.

Les poissons des rivières sont les premiers touchés par la pollution aux antibiotiques

Graves conséquences

Les premiers chiffres en matière de pollution des eaux par les médicaments datent de 1976, et nous viennent des États-Unis, dans le Missouri. Des concentrations de 28,79 μg/l d’acide salicylique et 7,09 μg/l d’acide clofibrique ont été mesurées dans les eaux de la station d’épuration de Big Blue Rivers, à Kansas City. Ce qui représentait respectivement 8,64 kg d’aspirine et 2,13 kg d’anticholestérol déversés chaque jour dans les eaux.
Dans les pays occidentaux, on observe également que les composés de patchs contraceptifs se retrouvent dans les eaux de rivière, provoquant la transformation sexuelle de poissons en hermaphrodites.
Plus près de nous encore, au large de la mer Méditerranée, des prélèvements ont été effectués dans la calanque de Cortiou, à 300 m du rejet d’une station d’épuration de Marseille. Les résultats ont montré des niveaux de concentration particulièrement élevés, entre 200 et 8 000 ng/l pour l’aspirine, la caféine, le diclofénac, l’ibuprofène, le kétoprofène et le naproxène ; et entre 3 et 100 ng/l pour l’amitriptyline, la carbamazépine, le diazépam, le nordiazépam et le gemfibrozil (Budzinski et Togola, 2006).

L’eau de consommation courante contaminée ?

On estime généralement que l’eau du robinet est exempte de tout polluant, en raison des traitements de potabilisation. Certes, dans la majorité des cas, les eaux analysées ne contenaient pas de résidus pharmaceutiques, mais plusieurs auteurs d'études ont retrouvé des molécules médicamenteuses dans les eaux de boisson (Tauxe-Wuersch et al, 2005), notamment des anticancéreux comme la bléomycine et le méthotrexate (Aherme et al, 1985 ; Ternes, 1998), mais aussi la carbamazépine ou le gemfibrozil (Drewes et al, 2002 ; Stan et al, 1994), ou encore le diazépam 19,6 - 23,5 ng/l (Zuccato et al, 2000).
L’ingestion d’antibiotiques par l’eau du robinet est également possible, puisqu’une étude italienne a montré que la tylosine (fongicide) y est présente à des teneurs de 0,6 à 1,7 ng/l (Zuccato et al, 2000).

Les effets à long terme sur l’être humain

Les effets de doses faibles de médicaments, sur un temps long, en interactions avec d’autres médicaments et/ou polluants, sont mal connus chez l’homme, et restent difficiles à étudier.
Cependant, « il est déjà connu que certaines substances médicamenteuses peuvent avoir un impact significatif sur la flore et la faune, notamment en matière de modulation endocrinienne, qui peut survenir à doses très faibles. La prudence reste toujours de mise. De tels impacts écologiques, à faibles concentrations et surtout en association, ont été insuffisamment évalués à ce jour », explique Jean-Marie Haguenoer.
Des traces de substances médicamenteuses appartenant à une quarantaine de classes thérapeutiques, ont été détectées dans les eaux superficielles, à la sortie des stations d’épuration en France, mais aussi sur tous les continents.

Il a été aussi mis en évidence que des stations d’épuration pouvaient transformer certaines substances et leur redonner une forme biologiquement active.

De plus, toutes les substances présentes dans les boues d’épuration peuvent théoriquement être transférées à l’homme après épandage sur les sols via les plantes alimentaires et/ou les animaux d’élevage, mais cette possibilité est aussi insuffisamment documentée.
L’évaluation des risques est complexe du fait :
- du nombre et de la variété des médicaments et dérivés, qui sont très élevés ;
- de la biodiversité environnementale avec des écosystèmes interactifs, très difficiles à reproduire en laboratoire ;
- des limites de l’évaluation des effets des mélanges de substances chimiques à faibles concentrations ou doses.

La principale source est d’origine hospitalière. Les rejets hospitaliers de ces médicaments peuvent être considérés comme générateurs de risques pour les animaux, mais aussi pour l’homme, car ce sont des composés appartenant à la classe des « CMR », c’est-à-dire cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.

Pour Yves Lévi, un autre problème doit faire l’objet d’une évaluation, celui de la relation avec la présence de bactéries antibio-résistantes. Actuellement, il est impossible de faire un lien de cause à effet, juste une corrélation entre la pollution des eaux par les antibiotiques et la résistance des bactéries qui acquièrent une immunité.

La réglementation en France

L’impact environnemental est déjà pris en considération dans la réglementation européenne existante, et en préparation pour les autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain ou vétérinaire. Néanmoins, cette réglementation n’envisage pas toutes les conséquences écologiques, notamment à long terme, des rejets de résidus de ces substances médicamenteuses et de leurs métabolites.

En savoir plus

Yves Lévi est professeur à l'université de Paris Sud-XI, directeur du laboratoire de santé publique-environnement, membre de l'Académie nationale de pharmacie.

Jean-Marie Haguenoer, est correspondant de l'Académie nationale de pharmacie, président de la commission santé-environnement à l’Académie nationale de pharmacie et président de l’Association pour la prévention de la pollution atmosphérique (APPA).

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