Louis XV, la gastronomie et les femmes

La chronique "Histoire et Gastronomie" de Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

Si Louis XIV mangeait le plus souvent seul en public, selon les règles d’une étiquette précise, pesante et omniprésente, ses successeurs ont tenté d’y échapper. Ainsi les petits soupers du Régent, dont le modèle nous est présenté par le tableau de Jean François De Troy « le souper d’huîtres », où les feux de la conversation, les plaisirs de la gastronomie, et la présence des femmes ont fait éclater l’atmosphère empesée et rigide des dernières années du règne de Louis XIV.

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr362
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_ Sous Louis XV, le roi et son entourage ont développé une culture gastronomique d’excellence. Le maréchal de Richelieu, petit neveu du grand cardinal, académicien français, homme de guerre, maréchal de France, roué, grand amateur de femmes, ami du roi, fut un grand gastronome. Il s’éteint juste avant la Révolution et nous a dit qu’ « avant le règne de Louis XV, on ne savait pas manger ».

Le roi Louis XV s’échappait souvent de ses fonctions de représentation dans ses petits appartements où, en petit comité, il mangeait sans cérémonie avec ses intimes, et ne dédaignait pas de mettre la main à la pâte pour faire lui-même la cuisine. Les amis du roi et ses intimes faisaient assaut de gastronomie, soit par eux-mêmes, soit plus souvent pas le biais de leurs cuisiniers. Ainsi datent de cette époque la purée Soubise (aux oignons), plus célèbre de nos jours que la mémoire du maréchal, homme de guerre calamiteux (on se souvient de la caricature qui l’a représenté au soir de la bataille de Rosbach en 1757 cherchant son armée avec une lanterne), courtisan adroit, ami fidèle (il accompagne avec courage la dépouille de son roi à sa dernière demeure), et gastronome à la prodigalité proverbiale. De même Jacques Guyon, de Matignon, comte de Thorigny, a laissé son nom à la Matignon, fondue de légumes émincés et d’aromates fondus au beurre et souvent mouillée au madère.

Louis XV par Hyacinthe Rigaud

Mais le roi Louis XV mélangeait les fastes de Bacchus, de Comus et de Vénus. Ainsi, toutes les femmes qui ont accompagné sa vie ont fait œuvre de gastronomie et lui ont mitonné des petits plats. Sa femme, Marie Leszczynska, fille du roi de Pologne et duc de Lorraine, prodigieux gastronome qui inventa le baba au rhum, est restée célèbre pour son goût des bouchées à la reine. Elle s’en faisait faire des portions individuelles (d’où leur nom) pour pouvoir en manger même quand les autres mangeaient autre chose.
Puis vint le règne des favorites. Madame de Pompadour, née Jeanne Poisson, maîtresse en titre du roi jusqu’en 1764, eut une influence politique et un intérêt gastronomique certains. Elle inventa de nombreux plats avec l’aide de ses cuisiniers dont Vincent la Chapelle, auteur de Cuisinier françois ; en particulier les filets de sole à la Pompadour, aux truffes et aux champignons, les tendrons d’agneau au soleil (cuits dans du bouillon avec des tranches de veau et des truffes), et les filets de volaille en Bellevue. Les apprêts à la Bellevue (suprêmes de volaille et crustacés) sont liés au château de Bellevue près de La Celle, que possédait la marquise. Un de ses protégés, le cardinal de Bernis, académicien français, diplomate de haut vol, s’était fait remarquer de Louis XV, certes par son esprit, son habileté diplomatique, mais aussi par son habileté à tourner les crêpes qui avait, dit-on, rendu le roi jaloux.

Madame du Barry. Portrait par Élisabeth Vigée Le Brun (1781)

Madame du Barry ne fut pas en reste. C’est peut-être d’elle que date la coutume de donner le nom de la favorite à un plat. Elle a laissé son nom à des garnitures de choux fleur en boules associées à des pommes château gratinées au four. Son cuisinier était le fameux Mauconseil. Elle est aussi célèbre pour la phrase qu’elle adressa un jour à Louis XV qui aimait à faire lui-même son café, et alors que le roi avait laissé déborder le marc du café qu’il préparait : « la France, ton café fout le camp ».

Même des maîtresses moins célèbres comme Mlle O’Murphy, immortalisée par le tableau de Boucher, Irlandaise d’origine, reçut un surnom gastronomique : « Notre Dame des pommes de terre ».
Ainsi donc, sous Louis XV, la gastronomie régnait en maître sur l’entourage du roi, à son instigation et les rapports entre l’amitié, des courtisans, les charmes de ses maîtresses, la politique et la diplomatie ne furent sans doute jamais aussi étroits. Le maréchal de Richelieu avait bien raison de dire que l’on ne savait pas manger (et vivre) avant le règne de Louis le quinzième.

Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’histoire de la gastronomie. Retrouvez toutes ses chroniques en

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