Orgue et gastronomie : L’art d’accommoder les jeux !

la chronique gastronomique du Dr Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

Quand un facteur d’orgue du XVIIIe siècle compare son instrument à un grand festin et attribue un plat à chaque jeu ! L’organiste serait-il un cuisinier ? Voici une démonstration gastronomico-auditive qui va vous régaler, par l’historien de la gastronomie Jean Vitaux.

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr349
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Des cinq sens, la vue, le toucher, l’odorat, le goût et l’ouie, seule l’ouie ne semble pas être concernée par la gastronomie ; la vue d’un plat ouvre l’appétit, le fumet d’un mets fait saliver, le toucher intervient par la mâche d’un aliment et le goût est l’apothéose finale. Mais où est l'ouïe ? Certes, en cuisine, on entend le frémissement du bouillon, le grésillement de la poêle et le bruit de la friture. Mais sur la table, on peut penser que seul un grand plat peut faire taire les conversations et réaliser le silence, la « pax mandibulica » ou paix des mandibules. D’ailleurs, comme Apicius qui recommandait de voiler les seins des serveuses pour ne pas mélanger les plaisirs, les gastronomes n’aiment pas les fonds sonores pendant les repas.

Mais tel n’était pas l’avis de Charles Riepp, facteur d’orgue et organiste, né en Allemagne en 1710, naturalisé français, qui nous a laissé un recueil étrange : Le facteur d’orgue et quisinier (sic) pour la nuit de carnaval, retrouvé et publié en 1935 par Joseph Washung.

Il nous dit que « pour que tout le monde comprenne ce qu’est un orgue, il me faut user d’une allégorie ; mais à quoi comparer un orgue pour me faire comprendre de tout le monde : à un grand repas, pour de grands seigneurs ; les paysans doivent savoir ce qu’ont offert les trois rois mages ».

Orgue Cavaillé-Coll par Zoreil

Sans ambages, il compare le soufflet à l’eau, les registres au hachoir, le clavier à l’assiette, les doigts de l’organiste au couteau et à la fourchette. Seule la chaise reste la chaise ! Il attribue à chaque jeu un plat, la trompette au rôti, le cornet à la sauce aux câpres, la voix humaine à la langue de bœuf, la bombarde à la cuisse ou à la tête du sanglier, etc… Quant à la pédale, pour un grand repas, c’est le vin de Bourgogne.

L’imagination de notre facteur est inextinguible, puisque s’il lui apparaît nécessaire de traduire l’orgue et ses jeux en plats, il faut aussi leur désigner un accommodement, et aussi les servir à chacun selon son goût : ainsi pour un grand prélat, il conseille d’ajouter la bombarde à la pédale, et l’écho pour les ignorants. Il ajoute même de la théologie à sa démonstration musico-gastronomique : « ces festins pourraient être aussi servis en carême, même pour un homme à cheval sur les principes, les facteurs d’orgue ne faisant la cuisine qu’avec du vent ».

Nous sera-t-il encore permis d’écouter une œuvre de ses contemporains, Jean-Sébastien Bach ou Dietrich Buxtehude sans identifier les jeux d’orgue comme du café (l’écho) ou des tartes (la flûte traversière) ! L’inspiration de Charles Riepp est si étonnante qu’il nous dit encore que l’organiste doit être cuisinier et mettre le poivre dans le service.

Cela ne nous démontre qu’une seule chose, c’est que la gastronomie et ses mots, tout comme ceux de l’amour, peuvent s’adapter à n’importe quelle situation et à n’importe quel usage.

Jean Vitaux

L’histoire de la gastronomie est souvent l’histoire de l’homme. Une seule interrogation : quel a été l’accueil que les bons moines ont réservé aux propos de Charles Riepp : applaudissements, amusement, effroi ? Tout dépend de s’ils étaient adeptes de Saint Bernardin ou non !

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