Quand Abeille, Poncet, Chu, Granier et Féraud fraternisent

Trois sculpteurs, un peintre et un graveur sont réunis au musée Marmottan
Jean-Marie GRANIER
Avec Jean-Marie GRANIER
Membre de l'Académie des beaux-arts

Voici une exposition où se côtoient les œuvres de trois sculpteurs, deux peintres et un graveur : Antoine Poncet, Chu Teh-Chun, Albert Féraud, Jean-Marie Granier et Claude Abeille. Réunies durant trois mois au Musée Marmottan à Paris, peintures, sculptures et gravures dialoguent sur le thème de la lumière et de la modernité.

_ Il est curieux et réjouissant de voir combien les rencontres entre Chu Teh-Chun et Claude Abeille, entre Antoine Poncet et Jean-Marie Granier, entre Albert Féraud et ses confrères, sont fertiles. C'est tout l'intérêt de cette exposition de cinq artistes contemporains ou récemment disparus, membres de l'Académie des beaux-arts, réunis au Musée Marmottan de juin à septembre 2008.

Il y a six salles. Ouvertes les unes aux autres, permettant aux curieux de déambuler, de revenir, de traverser. Chaque artiste s'est approprié un espace, qu'il partage avec un confrère. Et le dialogue s'établit, malgré les différences d'esthétiques, de personnalités et de cultures artistiques.

La verticalité chez Claude Abeille fait écho aux traits du peintre chinois Chu Teh-Chun. La ligne pure de Jean-Marie Granier s'emmêle aux courbes et aux volutes d'Antoine Poncet. Au milieu d'eux jaillit le lyrisme échevelé et baroque du sculpteur Albert Féraud.

Dans cette émission, Lydia Harambourg, historienne de l'art et correspondant de l'Académie des beaux-arts, et Claude Abeille, sculpteur, membre de l'Académie des beaux-arts, portent leur regard sur ces correspondances et ces dialogues fortuits.

Voici ce qu'écrit Lydia Harambourg à propos de chacun des artistes :

Jean-Marie Granier, Dominique

Jean-Marie Granier
Les outils du graveur, pour Jean-Marie Granier, ne doivent pas faire oublier le rôle tenu par cet homme discret, au sein du musée dont il a assuré la direction pendant plusieurs années jusqu’à sa disparition l’été dernier. Le burin est cette petite tige d’acier de section carrée ou losangée, biseautée, emmanchée à une petite poire de buis que le graveur manie avec une énergie fervente pour donner vie à un univers en noir et blanc. Granier fut cet artisan et cet artiste au métier infaillible qui risqua le vertige avec ses séries tauromachiques sans renier le grand classicisme qui imprègne ses paysages cévenols, jusqu’au dépouillement quasi abstrait de compositions métaphysiques. Graduant les valeurs, diversifiant la taille adaptée à chaque expression, le burin énonce, décrit, exprime la vie par la morsure du trait et sa caresse. La taille-douce, ainsi désigne t-on cette technique qui réserve la lumière, déploie les ombres sur la plaque de cuivre parfaitement polie. Elle requiert le silence et la contemplation.

Albert Féraud

Albert Féraud
Albert Féraud qui nous a quitté en janvier 2008, a donné ses lettres de noblesse à l’acier inoxydable. Ses mains démiurges subliment les déchets de ferraille dans les métamorphoses d’un univers baroque où l’improvisation, la sûreté du découpage, du pliage, la précision de la soudure contribuent à l’élaboration de son langage. Des envolées de plis, des torsions et des bourgeonnements, des corolles naissent des rythmes intuitifs entre vides et pleins, arrêtés dans un enchevêtrement de formes éruptives. Chez Féraud, la complémentarité est créatrice : le hasard appelle l’ordre, l’inventivité est au service d’une liberté, vecteur de risque mais aussi tremplin à une pensée en constant éveil. Epique, lyrique, sa sculpture est dynamisée par des rythmes musicaux qui participent de l’harmonie générale engendre une monumentalité dont l’énergie porte une plénitude organique et un élan fraternel.

Claude Abeille, Strates
1993. Bronze La plaine

Claude Abeille
Sculpteur de formes, Claude Abeille ordonne une humanité en inquiétude dont l’enveloppe vestimentaire se substitue au corps, devenu le réceptacle d’une thématique du pli. Le choix du plâtre, qui peut être ultérieurement fondu, lui convient pour exprimer le passager pour une mise en abîme existentiel du vide. Ce matériau se prête à l’évanouissement de chaque forme corporelle supplantée par des plis gonflés ou apaisés d’un manteau flottant, d’une veste trop grande, de laquelle émergent une tête anonyme et des bras. Ses draperies sont des dépouilles qui expriment le mystère de l’être, comme celui des traces qu’il laisse dans l’espace. Ces variations ont récemment débouché sur le thème de la danse qui a amené Abeille à expérimenter la couleur avec les résines polychromes. L’humour accompagne une poésie tendre et nostalgique pour un nouvel élan vital dans des postures insolemment maîtrisées où se lisent la prestesse et le déséquilibre feint.

Antoine Poncet, Les ailes de l’aurore

Antoine Poncet
Les sculptures d’Antoine Poncet s’inscrivent dans l’héritage d’une sculpture informelle organique. Ses rêves de pierre, pour reprendre l’expression d’Arp, restituent la volupté des veines du marbre, ou le poli du bronze, empreints d’une sensibilité vibrante en constante harmonie avec l’enveloppe mystérieuse qui appelle au toucher et suggère une spiritualité où la plénitude plastique est source de beauté. Son univers plastique naît des formes dynamiques, d’ordre végétal ou humain, extraites du bloc par le travail ancestral de la taille directe dispensant une tension spatiale pour un hymne à la vie. Tour à tour flamme, aile, évocation du corps féminin comme le suggèrent avec malice les titres (Cororéol, Aileiotrope, Olivailes ...) les volumes dispensent l’élan et la vitalité, dans des courbes et des spirales libérées avec audace pour une monumentalité qui appelle au dialogue avec la nature.

Chu Teh-Chun, Episode minéral
1995-1996 - huile sur toile - 230x180 cm

Chu Teh-Chun
De ses origines chinoises Chu Teh-Chun a conservé la ferveur du geste, la contemplation intérieure et la dimension cosmique du paysage, qu’il confronte à ses acquis de la peinture occidentale. Son aventure picturale, en fait un des acteurs, de l’abstraction lyrique. En abandonnant toute référence figurative, il expérimente l’espace pictural devenu un temps espace pour une métaphore panthéiste. Il peint une nature réinventée, les éléments, dont sa mémoire a conservé les résonances graphiques et chromatiques. Son langage est constitué de signes, de mutations formelles, de déflagrations lyriques, de contrastes colorés sonores et incandescents qui évoquent les rythmes de l’univers, les flux et reflux des mouvements de l’eau, de la lumière, pour une immersion dans la peinture. Le tableau est le lieu de rencontres
simultanées, orchestrées par la fougue de l’écriture, le ruissellement des couleurs, l’énergie inhérente à la matière, la lumière pour un espace de poésie où l’imaginaire a rejoint une géographie originelle. Avec la peinture de Chu Teh-Chun nous faisons l’expérience d’un visible, invisible, dont ses paysages sont l’expression sensible.

(Ces textes ont été écrits par Lydia Harambourg pour présenter l'exposition au Musée Marmottan).

A propos de Lydia Harambourg

Lydia Harambourg est historienne, critique d’art et écrivain, spécialiste de la peinture du XIXe et XXe siècle, particulièrement de la seconde Ecole de Paris. Ses dictionnaires sur L’École de Paris 1945-1965 et Les peintres paysagistes français du XIXe siècle sont des références incontournables dans l’historiographie de l’art. L’ouvrage L’Ecole de Paris a d’ailleurs reçu le Prix de Joest de l’Académie des beaux-arts en 1993.
En outre, Lydia Harambourg a écrit des nombreuses monographies. Elle vient de publier un livre sur Bernard Buffet et la BretagneImage retirée. aux éditions Palantines (2006).
Lydia Harambourg, tient depuis 1998 la chronique hebdomadaire des expositions dans La Gazette de l’hôtel Drouot.
Elle a été élue en 2007 correspondant à l’Académie des beaux-arts, section Peinture.

En savoir plus

- Chacun de ces cinq artistes a publié une monographie aux éditions de l'éducation du HeBei, maison d'édition chinoise.
- Le site Internet du musée Marmottan
- La biographie des cinq artistes sur le site Internet de l'Académie des beaux-arts

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