L’oeuf de Christophe Colomb

Une allusion historique, par Jean-Claude Bologne
Avec Jean-Claude Bologne
journaliste

D’où vient l’expression C’est simple comme l’œuf de Colomb ? Certes elle est attribuée au célèbre navigateur mais, dans cette rubrique consacrée aux allusions historiques, l’historien Jean-Claude Bologne propose une réponse mieux attestée. Amusez-vous avec lui à en découvrir l’origine.

Émission proposée par : Jean-Claude Bologne
Référence : hist503
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William Hogarth, L’œuf de Christophe Colomb

Une idée ingénieuse, mais qui semble évidente, est souvent rapprochée de ce mythique œuf de Colomb, avec la formule consacrée également attribuée au navigateur génois : « C’est simple, il suffisait d’y penser ».

C’est dans un banquet au retour de sa première expédition, donc vers 1493, qu’il aurait fait cette réponse à des convives admiratif. Découvrir le Nouveau Monde est à la portée du premier qui en aurait eu l’idée. Et pour illustrer ses propos, il aurait défié l’assistance de faire tenir un œuf debout sur la pointe. Personne n’ayant relevé le défi, il écrasa légèrement la pointe pour donner de la stabilité à l’œuf. Il vaut mieux, pour la clarté de la démonstration que l’œuf soit dur !

Belle légende, mais apocryphe, puisque rapportée par Girolamo Benzoni en 1565. Or, dès 1550, circulait la même anecdote, rapportée par Vasari, et attribuée à l’architecte Brunelleschi. Le contexte est en l’occurrence plus crédible, mais tout aussi apocryphe. C’est en 1420 en effet que Brunelleschi participe à un concours pour élever le dôme de Florence. Il propose une coupole ovoïde qui, pour tous ses concurrents, n’a aucune chance d’être construite sans cintre ni armature reposant sur le sol. Ceux-ci demandent à ce qu’il produise un modèle, mais Brunelleschi refuse, craignant qu’on lui vole ses plans. Il propose que le chantier soit confié à celui qui pourra faire tenir un œuf sur la pointe. On devine la suite. L’anecdote n’est guère plus vraisemblable que celle de Colomb : on ne confie pas un tel chantier sur une plaisanterie ingénieuse. Mais elle est liée à la forme ovoïde de la coupole et circulait en Italie avant la première attestation de l’œuf de Colomb.

On peut imaginer qu’elle a été reprise dans la polémique entre Italiens et Espagnols : ceux-ci, au XVIe siècle, admettaient mal qu’un Italien fût devenu vice-roi des Indes, avec autorité sur les nobles espagnols partis coloniser le Nouveau Monde. On lui contestait alors la découverte du continent, et les Italiens, comme Benzoni, durent prendre sa défense.

Jean-Claude Bologne

Qu’il s’agisse de l’œuf de Colomb ou de celui de Brunelleschi, l’anecdote, qui réduit l’exploit à une idée astucieuse dont la réalisation serait d’une grande simplicité, s’inscrit dans la valorisation platonicienne du génie à la Renaissance. L’œuvre repose donc sur une idée préalable, qui fait fi des longues recherches qui ont engendré l’intuition. Brunelleschi comme Colomb s’étaient appuyés sur une documentation solide, qui a motivé la décision des financiers bien plus qu’un tour de prestidigitateur.

En savoir plus :

Jean-Claude Bologne est historien, essayiste et romancier.

Jean-Claude Bologne, Qui m'aime me suive, dictionnaire commenté des allusions historiques, éditions Larousse, 2007

Jean-Claude Bologne a également publié :
- Histoire de la pudeur (Hachette Pluriel)
- Histoire morale et culturelle de nos boissons (Laffont)
- Histoire du mariage en occident (Hachette Pluriel)
- Une de perdue, dix de retrouvée : Chiffres et nombres dans les expressions de la langue française (Larousse, 2004)
- Au septième ciel, Dictionnaire commenté des expressions d'origine biblique (Larousse 2005)
- Qu'importe le flacon... Dictionnaire commenté des expressions d'origine littéraire (Larousse, 2005)
- Histoire de la conquête amoureuse (Seuil, 2007) ; cet ouvrage a fait l'objet d'une émission sur Canal Académie : La conquête amoureuse a une histoire !.

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