Napoléon Bonaparte, le jour où il fut empereur

avec Jean Tulard, de l’Académie des sciences morales et politiques
Avec Christophe Dickès
journaliste

Jean Tulard explique en quoi Napoléon fut le conservateur d’un ordre bourgeois, issu de la Révolution française. Pour cela, il rappelle comment Bonaparte est devenu Napoléon et que tout s’est joué en deux ans, 1800-1802. Puis comment l’assassinat du Duc d’Enghien fit de lui un régicide... jusqu’au jour du sacre, ce fameux 2 décembre 1804. Mais sacrait-on un roi ou un dictateur de salut public ? Le point de vue de Jean Tulard.

Émission proposée par : Christophe Dickès
Référence : hist002
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_ Cette émission a été enregistrée en 2004.

Dans cette émission, Jean Tulard montre en quoi l’année 1804 est capitale. Elle marque la fin d’une évolution et surtout la fin réelle de la Révolution Française. En effet, jusqu’à l’année 1804, Bonaparte peut encore apparaître comme le général Monk qui, en Angleterre, avait restauré Charles II. Sacré sous le nom de Napoléon Ier, il n’est plus le général chargé de terminer la Révolution mais le protecteur du nouvel ordre établi.

Le jeune Napoléon Bonaparte

Comment Bonaparte devient Napoléon ?

Jean Tulard revient sur le premier épisode qui conduit Bonaparte au pouvoir : le coup d’Etat du 19 brumaire an VIII (9-10 novembre 1799). On apprend ainsi que ce coup d’Etat avait été monté au départ par Siéyès et devait être un coup d’Etat parlementaire. Pour reprendre les mots de Jean Tulard, ce n’est que la « médiocrité de Bonaparte » qui déclencha l’intervention militaire. Toujours est-il que l’intervention de l’armée est capitale et fait de Bonaparte le vainqueur du coup d’Etat au détriment de Siéyès. La nouvelle constitution sera sa constitution.

La dictature de salut public

Le nouveau régime se met en place dans un contexte particulièrement difficile. La France est épuisée par la guerre et la révolution. Les finances sont désastreuses et l’opposition, tant royaliste que jacobine, cherche à reprendre le pouvoir. Le seul atout provient de l’émergence d’une nouvelle classe de possédants, issus de la révolution, qui réclament un retour à l’ordre. Bonaparte comprend aussitôt l’appui que peut lui fournir cette nouvelle bourgeoisie et satisfait son besoin en pacifiant le pays.

Tout se joue sur deux ans, entre 1800 et 1802. Le travail effectué pendant ces deux années est extraordinaire. En deux ans, le pays est assaini : le budget de la France est en équilibre, le Concordat assure la paix religieuse, l’opposition royaliste et jacobine est démantelée, la guerre avec l’Autriche et l’Angleterre est terminée. C’est aussi à cette période que sont mises en place les principales institutions : le conseil d’Etat, les préfets, les départements…. Bref, le succès politique de Bonaparte est incontestable. Pense-t-il à exploiter ce succès à son profit en fondant un empire dès 1802 ? Il est difficile de saisir la pensée de Bonaparte. Une chose est sûre, il s’oriente vers un pouvoir personnel. Militaire dans l’âme, il lui faut un pouvoir absolu et sans partage.
D’après la constitution, il était consul pour dix ans. Dans un premier temps, il souhaite pérenniser sa position et demande le pouvoir à vie. Le Sénat lui accorde pour dix ans supplémentaires. Afin de contourner cette décision, Cambacérès soumet alors l’idée d’une consultation nationale visant à approuver le consulat à vie. Le referendum, de par son succès, est un réel plébiscite en faveur de Bonaparte. Mais est-ce suffisant ? Ne lui manque-t-il pas l’hérédité ? Dès lors, la route vers l’empire est ouverte.

Vers le sacre

L’année suivante, en 1803, la rupture de la paix d’Amiens constitue une nouvelle étape vers le sacre. D’une part, la reprise de la guerre renforce l’autorité de Bonaparte, qui prend lui-même la tête des opérations. D’autre part, la guerre avec l’Angleterre favorise le retour de conspirations royalistes sous couvert britannique. Deux chouans sont d’ailleurs arrêtés et mettent le feu aux poudres par leurs révélations. D’après eux, Cadoudal est à Paris pour tuer le premier Consul. D’autres noms sont compromis, parmi lesquels figurent Pichegru et Moreau. Bonaparte ordonne alors l’arrestation du général Moreau. La réaction dans l’opinion est vive, on accuse le premier consul de se débarrasser de son seul rival. Seule l’arrestation de Pichegru et de Cadoudal révèle la réalité du complot. Dès lors, il ne reste plus qu’à trouver le prince auquel devait profiter le complot. D’après Bonaparte, c’est Talleyrand qui souffla le premier le nom du duc d’Enghien, alors réfugié à Bade. Bien qu’aucune preuve n’ait confirmé les faits, le duc d’Enghien est aussitôt enlevé et incarcéré à Vincennes. Traduit devant une commission composée entre autres de Fouché et Talleyrand, il est jugé coupable et fusillé le soir même (dans la nuit du 20 au 21 mars 1804). Pour Jean Tulard, cet acte fait de Bonaparte un régicide. Dès lors, il ne peut plus être un Monk rétablissant Louis XVIII. Le retour des Bourbons désormais impossible et la fin de l’opposition en France, laissent la voie ouverte à Bonaparte. C’est ainsi que le 18 mai 1804 est promulguée la constitution de l’an XII instituant l’Empire.
Art 1er : « Le gouvernement de la République est confié à un empereur, qui prend le titre d’empereur des français. La justice se rend au nom de l’empereur par les officiers qu’il institue. »
Art. 2 : « Napoléon Bonaparte, premier consul actuel de la République, est empereur des français ».

Le sacre

Le sacre de Napoléon, David
Le sacre de Napoléon, Jacques-Louis David, 1807

Afin d’affirmer sa légitimité face à Louis XVIII, Napoléon a besoin d’une consécration, si possible religieuse. De là, la cérémonie du 2 décembre 1804 à Notre-Dame. La présence du pape est l’élément déterminant de cette cérémonie. Elle place Napoléon au-dessus de Louis XVIII qui n’est pas sacré. La cérémonie en elle-même est glaciale. Il est vrai qu’il fait très froid en ce 2 décembre 1804. Mais surtout, le faste pompeux empêche toute émotion. En réalité, ce sacre n’est qu’une comédie. Le nouvel empereur se soucie peu de la bénédiction papale et se couronne lui-même empereur, tout comme il couronne Joséphine. En effet, une fois le pape retiré, le sacre se poursuit sans lui avec le couronnement de Joséphine et surtout avec le serment par lequel Napoléon s’engage à maintenir l’intégrité du territoire de la République, à faire respecter l’égalité des droits, la liberté politique, civile et des cultes, l’irrévocabilité de la vente des biens nationaux et à ne lever d’impôt qu’en vertu de la loi.
D’une cérémonie religieuse on arrive à une cérémonie purement matérielle. Par ce serment, Napoléon reste un dictateur de salut public chargé de protéger les conquêtes de la Révolution. Tant que la victoire est avec lui, il est ce défenseur. Avec la défaite, il ne protège plus l’ordre établi. En regardant le sacre sous cet angle, on s’aperçoit que Napoléon n’est qu’une marionnette aux mains de nouveaux riches !
Cette cérémonie du sacre a été immortalisée par David à posteriori. Le célèbre tableau, conservé à Versailles, est en partie inexact puisqu’on y voit madame Mère pourtant absente de la cérémonie. En fait, ce tableau a été suggéré par Joséphine en mal de légitimité. Intitulé Le sacre de Napoléon, on y voit une dame se faire couronner !

Jean Tulard, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, section Histoire et géographie.

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