Les dangers de la vertu totalitaire

par Philippe Malaurie, professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas

La vertu : tel était le thème de la journée d’étude organisée le 12 décembre 2007 à l’Académie des sciences morales et politiques à l’initiative du Centre de Recherches en Théorie générale du Droit. Plusieurs académiciens et juristes sont intervenus. Voici l’intervention de Philippe Malaurie : il souligne les dangers des excès de vertu, vantant les mérites de "la voie moyenne" entre les vertueux et les médiocres.

Autrefois, le danger de la vertu totalitaire fut symbolisé par la triste figure de l'Inquisiteur Torquemada. Les fondamentalistes de la vertu sanguinaire ont pris d'autres visages. Sans faire retour à un passé lointain, il n'est qu'à évoquer, ainsi que le fait magistralement Philippe Malaurie, les Khmers rouges, les léninistes, les adeptes de Ben Laden aujourd'hui qui veut imposer une religion comme Lénine voulait imposer un athéisme forcené.
Le règne du totalitarisme ne suporte aucune rivalité. Et le culte absolu de la vertu génère la terreur avec son engrenage de violences. Une spirale sans fin.

Quelquefois c'est au nom du bien public qu'on a voulu imposer la vertu ! Rappelons-nous la Saint-Barthélémy. "Le bien public requiert qu'on trahisse, qu'on mente et qu'on massacre" Philippe Malaurie en citant cette phrase, n'hésite pas à voir dans certains dirigeants actuels des tendances au retour de cette conviction. Ainsi, la vertu peut devenir un vice. Un vice mortel. Et dans sa démesure, elle fait naître l'intolérance, le fanatisme, l'horreur.

Massacre de la Saint-Barthélémy du 23 au 24 août 1572


Le courage suffit-il à faire la vertu ? Non. Les Waffen SS ne manquaient pas de courage. Donc la vertu n'existe que dans la recherche du bien.
Vertu et dépassement de soi aspirent tous deux à la splendeur de l'homme et de la société et aucun ne peut de passer de courage, de respect, de morale, de droit.

D'où on peut conclure que par le respect de la loi, par la vertu, les hommes sortent de la barbarie. A condition qu'elle ne soit pas imposée car la tyrannie nait de la vertu imposée.

Mais, et le propos de Philippe Malaurie se fait réflexion globale, sans le mal, pas de vertu ! c'est un couple indissociable. La vertu, en effet, ne peut exister sans contrepartie. Voilà un combat éternel, incessant. Comme le droit, qui n'existe que parce qu'il y a transgression du droit.

Une société sans mal n'offrirait à l'homme aucune possibilité de se surpasser (sans compter, ajoute Malaurie, qu'elle serait d'une platitude terriblement ennuyeuse). C'est donc le monde mauvais qui rend possible la vertu.

Conclusion ? De la vertu il en faut mais ni trop ni pas assez ! Et Philippe Malaurie de rappeler les mérites de la voie neutre, moyenne, qui se tient au milieu, à mi hauteur, autrement dit de la voie "médiocre" !
Eloge de la médiocrité ! A condition de ne pas prendre le mot dans son sens péjoratif. Ainsi on pourra préférer les vertueux sans fanatisme aux médiocres sans hauteur.
La Vertu des Vertus ? celle de l'esprit de mesure, de pondération, de discernement et de dépassement de soi !

Pour écouter les autres intervenants de ce colloque :
- Jacqueline de Romilly La vertu : les Grecs anciens n’ont cessé d’en parler ! par Jacqueline de Romilly
- Hélène Carrère d'Encausse L’Académie française salue toujours la vertu !
- Bertrand Saint-Sernin Les morales de la vertu, de l’antique à la chrétienne
- Jean Tulard La vertu entre le libertinage et la Terreur
- Jean-Luc Chartier La vertu des hommes du droit selon le chancelier d’Aguesseau

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