Manifestation et chômage

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Si l’étymologie du mot Manifestation est obscure, son histoire est limpide et Jean Pruvost nous la révèle ici se référant à son apparition dans le Dictionnaire de l’Académie. Quant au mot Chômage, il est brûlant... puisqu’il a même étymologie que canicule !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots510
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La manifestation par l’exemple

La «manifestation» commence par une prise de mains étymologique et une explication difficile. C’est bien en effet du latin manifestus qu’est né le mot manifestation, construit sur manus, la main. Il désignait la situation de celui qui est «pris à la main, sur le fait», et donc dans une situation « manifeste », qui ne se discute pas. On s’interroge cependant aujourd’hui à propos de, -festus. Ne serait-il pas relié à infestus, l’ennemi ?

Si l’étymologie est obscure, l’histoire du mot est limpide : la manifestation est en effet d’abord divine. «Il n’est en usage que dans les matières de Religion. La manifestation du Verbe», déclarent les Académiciens dans leur premier Dictionnaire (1694). C’est au milieu du siècle suivant que naîtra la notion de rassemblement visible, festif ou hostile, en somme une manifestation humaine, qui va faire son chemin. Mais le premier exemple «académique» y correspondant n’apparaîtra que dans la 7e édition (1878) : Cette «manifestation pacifique se termina par une prise d’armes», avec une fin d’exemple qui, pour la 8e édition (1932), deviendra «…une intervention de la police». Enfin, dans le deuxième tome (2000) de la 9e édition, entrent des acteurs de poids : «Manifestation d’étudiants» et «La manifestation tourna à l’émeute». Quant à M. Toudoire, dans son Lexique fantaisiste (1992), il assimile la manifestation au traitement «empirique de la surdité du pouvoir». On laissera à San Antonio le dernier mot, avec les «manifeurs» qui «égosillent comme quoi il leur faut du boulot» dans un ouvrage de 1981 au titre rassembleur : Champagne pour tout le monde.

Le chômage,chaud devant…

«Noël, belle et joyeuse fête qui se chôme» s’exclame M. de Guérin en 1833. Il ne s’agit pas alors du chômage auquel on est confronté mais de celui qui faisait s’arrêter de travailler pour se reposer. À La Fontaine d’exprimer d’ailleurs le problème posé hier par le chômage : «Le mal est que dans l’an s’entremêlent des jours Qu’il faut chômer, on nous ruine en fêtes…»En 1875, le discours change : «Chômage, maladie, travail au rabais, exploitation, marchandage, parasitisme, misère, il avait traversé les sept cercles de l’enfer», s’exclame V. Hugo dans Actes et paroles. Nous voilà passés au chômage qui fait chuter les hommes politiques dans les sondages.

Il est vrai que le mot est brûlant : chômer, c’était en effet s’immobiliser pour survivre pendant la canicule, cauma en latin. De l’immobilité reposante, on en vint au repos les jours de fête, même si certains ne chômaient pas, puis au repos forcé par manque de travail. Avouons qu’en période de grippe aviaire et au moment où l’on traite le chômage comme une maladie, la formule de Marc Jolivet résonne cruellement : «Mon patron me l’avait dit, t’as pas l’air bien, rentre chez toi, repose toi. T’as dû attraper le chômage…»

Jean Pruvost est Professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise et où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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