Marie-Madeleine, pécheresse et nouvelle Eve

par Sylvie Barnay, maître de conférences à l’Université de Metz
Avec Hélène Renard
journaliste

La question d’une descendance éventuelle entre Jésus et Marie-Madeleine a été largement vulgarisée par le Da Vinci Code. Que disent les textes à ce sujet ? Sylvie Barnay étudie ici l’évolution de la figure de Marie-Madeleine, du début du VIIe au XIIIe siècles, en passant par les pèlerinages d’Aix, de Vézelay et de la Sainte Baume. Marie-Madeleine et les trois Marie : voici une émission pour mieux s’y retrouver.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : tor306
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Le Moyen Age ne s’y est pas trompé. Marie-Madeleine “ égale à” la Vierge Marie... Les deux femmes partagent symboliquement le même nom de “ Marie ” comme le chante la liturgie en usage au XIIIe siècle. Mais, pour les hommes médiévaux, l’une est encore la toute pure et la seconde est inversement la pécheresse. Marie-Madeleine porte le visage d’“ Eve ”, Marie est la “ Nouvelle Eve ”. Tout au long des siècles, le nom de la Madeleine n’a cessé d’inspirer cette exploration du sens de l’Ecriture sainte appelée exégèse. Eve, oui, mais en devenir de “ Nouvelle Eve ” ! Pécheresse, soit, mais convertie ! “ Madeleine ”, toujours, mais aussi “ Marie ” ! C’est en effet autour du paradoxe du nom de Marie-Madeleine, partagé entre “ Marie ” et “ Madeleine, que la pensée médiévale a construit son histoire...

Les trois "Marie"

L’histoire de Marie-Madeleine commence avec son “ invention ”, cette forme de commentaire des saintes Ecritures qui part de la lettre pour trouver l’esprit, cette production toujours renouvelée des mille et un réseaux du sens sacré.

Lippo Memmi. Sainte Marie Madeleine, détail.

Un sermon de Grégoire le Grand (+604) en est à l’origine. Dans la tradition occidentale - à laquelle s’oppose la tradition orientale -, il est en effet le premier à réunir les trois “ Marie ” de l’Evangile en une seule et même figure, c’est-à-dire à mettre en relief le lien de sens qui les unit sous le même nom. Ce sera “ Marie-Madeleine ”. A elle seule, la Madeleine condense ainsi l’histoire de Marie de Béthanie, soeur de Marthe et de Lazare, l’histoire de Marie de Magdala à qui le Ressuscité apparaît sous la forme d’un jardinier et l’histoire de la pécheresse oignant et essuyant de sa chevelure les pieds du Christ. Dans le commentaire, on ne trouve pas encore trace de l’identification de cette figure à la Vierge.

A ses débuts, Marie-Madeleine n’est pas seulement une “ invention ” au sens médiéval et exégétique du terme. C’est aussi une “figure ”. Au Moyen-Age, figurer ne signifie pas copier une forme, mais montrer ce qui la sépare des autres formes du même nom en métamorphosant son aspect. Autrement dit, dès le VIe siècle, la figure de Marie-Madeleine raconte un chemin d’exploration du sens sacré de la Bible : le chemin qui mène de “ Marie ” en “ Marie ” dans l’Evangile. Son personnage réalise ce chemin. Le premier récit sur la Madeleine est donc le résultat d’une convergence du regard porté sur les “ Marie ” de l’Ecriture sainte, moins une : la Vierge Marie.

les débuts du culte à Marie-Madeleine

Idéal ou réalité ? Dès le VIIIe siècle, celle qui prend nom Marie-Madeleine, incarnant pour ainsi dire dans sa chair cette exploration du sens de l’Ecriture, est reconnue comme sainte. Le culte démarre, qui s’organise autour de ses reliques. L’Angleterre médiévale la représente bientôt sur les plaques d’ivoire aux côtés du Christ, chevelure éparse et onguent à la main, puis du Ressuscité au matin de la Résurrection, elle qui fut la première à le voir et à porter cette bonne nouvelle aux apôtres. Sa “Vie érémitique ” se raconte aussi à présent dans les monastères bénédictins de l’Italie du IXe siècle qui se trouvent aux avant-postes de la recherche spirituelle. Voici Marie-Madeleine en apôtre partie au désert après l’Ascension, emportée au ciel par les anges, sustentée de ces nourritures qui ne sont pas de la terre... Les modèles littéraires en vogue inspirent alors ce récit non sans rapprocher la figure de la pécheresse d’une autre Marie qui elle aussi – dit joliment l’auteur - “ dénuda son âme ” : Marie l’Egyptienne.

Dans le même temps, les clercs carolingiens esquissent pour la première fois un parallèle entre Marie-Madeleine et la Vierge Marie, c’est à dire à creuser plus avant le chemin du sens qui relie toutes les “ Marie ” des Evangiles entre elles.

De nouvelles “ inventions ” prennent la relève et lancent définitivement le culte après l’an mil. Une homélie attribuée à Odon de Cluny (+942) progresse dans cette direction, mais cette fois en creusant le rapport entre la Madeleine et la Vierge. Selon l’interprétation proposée au fil des logiques associatives, l’histoire de Marie-Madeleine s’enrichit. Ainsi, en ces temps féodaux, la pécheresse repentante et la compagne des apôtres devient une fille à château placée au service du Christ. Elle désigne encore l’Eglise qui lave les péchés dans l’eau du baptême. Madeleine-Eglise condense alors toutes les étapes de l’ascension spirituelle qui conduit la créature vers son Créateur.

Au final, la pécheresse résume toute l’histoire sainte. Assimilée à Eve, elle lève dans sa pénitence la malédiction attachée à la première pécheresse. Rapprochée de Marie, elle annonce l’ouverture des portes du paradis. C’est pourquoi, conclut le sermon, l’appellation de stella Maris (étoile de la mer) peut convenir autant à Marie qu’à Marie Madeleine. Pécheresse comme Eve, Marie comme la Vierge... telle se présente maintenant Marie Madeleine : un modèle de salut permettant de cheminer d’Eve à Marie, depuis la Chute jusqu’à la Rédemption. Telle est aussi la théorie du commentaire qui reste à mettre en pratique sous forme de pèlerinage.

Mi Eve et mi Vierge : les pèlerinages

C’est dans le cadre d’une reprise en main du monastère bénédictin de Vezelay par Cluny que le pèlerinage à Marie-Madeleine, lié à la diffusion de cette nouvelle littérature, se développe à partir du XIe siècle. L’abbé Geoffroy de Vézelay (1037-1051) fait de la sainte femme la figure emblématique de sa politique ecclésiastique. Dans ce contexte sont élaborés, outre le sermon attribué à Odon de Cluny, les récits de la “ Vie ” et de la “ Translation du corps de la bienheureuse Marie Madeleine ” à Vézelay.

La figure s’anime sur fond de nouveau décor. Notre compagne du Christ traverse à présent des paysages connus. Il est précisé qu’elle réalise sa vocation d’apôtre en Provence, sur l’ordre de la divine clémence, après avoir débarqué à Aix aux côtés de saint Maximin. Elle y opère de nombreux miracles et y mène pendant trente ans une vie d’ermite. Enfin, c’est un moine du temps de Charlemagne qui rapporte les reliques de la sainte d’Aix à Vézelay... Les besoins temporels rejoignent ici les besoins spirituels. Il s’agit de donner au monastère les moyens de son prestige en attirant les foules autant que d’assurer la renommée de sa sainteté. Les légendes médiévales s’y emploient qui, à leur manière, cherchent à actualiser l’Evangile et à déployer sans fin le sens des Ecritures. Le nouveau détour de Marie Madeleine par la Provence est un détour de sens supplémentaire pour qui veut bien entendre que le propre d’une figure est de signifier un chemin spirituel. Rendre ce chemin accessible à tous, c’est aussi lui donner la saveur du concret, par ailleurs bien accordée avec les velléités toutes matérielles du nouvel abbé de Vézelay qui entend faire du monastère le fief de la Madeleine.

Le nouvel élan de la dévotion à la sainte est contemporain de l’essor du pèlerinage de Vézelay, d’où part un des chemins pour Saint-Jacques de Compostelle. La foule afflue sur cette nouvelle Terre Sainte qui abonde en miracles, à en croire les chroniqueurs. Cette “ glorieuse Marie ” en devient “ dame ”. N’a t’elle pas, mérité de voir le Ressuscité ? écrivent les commentateurs du XIIe siècle.

L’art ne s’y trompe pas. Les tympans romans sculptent à présent la Madeleine en position d’égalité avec la Vierge Marie. Peu à peu le personnage s’autonomise sur les cycles iconographiques : pécheresse des évangiles au manteau de cheveux, Marie de la légende nourrie par les anges au désert, sainte des miracles où les pécheurs ne pèchent plus... femme rêvée des hommes, dans le péché et sans péché, mi Eve et mi Vierge.

Vézelay ou Aix ? Depuis peu, c’est la guerre entre les moines de l’abbaye et les archevêques de la cathédrale. Les uns viennent d’effectuer en grande pompe l’ostension solennelle des reliques magdaléniennes en 1265-1267 ; les autres revendiquent la possession des corps de sainte Marie Madeleine et de saint Maximin à grand renfort d’exhumation d’ossements. La concurrence n’a pas ménagé ses efforts, via un nouveau détour géographique de la Madeleine dans les grottes de la Sainte-Beaume et une nouvelle trouvaille qui n’a plus rien à voir avec l’invention exégétique : les grottes provençales n’ont-elles pas accueilli la retraite au désert de la vierge pécheresse ? Le nouveau pèlerinage est lancé, un nouveau sanctuaire construit, assorti de l’écriture d’un recueil des miracles saint-maximinois de la Madeleine. L’ancien pèlerinage de Vézelay décline, malgré le recours des moines auprès du pape Boniface VIII (1294-1303). Mais la relève est difficile à prendre, malgré le battage des chroniqueurs du temps.
La Bible des saints du Moyen Age, la Légende dorée du dominicain Jacques de Voragine (+1298), a déjà assuré les belles heures de la figure de “ Marie surnommée Magdeleine du château de Magdelon ”, fille de roi et courtisane. Lazare ressuscité, dit la légende, c’est par son intercession... la femme morte en couche et ressuscitée, c’est encore par son intercession... En définitive, celle en qui les premiers Pères de l’Eglise avaient vu la messagère de la Résurrection l’est restée. La légende ne s’y est pas trompée, “ inventant ” à son tour des récits pour faire lire le sens de l’Ecriture. Et de faire palpiter les coeurs : “ il y en a qui disent que Marie Madeleine était fiancée à saint Jean l’Evangéliste ”. L’Eve du château de Magdelon va t’elle échapper à son destin de “Vierge Marie ” ? La littérature lui donne un autre destin : “ cette fiancée dont saint Jean fut séparé au moment de ses noces par la vocation de Jésus-Christ resta vierge et s’attacha par la suite à la sainte Vierge Marie, Mère de Jésus Christ ”. Jusqu’à la fin du Moyen Age, la figure de la Madeleine, telle la fiancée du Cantique des Cantiques, allait continuer à imiter la Vierge Marie. Sous l’influence de la dévotion franciscaine, l’imitation de la Mère de Dieu devient pour les femmes du siècle ou du cloître un modèle de spiritualité. Marie Madeleine est la première à la suivre. La voici servante, comme la Reine du ciel. Après elle, s’avancent en cortège toutes les femmes invitées par les clercs à quitter le tablier d’Eve pour celui de la Vierge, et en attendant celui de Madeleine. A la fin du Moyen Age, sa figure continue de donner l’espérance à toute l’humanité pécheresse, à commencer par toutes les Eve ainsi promises au destin de Marie... et promues au rang de “ Madeleine ”, la fille de roi qui ne devint jamais une princesse.

L’EVANGILE DE MARIE

Marie de Magdala a laissé son nom à un évangile écrit en copte rédigé au cours du IIe siècle, peut être vers 150 : “ L’évangile de Marie ”. Comme l’ensemble de ces récits désignés ultérieurement sous le nom “ d’apocryphes ” (littéralement “ tenu secret, caché ”), cet évangile actualise dans son temps la “ Bonne Nouvelle ” annoncée antérieurement par Luc, Matthieu, Marc et Jean. Il la colore ainsi des préoccupations contemporaines sur le rôle des femmes qui suivaient Jésus et la nature des paroles reçues de lui et transmises comme telles. Les esprits d’alors ne se soucient ni de canon – l’adjectif canonique apparaît au IVe siècle -, ni de révélation secrète. Ils ne font que commenter, du reste dans l’optique de la tradition juive, les questions qui se posent. Les confrontations intenses entre communautés attestent alors des enjeux d’ordre interprétatif. L’évangile de Marie met particulier en évidence l’émergence d’un courant gnostique, au sens où il définit une doctrine impliquant une connaissance pour que l’âme retrouve son origine divine. Les récits apocryphes sont les premiers à opérer un rapprochement entre la Mère de Jésus et Marie de Magdala, tel l’évangile de Philippe : “ Trois marchaient toujours avec le Seigneur. Marie sa mère, et la soeur de celle-ci, et Myriam de Magdala, que l’on surnomme sa compagne, car Myriam est sa soeur, sa mère et sa compagne ”. Le thème aura une belle postérité. Le Da Vinci code lui emprunte sa théorie principale : la survivance de la descendance de Jésus et de Marie-Madeleine présentée comme une lignée sacrée… De quoi faire encore couler beaucoup d’encre.

Sylvie Barnay

Sylvie Barnay est Maître de conférences à l’Université de Metz, chargée de cours à l’Institut catholique de Paris.

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