Du négationnisme à l’entêtement !

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Jean Pruvost nous livre l’étymologie des mots « négationnisme » et « entêtement ». De la négation à la révision, il n’y a qu’un pas mais notre lexicologue aide à mieux percevoir les nuances. Quant à l’entêtement, il nous en offre cinq synonymes, en vous laissant le choix, ne serait-ce que pour savoir si vous êtes entier, obstiné, opiniâtre, têtu ou entêté !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots509
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Du révisionniste et du négationniste

«Négation, voyez Nier» dit l’Académie en 1694. Avec dans l’article Nier, un exemple à décrypter : «Nier une majeure». La majeure correspond en fait à la première proposition d’une argumentation. La négation, c’est bien effectivement le fait de «nier l’existence de quelqu’un ou de quelque chose», comme le signale le Trésor de la langue française (1994), avec l’idée d’une remise en cause. Laquelle peut bien sûr se révéler positive ou négative, ce que rend sensible une citation de J. Benda à propos de la «négation du progrès chez les mécontents».

Du même coup, on peut passer de la négation à la révision, la volonté de faire reconsidérer une position, et l’on devient un révisionniste. Ce dernier mot est attesté dès 1851 dans un discours de Victor Hugo proposant la révision de la Constitution, le révisionniste désignant dès lors le partisan progressiste de cette évolution. Puis, en 1955, à la suite de la période stalinienne, on appela révisionniste les communistes partisans de la révision des thèses révolutionnaires. Ils eurent même droit en 1968 à une abréviation : les révisos. Tout se gâte cependant en 1985 pour le révisionniste, quand le mot qualifie aussi ceux qui ont pour objectif de minimiser «le génocide des Juifs par les nazis, notamment en niant l’existence des chambres à gaz» (Petit Robert 2007). C’est ainsi que le révisionniste doté désormais d’un sens inacceptable, s’incarne dans un nouveau mot, le négationniste, attesté dès 1990. Dans le Robert culturel, on signale alors que le négationnisme démarque aussi la «négation d’un passé historique gênant», en citant «le génocide arménien victime d’un négationnisme» d’État, l’État turc en l’occurrence.

Dans un Manuel de psychiatrie de 1978, était signalé l’inquiétant délire de négation : «le malade nie l’existence de ses organes, il arrive même à nier l’existence de son corps». Le tout avec des idées d’énormité : «Il prétend que son corps s’enfle démesurément et envahit l’univers.»
Diable ! Que l’on nous épargne tout cela.

L’entêtement dans tous les sens et au choix

Ce qui «monte à la tête» est forcément sous le sceau de l’ entêtement. Avec tout d’abord une première signification offerte par Furetière, dans le Dictionnaire universel (1690) : «Entêtement : offense du cerveau», suivi d’un exemple qui n’a rien perdu de son actualité, au moment des grands froids : «L’entestement du charbon allumé dans un lieu clos est mortel». Ensuite, comme le trajet montant au cerveau passe par le cœur, Furetière n’en oublie pas les conséquences : «Cet homme a un grand entestement pour cette femme, elle le gouverne absolument». Enfin, de l’aveuglement amoureux on passe à l’entêtement mental.

Alors interviennent les synonymistes distinguant cinq catégories reprises par Pierre Larousse : l’homme entier, obstiné, opiniâtre, têtu ou entêté. L’homme «entier» ne veut rien rabattre de ses prétentions et ne fait pas la plus petite concession, l’homme «obstiné» «persiste dans sa manière d’agir contre toute raison, par caprice», «l’opiniâtre» persiste également, mais «par une détermination réfléchie dont il ne veut pas démordre», enfin «l’homme têtu» est «tel par nature, avec tout le monde et en toutes circonstances». Quant à l’homme « entêté », il «tient fortement à certaines idées entrées dans sa tête et qui l’empêchent d’écouter». Deux jugements sur cette attitude : celle plaisante du cruciverbiste La Ferté, qui fait de l’entêté le «héros de la poursuite», et celle de L. Sterne, qui affirme que l’entêtement est «une faiblesse absurde : si vous avez raison, il amoindrit votre triomphe, si vous avez tort, il rend honteuse votre défaite». Au choix.

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Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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