La révolution douce du développement durable

Inventons les droits de l’homme du XXIe siècle !
Avec Geneviève GUICHENEY
journaliste, Correspondant

Geneviève Guicheney suggère dans cette chronique Les droits de l’homme au XXIe siècle, avec des gestes et des actions simples mais efficaces pour la préservation de l’environnement. Une réflexion sur la révolution douce du développement durable.

Émission proposée par : Geneviève GUICHENEY
Référence : chr318
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Geneviève Guicheney

« Borloo veut une DDHDD ». Traduction dans le même article de journal : le ministre de l'Ecologie, du développement et de l’aménagement durable va demander à l'Académie française de rédiger une « Déclaration des droits de l'homme et du développement durable en collaboration avec d'autres institutions culturelles dans le monde entier » car, précise le ministre, « le développement durable, c'est les droits de l'homme du XXIe siècle ! ». En d’autres termes, la France prend la tête d’une révolution douce dont l’objet est de faire entrer le monde dans un nouvel humanisme, en rupture avec la forme actuelle de la mondialisation souvent présentée comme fatale tout en déplorant sa brutalité quant aux conséquences qu’elle entraîne : délocalisations, désorganisation sociale, reconversions difficiles, déséquilibres entre parties du monde et tant d’autres. Son impact psychologique n’est pas le moindre tant elle semble réduire les victimes potentielles que nous sommes toutes et tous à l’impuissance, dépossédées. Le désordre symbolique est partout qui se traduit par une profonde détresse.

Où trouver le réconfort ? Est-ce qu’une déclaration nouvelle est de nature à enrayer la spirale infernale dont on découvre tous les jours de nouveaux anneaux ?

Élaborer un texte est une démarche intellectuelle. Il oblige à penser la situation. Dénombrer et identifier les seuls désordres du monde est sans doute la première étape. Mais après ? La mise en commun par « les institutions culturelles du monde entier » est un pas intéressant en ce qu’il induit le partage. Mise en commun des diagnostics et aussi des solutions. L’idée de faire front ensemble est déjà un réconfort.

Partager le désespoir cependant ne conduit pas loin. Les incantations ne servent de rien sinon à le creuser encore davantage. Oui, le monde semble fou et l’est sans doute. Oui, la planète suffoque sous les coups de boutoir des humains qui la dévastent, chacun espérant que quelqu’un d’autre voudra bien commencer à changer ses pratiques pour pouvoir continuer les siennes. C’est dans ce contexte calamiteux que les institutions culturelles devraient penser un nouvel humanisme.

Comment enclencher un mouvement inverse et entrer dans le développement durable ? Et d’ailleurs qu’est-ce que le développement durable ? Dans de précédentes chroniques nous avons livré quelques pistes dont la définition officielle qui a vingt ans cette année. Elle figure dans le rapport Bruntland pour les Nations unies en 1987. « Un développement qui répond aux besoins du présent, à commencer par ceux des plus démunis, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. »

Depuis, que s’est-il passé ? La cause a-t-elle progressé ? Assurément oui. D’abord nos concitoyens ne se demandent plus s’ils doivent faire quelque chose, mais quoi et comment. Tant de personnes de par le monde agissent déjà, certaines depuis longtemps. Combien se sentent vox clamans in deserto. Nous touchons là à une des difficultés, celle de l’écho fait à tous ceux qui œvrent intelligemment et efficacement à des solutions. La circulation de l’information se heurte à des obstacles divers, la puissance des grands prédateurs, le manque de connaissances, la dérive des grands médias qui embouchent les trompettes du malheur dont ils se font quotidiennement les rapporteurs zélés. Où porter le regard pour y trouver de quoi inspirer un texte d’espoir, ambitieux, porteur d’avenir, qui ferait litière des menaces de chaos pour dessiner les contours d’un nouvel élan de l’humanité ?

Il faut que les informations à bas bruit dont tout un chacun peut avoir connaissance passent de l’ombre où elles sont cantonnées à la lumière dont on a besoin pour se les approprier, les commenter, les pétrir et en sortir le suc. Deux jeunes gens ont réalisé en 2003 et 2004 un tour du monde des hommes et femmes remarquables. Ils en ont fait un livre au titre inspiré de Jules Verne, 80 hommes pour changer la planète. C’est un plaisir de les suivre dans leur périple à la rencontre de personnes remarquables. Comment les ont-ils trouvées ? Par les réseaux. Autant l’information a du mal à trouver le chemin des grands médias, autant elle circule entre tous ces gens de bonne volonté qui, d’une manière ou d’une autre, entendent parler les uns des autres. La grande toile d’internet aide puissamment à rompre l’isolement, c’est très réjouissant. On découvre des trésors d’ingéniosité, nés parfois du hasard, toujours de la nécessité. Tous tordent le cou aux idées reçues de l’époque.

Nécessité de la volonté. Ainsi par exemple, une usine de détergents en Belgique est née en 1979 de la volonté de militants écologistes révoltés des désastres provoqués par les produits dérivés du pétrole. Ils décident de fabriquer des détergents non polluants aujourd’hui distribués dans plus de vingt pays. L’usine est florissante et voit son chiffre d’affaires augmenter chaque année de 12 à 15 %. On pourrait croire que l’entreprise se contente de fabriquer des produits différents tout en fonctionnant comme les autres. Pas du tout. Comme souvent avec les gens qui ont viré leur cuti, si l’on nous permet l’expression, tout est différent. Le regard change. Aussi, atypique jusqu’au bout, l’actuel directeur livre la composition et la formule de ses produits à ses concurrents. Il veut aussi contaminer l’ensemble du secteur et il y parvient. Son objectif n’est pas d’être seulement un entrepreneur affichant un bon bilan, il essaie d’entraîner tous les autres fabricants dans son sillage et de mettre un terme à la pollution des eaux par les détergents. Petit à petit, il gagne du terrain mais il irait encore plus vite si l’on en parlait davantage. Il ne fait pas de publicité économisant ainsi des sommes substantielles. Les autres oui, qui ont donné leur nom aux feuilletons nés aux Etats-Unis appelés « soap operas » car financés par les grandes marques de lessive. Nous voici d’un coup dans la complexité. Les lessiviers font de la publicité, laquelle finance des chaînes de télévision et des journaux. Que se passerait-il s’ils n’en faisaient plus ? Personne ne dit qu’ils ne doivent plus en faire. C’est de leurs produits que l’on parle. On ne leur demande pas non plus de renoncer à en fabriquer et donc de supprimer des emplois (argument mis en avant par les adversaires du changement).

On voit ici combien la révolution douce du développement durable ne sera pas si douce que cela pour certains. Si l’on demandait aux dirigeants et aux salariés des grands lessiviers comme on les appelle s’ils sont satisfaits de polluer toutes les nappes phréatiques des pays où l’on utilise leurs détergents, la réponse serait évidemment non. Alors pourquoi continuent-ils ? Qui va donner le coup d’envoi d’une évolution vertueuse ? Là est toute la question. L’ancien vice-président américain Al Gore a donné la sienne dans sa tournée de conférences « Une vérité qui dérange ». Nous devons tous changer.

Changer oui, mais quoi et comment, on y revient. Il s’agit de faire un pas de côté, de changer sa vision des choses, de creuser l’idée que l’on se fait de sa propre place dans le monde.

Hasard né de la nécessité avec cet autre aux Pays-Bas, agriculteur de son état. Mais voilà, il est violemment allergique aux pesticides qu’il répand sur ses cultures. Las de travailler en combinaison de cosmonaute, de prendre deux douches avant que de pouvoir embrasser ses enfants, il aurait pu décider de changer de métier. Que non point. Il reste agriculteur et se met en quête de moyens pour occire les bestioles qui dévorent ses concombres. Au bout de deux ans de recherche patiente, il a acquis en 1970, un tel savoir-faire qu’il en fait son activité. À chaque bestiole il en oppose une autre, et surtout il parvient à les élever. On sait que les coccinelles mangent les pucerons, mais les années sans coccinelles les pucerons s’en donnent à c¦ur joie. Ainsi se débarrasse-t-il aussi et toutes les fermes alentour au début, de la mite araignée qui a le défaut d’adorer les concombres. Il est le premier à élever des bourdons qu’il vend dans des petites boîtes. On ouvre la boîte au milieu des tomates et les bourdons vont de plante en plante facilitant la fertilisation. Plus besoin d’engrais chimiques. Il a eu plus de mal avec une sale bête qui fait des ravages, la mouche blanche. Ses deux fils ont pris sa succession et ont découvert en Amazonie une petite guêpe qui raffole de la mouche blanche. C’est alors que l’entreprise décolle vraiment et sait maintenant venir à bout de dix-huit prédateurs différents sans utiliser une seule goutte d’intrant chimique. Les fermes biologiques n’assurent que 5 % du chiffre d’affaires.

Les exploitations traditionnelles ont adopté les solutions naturelles de la famille Koppert et 90 % des serres de tomates et de concombres en Europe les utilisent. Ils ne sont plus seuls, d’autres éleveurs de bourdons et autres guêpes d’Amazonie ont vu le jour. Les agriculteurs traditionnels font une gestion combinée avec une seule pulvérisation par an d’un agent chimique. Autant les parasites parviennent à développer une résistance aux pesticides autant ils ne savent pas se défendre contre les insectes prédateurs. Là, ils n’ont pas le temps. Résultat, l’utilisation de pesticides est divisée par dix. Si reconversion il doit y avoir c’est du côté des fabricants d’intrants chimiques qu’elle devra avoir lieu. S’il était besoin d’un argument supplémentaire, la dévastation de la Martinique par le chlordécone oblige à réfléchir. Va-t-on d’ailleurs réparer les dégâts du cyclone en replantant des bananeraies sans rien changer à leur gestion quand on sait de quel prix on paie leur réussite ? L’investissement sera colossal quoi qu’il arrive. Sachant ce que l’on sait des ravages provoqués par le produit interdit partout ailleurs, ce serait criminel de recommencer comme avant.

Au chapitre des pesticides la France peut se vanter d’une performance affreuse. Selon les chiffres de l’IFEN, Institut français de l’environnement, nous sommes le premier utilisateur de pesticides d’Europe et le troisième au monde. 96 % des cours d’eau et 61 % des eaux souterraines de France contiennent au moins une molécule chimique. Le droit à ne pas être empoisonné au nom du rendement pourrait figurer en bonne place parmi les droits de l’homme du XXIe siècle. Il faut arrêter ce cercle vicieux.
C’est facile de parler ou d’écrire direz-vous. Il paraît encore plus difficile de penser, d’élaborer à partir de cette situation. C’est d’abord cela que nous devons faire, tous. Une réflexion collective, faisant la part du possible et du faisable, en prenant le temps pour enrayer la machine infernale qui voit se développer allergies et maladies dont on sait sourdement la raison mais qu’il apparaît trop coûteux d’affronter.

À Saint-Philbert-de-Bouaine en Vendée, la population a refusé l’installation d’un centre d’enfouissement des déchets. Plutôt que de lever une fourche vengeresse la commune a fait une proposition alternative et créé le compostage collectif communal placé sous la responsabilité d’un maître composteur rémunéré. Aujourd’hui 80 % des habitants y apportent leurs déchets ménagers fermentescibles. Ils reçoivent en échange du compost au prorata du poids de leurs déchets. Le système fonctionne depuis deux ans et une vingtaine d’autres communes l’ont adopté. Cela ne suffit cependant pas à décourager les tenants d’une usine de traitement des déchets, fort onéreuse et polluante. Affaire à suivre qui montre qu’en s’associant, en ne cantonnant pas dans un simple refus si argumenté et légitime soit-il mais en proposant une solution intelligente, peu coûteuse et productive puisque le compost ainsi fabriqué est un engrais magnifique, on y arrive.

Sait-on que deux tiers de la population française vit dans une région dotée d’un agenda 21 ? Les agendas 21 locaux sont issus du sommet de la Terre de Rio en 1992. Ils associent toutes les parties prenantes d’une commune, un département ou une région pour élaborer un programme de développement durable du territoire. La phase d’élaboration est capitale. Il s’agit d’abord de faire un diagnostic de la situation à partir de différents critères ou indicateurs, en y associant tous les partenaires ou parties prenantes puis de mettre au point un programme de développement durable. Cela demande du temps, la mobilisation de tous et une vraie volonté politique. Nos élus ont beaucoup à nous apprendre car ils ont cessé d’attendre les signaux venus d’en haut pour prendre en mains le destin de leurs administrés avec le concours de tous, associations, administrations, établissements publics, syndicats professionnels, industriels…

Sans bruit, car on en parle peu, les élus locaux, les généreux producteurs de détergents non polluants, les astucieux éleveurs de coccinelles et de guêpes d’Amazonie inventent au jour le jour les droits de l’homme du XXIe siècle.

Ce texte est l'éditorial paru dans la revue Positions et Médias n° 39 de septembre 2007

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